Bilan
Une difficile première année sans quotas sucriers
La fin des quotas betteraviers a levé les contraintes à la commercialisation du sucre de l’Union européenne, aussi bien dans l’usage qu’à l’export vers les pays tiers. Les prix se sont alignés sur les cours mondiaux, très faibles.
Les industriels utilisateurs de sucre présents dans l’Union européenne (UE) ont immédiatement ressenti les bienfaits de la suppression des quotas sucriers en octobre 2017. Le marché européen du sucre, en passant de déficitaire à excédentaire, s’est aligné sur le marché mondial. Avec l’avantage supplémentaire que les cours mondiaux sont tombés à des niveaux historiquement bas cet été. Les contrats négociés avec les industriels du sucre ont pu se raccourcir dans la durée ou s’indexer sur les cours, quand le client industriel espérait bénéficier de baisses ultérieures. Une tendance qui pourrait s’inverser aujourd’hui avec l’amorce d’une reprise du marché. Enfin, si la concurrence s’est accrue sur le marché intérieur entre sucriers européens, certaines contraintes demeurent, d’ordre qualitatif ou logistique, limitant les possibilités de changer de fournisseur.
Le sucre européen se fait plus volatil
Connecté au marché mondial, le sucre européen se fait plus volatil, donc plus difficile à appréhender. Quelques améliorations sur ce point : la participation des utilisateurs de sucre, à travers l’Alliance 7 et la Fiac, au conseil spécialisé sucre de FranceAgriMer ; la division de l’espace européen en trois entités géographiques pour l’observation des prix et une réunion bisannuelle à Bruxelles des planteurs et industriels du sucre. Enfin, les prix spot sont estimés officieusement par des experts reconnus.
1,5 milliard d'euros d’économie pour les IAA
La baisse du prix du sucre a déjà profité aux industriels de l’alimentaire et des boissons à hauteur de 1,5 milliard d’euros, selon l’estimation faite par la Confédération internationale des betteraviers européens (CIBE), sachant que la betterave est essentiellement européenne. Il s’agit du produit de la différence de prix constatée sur un peu moins d’un an et de la quantité de sucre consommée : environ 90 euros x 16,5 millions de tonnes, précise-t-on à la CIBE.
Le surplus du marché européen est loin d’être responsable de la chute des cours mondiaux, l’UE étant un exportateur négligeable au regard du Brésil. La chute du sucre résulte, en résumé, de l’expansion des productions indienne, pakistanaise et thaïlandaise. Les exportations de ces pays viennent largement compenser le retrait du Brésil, accentuant sa transformation en éthanol. Pour leur part, les exportations du Brésil bénéficient de la faiblesse du réal : en anticipation de l’élection présidentielle d’octobre, il a perdu 30 % en un an. De surcroît, le surplus mondial pousse les spéculateurs à accompagner la baisse des cours. Ils contrôlent « une part très substantielle du marché mondial », constate Timothé Masson, économiste de la Confédération générale des betteraviers (CGB) et secrétaire général de l’Organisation mondiale des planteurs de betterave et de canne.
Vers des fondamentaux plus porteurs
Les perspectives sont en train de changer, selon les opérateurs européens du sucre. Le Brésil produirait davantage de soja au détriment de la canne pour la Chine et l’Inde produirait davantage de blé. Enfin, la sécheresse qui a sévi en Europe et en Inde peut présager d’une amélioration des cours dans un an. Timothé Masson attend des fondamentaux plus porteurs pour la seconde moitié de la campagne 2018-2019 (en dehors de toute incertitude). Les prix européens vont réagir à la forte réduction des récoltes françaises et européennes. Cette année les rendements diminuent nettement, de 4 % en moyenne en Europe, de 4 % également en France et de 15 % au Royaume-Uni. La récolte européenne chuterait de 2,4 millions de tonnes (Mt), selon la CIBE. L’Europe excédentaire, qui a exporté plus de 3,2 Mt en 2017-2018, pourrait n’exporter qu’un peu plus de 1,5 Mt en 2018-2019, selon la CGB.
L’éthanol a un rôle tampon
Les sucriers français se sont adaptés à la fin des quotas en saturant leurs outils de transformation de la betterave et en allongeant leur temps d’activité afin de compresser les frais fixes. Comme le raffinage de sucre roux a perdu de son intérêt en Europe, les grands sucriers français ou allemands ont gagné des parts sur les marchés traditionnellement importateurs d’Europe du Sud et du Royaume-Uni. En France, ont été produites 6 Mt de sucre de betterave en 2017-2018, dont 1,9 Mt sont parties en consommation alimentaire, pour une consommation totale de 2,3 Mt. 2,2 Mt ont été exportées en Europe et 1 million de tonnes vers les pays tiers. « La production de bioéthanol représente 20 à 25 % de la betterave produite. L’éthanol a un rôle tampon, on a tout à y gagner », affirme Timothé Masson. Cependant une nouvelle incertitude à moyen terme inquiète les sucriers : la crainte de perdre le débouché du Royaume-Uni, en raison du Brexit.