Avis d’un spécialiste des relations commerciales
« Les états généraux de l’alimentation font l’objet d’une forme d’instrumentalisation politique »
Les Marchés Hebdo : Pensez-vous que les négociations 2018 vont se passer dans un nouvel état d’esprit ?
Philippe Duvocelle : Non, je ne le crois pas. De manière générale, les états généraux de l’alimentation font l’objet d’une forme d’instrumentalisation politique. Chaque impétrant gère ses effets d’annonce en bon stratège et pour servir ses propres intérêts. Les acteurs opérationnels des négociations sont assez éloignés de ces grandes manœuvres qui génèrent scepticisme et confusion. Fournisseurs et distributeurs sont depuis 2008 dans un ajustement permanent de leurs stratégies pour suivre et respecter les évolutions du cadre réglementaire. À l’heure où les entreprises préparent leurs négociations, les annonces, sur le relèvement du SRP par exemple, créent une incertitude et une inquiétude croissantes qui n’apaiseront pas les tensions dans les box. Les CGV doivent être envoyées avant le 1er décembre et elles constituent « le socle unique de la négociation ». Or, certaines entreprises attendent encore de savoir si elles doivent les ajuster pour répondre à d’éventuelles modifications tardives du cadre réglementaire.
LMH : Vous savez bien que ce socle n’est que très rarement respecté.
Ph. D. : Si on veut schématiser, les industriels sont confrontés dans les box à deux types de relations commerciales : une relation « classique » et totalement déséquilibrée où le distributeur va tenter d’imposer les conditions d’achat de son enseigne et un processus de négociation qui vise à valider des conditions « 3 fois nets » avant d’évoquer d’éventuelles contreparties. Ce processus est totalement illégal, mais trop peu de fournisseurs y résistent, par peur ou par ignorance. Un autre type de relation se développe, mais encore trop lentement, dans laquelle le rapport fournisseur-distributeur est plus équilibré, car chacun comprend qu’il y a plus à gagner à respecter le cadre réglementaire.
LMH : Le prix restera-t-il l’enjeu majeur de ces négociations 2018 ?
Ph. D. : Oui bien sûr, parce que l’hypermarché est un modèle en souffrance. Même si des enseignes font d’énormes efforts pour le renouveler, rien n’est vraiment concluant. Pour attirer et fidéliser ses clients, le discours sur le prix reste un argument de poids. Si certains fournisseurs et distributeurs pouvaient se mettre autour d’une table pour tenter de trouver les moyens de rendre les enseignes plus séduisantes et créatrices de valeur, cela éviterait ces négociations centrées sur les prix. Le paradoxe est que le respect du cadre réglementaire permet cela depuis plusieurs années déjà, mais qu’il semble difficile de changer les habitudes de négociations, malgré les risques et les sanctions de plus en plus lourdes.