à Villeneuve d’Aveyron
Changer son système pour mieux rebondir



Leur projet a bien failli capoter. Mais, « un bon sursaut » leur a permis de rebondir. Aujourd’hui, Karine et Fabien Redoulès, éleveurs à Villeneuve d’Aveyron, sont visiblement heureux d’avoir construit leur avenir dans le lait de brebis. Ils se sont rencontrés au Québec. Elle était éleveuse de vaches laitières, il était stagiaire. Karine a laissé la Belle Province pour venir vivre en France. Mais, le couple a mis quatre ans à trouver la ferme de ses rêves. En l’occurrence, 80 hectares d’un seul tenant avec un cheptel de 600 brebis Lacaune et un bâtiment équipé du séchage en grange, sur le causse de Villeneuve d’Aveyron. « Toutes choses que je connaissais », dit Fabien, fils d’éleveur ovin lait du rayon de Roquefort. La ferme, située hors zone AOP, livre son lait à l’usine Sodiaal de Montauban. Fabien s’est installé, seul, fin 2012. La première année s’est bien passée. Mais, ensuite, un « enchaînement de mauvaises décisions » ont mis troupeau et éleveurs en mauvaise posture. La plus sidérante fut l’erreur d’un fournisseur d’aliment auquel avait été délégué le rationnement. Un excès de protéines a provoqué de grosses pertes de production et une forte mortalité d’agneaux… De plus, le jeune éleveur a été confronté à une charge de travail insoutenable, particulièrement au moment des mises bas.
Lisser les rentrées d’argent et le travail
« Nous avons tout remis en question », racontent Karine et Fabien. Très soudés, ils ont su prendre du recul. « Le fait que Karine ne connaissait pas l’élevage ovin a permis de réfléchir sans idées préconçues. J’avais trop la tête dans le guidon », reconnaît Fabien. Vétérinaire de formation, Karine a apporté ses connaissances de l’élevage bovin laitier canadien. Elle a d’abord remis en lutte des brebis en échec pour produire du lait d’été. Et, ainsi, petit à petit, s’est constitué un deuxième troupeau avec l’idée de lisser les rentrées d’argent et surtout le travail. Le troupeau d’hiver (390 brebis à l’IA pour 360 à la traite) a été constitué par rapport à la taille de la bergerie principale (400 places) et à la capacité du séchage en grange afin de pouvoir l’alimenter pendant sept mois avec du foin de luzerne. Les brebis mettent bas à la mi-septembre et la lactation se poursuit jusqu’à fin juin. Le troupeau d’été (265 brebis à l’IA) est logé dans une deuxième bergerie plus petite (260 places), en prolongement de la première. Les brebis mettent bas début janvier et produisent jusqu’à fin septembre. La salle de traite est située au centre entre les deux cheptels. « Le lait d’été nous a sauvés », affirment-ils.
Les brebis sont allotées pendant les mises bas
Outre l’étalement de la production, le couple a complètement revu l’organisation des mises bas. « Nous avons divisé les cheptels en lots d’une vingtaine de brebis avec une case individuelle dans chaque parc, expliquent Karine et Fabien. Ainsi, on ne s’épuise plus à déplacer les brebis d’un bout à l’autre de la bergerie lorsqu’elles mettent bas. Elles sont échographiées afin d’équilibrer les parcs en fonction du nombre d’agneaux à naître (25 à 30 agneaux par parc) et sont numérotées sur le dos pour pouvoir les repérer plus facilement. Les animaux sont moins stressés, les filiations plus précises et on peut se consacrer pleinement aux soins des agneaux. Cette organisation nous a changé la vie. » La traite est un peu plus complexe à gérer, mais ce n’est pas insurmontable. Les agneaux sont isolés dans leur case à granulé et les brebis bloquées au cornadis. Elles vont à la salle de traite lot par lot, les barrières étant équipées d’un portillon. Dix à douze jours après les mises bas, les parcs sont réunis deux par deux jusqu’à rassembler le troupeau entier.
Luzerne, méteil et techno-pâturage
Karine et Fabien ont profondément modifié le système fourrager : implantation de luzerne pure et méteils pour faire des stocks de qualité et de prairies dédiées à la pâture ; suppression des céréales à faible rendement ; mise en place du techno-pâturage néo-zélandais après formation chez André Delpech, le spécialiste de cette technique intensive d’exploitation de l’herbe avec fil avant et fil arrière… Le troupeau d’hiver pâture du 1er mars jusqu’à la pose des éponges (IA le 20 avril) puis ne ressort plus. Le troupeau d’été démarre le pâturage après le pic de lactation (fin avril - début mai). Fabien est très vigilant sur la récolte de la luzerne : avant de faucher, il vérifie avec le réflectomètre que le taux de sucres est au maximum et récolte la nuit, sans andainer, pour préserver au maximum les feuilles. Pour équilibrer plus finement l’alimentation du troupeau, Karine a systématisé des indicateurs de suivi : mesure de la qualité du colostrum avec un réflectomètre, analyses de sang (glycémie…) à des moments physiologiques importants (mise bas…), taux d’urée du lait tout au long de la lactation… Cela permet notamment d’alimenter sans risque le troupeau d’été en période de tarissement avec les refus des brebis d’hiver. La mise bas est préparée dès le tarissement : déparasitage selon résultats de coprologie, hépato-protecteur, vitamines, cure de sélénium, réglage du niveau énergétique de la ration…
Les résultats de ce « sursaut » sont au rendez-vous. L’objectif de production de 1 900 hectolitres est en voie d’être atteint. Grâce à la production d’été, le prix du lait se situe autour d'un euro par litre. L’EBE a retrouvé un bon niveau. Et, surtout le travail est plus serein et laisse la place à une vie familiale plus épanouie. Karine, Fabien et leurs quatre enfants ont pu prendre quelques jours de vacances cette année. Karine s’est installée à son tour en début d’année et le couple fourmille de projets.
Vente directe d’agneaux
L’hiver dernier, Karine et Fabien Redoulès ont démarré la vente directe d’agneaux. Lors des mises bas de janvier, ils en ont gardé 140. Abattus à 120 jours (40 kilos), ils sont vendus en carcasse (grandes surfaces…) ou conditionnés en colis. À terme, l’objectif est de tous les engraisser. Une façon aussi de valoriser les compétences commerciales de Fabien, son ancien métier. Une demande de label Bleu Blanc Cœur est en cours.