L’ultra-frais végétal français est-il trop cher ?
Après une forte croissance entre 2014 et 2022 grâce à son orientation marketing vers le plaisir, l’ultra-frais végétal cherche un second souffle et doit être plus accessible pour poursuivre son développement.
Nées en 1988 avec l’arrivée de la marque Sojasun, les alternatives végétales ont fait leur trou au sein du rayon ultra-frais et côtoient les desserts laitiers depuis de nombreuses années. Si la catégorie est restée de niche pendant 25 ans, elle a commencé à exploser entre 2014 et 2022 où ses ventes ont été multipliées par deux.
Pendant de nombreuses années, le marché de l’ultra-frais végétal connaissait une croissance annuelle moyenne supérieure à 10 % en valeur. « La végétalisation du rayon s’est accélérée ces dernières années. L’offre a été profondément modifiée. Je ne pense pas que la France soit en retard sur le sujet », estime Xavier Terlet, expert innovation de Protéines XTC.
Depuis 2019, le marché a néanmoins marqué un palier, avec une croissance ralentie, pour aller jusqu’à une légère décroissance en volume en 2022. « C’est inédit, mais nous pensons que c’est plus conjoncturel que structurel. Le développement de l’ultra-frais végétal n’est pas un effet de mode », nuance Gaëlle Perrin, directrice marketing de la business unit desserts de Sojasun.
Les desserts végétaux représentent pourtant 3 % du chiffre d’affaires total du rayon ultra-frais et 2 % des volumes, en grande distribution. « Un foyer sur quatre consomme ce type de produit, en moyenne, une fois tous les deux mois. Un yaourt laitier est acheté en moyenne 36 fois par an par foyer », chiffre Gaëlle Perrin.
D’un produit santé à un produit plaisir
Le rayon ultra-frais végétal doit son explosion à une réorientation de sa cible. Les marques ont innové afin de toucher, en plus de sa cible militante historique, des consommateurs à la recherche de plaisir. « De nouveaux opérateurs sont arrivés et ont proposé autre chose que des bases soja avec des bases coco ou fruits à coque. Le marché poursuivra son développement dans cet aspect plaisir. On ne consomme pas un yaourt parce qu’il est végétal, mais parce qu’il est bon », souligne Xavier Terlet.
Le soja représente aujourd’hui une grande majorité du rayon ultra-frais végétal, avec 75 % des volumes et 63 % du chiffre d’affaires.
Arrêter l’affrontement soja contre fruits à coque
Après l’arrivée des produits avec d’autres bases végétales s’est ensuivi un marketing anti-soja, surfant sur la médiatisation des problèmes de santé entraînés par une trop forte consommation de soja. « Aujourd’hui, il y a une sorte de guerre opposant soja et fruits à coque. Mais je ne crois pas que ça soit une bonne stratégie de tirer sur le soja. D’excellents produits se font à base de soja. Un tel marketing pourrait desservir l’ensemble du rayon », estime Xavier Terlet.
« Cette diabolisation du soja a peut-être atténué le recrutement de consommateurs qui ne s’y connaissent pas assez. C’est aussi dans ce contexte que nous avons lancé des produits avec d’autres bases végétales que le soja, indique Gaëlle Perrin. Cependant, ces autres bases sont plus chères que le soja. En cette période inflationniste, les consommateurs s’aventurent moins vers de nouveaux produits. La période est donc moins propice à l’innovation. »
Le végétal doit être plus accessible
Les produits composant le rayon ultra-frais végétal souffrent de prix trop élevés en comparaison à ses homologues laitiers. « Il faut être très vigilant à ce qu’il ne se passe pas la même chose que pour le bio. N’est-on pas en train de tuer le marché du végétal ? » interroge Xavier Terlet.
ProtéinesXTC a relevé en février 2023 que le prix de la Danette végétale était entre deux et trois fois plus élevé que la Danette classique. « Il y a une guerre des prix sur l’ultra-frais laitier, et certaines enseignes profitent du végétal pour se rattraper, mais la conséquence, c’est que de moins en moins de consommateurs peuvent s’alimenter en végétal. On se dirige vers une alimentation à deux vitesses en enfermant le végétal pour les consommateurs aisés », ajoute-t-il.
Des approvisionnements locaux
Les desserts végétaux au soja s’inscrivent dans l’objectif français de souveraineté alimentaire, car la filière soja est bien développée en France. « Le soja importé du Brésil, notamment, ne sert qu’à l’alimentation animale, rappelle Xavier Terlet. L’origine des fruits à coque est plus aléatoire et n’est pas communiquée par les marques la plupart du temps. »
De son côté, Sojasun souhaite jouer la carte du made in France pour ses yaourts au soja et s’approvisionner au plus proche lorsque les matières premières ne sont pas disponibles sur le territoire. « La filière amande en France est encore anecdotique. Nous surveillons son évolution de près, mais nous ne nous y approvisionnons pas pour l’instant. Nos amandes viennent d’Espagne ou d’Italie. C’est un effort pour nous, car elles sont plus onéreuses que la majorité des amandes du marché européen qui provient des États-Unis », explique Gaëlle Perrin.
Au travers de sa marque Soon destinée aux magasins spécialisés, Sojasun propose des produits aux bases végétales plus originales telles que l’épeautre, le chanvre, l’avoine ou encore le pois chiche, toutes en provenance de France. « Ces produits trouvent leur public, mais auprès d’une cible bio plus petite par rapport au conventionnel », précise Gaëlle Perrin.
D’autres marques proposent des bases végétales inédites, comme Mo’Rice qui fabrique des desserts à base de riz de Camargue ou encore A Bicyclette (Agrial) qui élabore les siens à partir d’avoine français. « Quand l’origine des ingrédients est française, les marques communiquent dessus », conclut Xavier Terlet.
en chiffres
L’ultra-frais végétal
1988 Arrivée des premiers produits végétaux ultra-frais en rayon, estampillés Sojasun
X2 des ventes entre 2014 et 2022
3 % du chiffre d’affaires de l’ultra-frais en 2022
2 % des volumes de l’ultra-frais en 2022
25 % des foyers en consomment en moyenne une fois tous les 2 mois
75 % des volumes des desserts végétaux sont à base de soja.