Conserveur breton
Hénaff se réinvente un futur
Pour se sortir d’une triple dépendance, au porc, au marché du pâté, et à la grande distribution qui ralentit son développement, le conserveur finistérien Hénaff déploie une stratégie de conquête par de nouveaux relais de croissance pour conforter son image de créateur de produits agroalimentaires premium.
Plus que centenaire, la conserverie de Pouldreuzic Hénaff fait preuve d’un bel appétit. En l’espace de deux ans, elle a pris le contrôle de deux petites sociétés bretonnes (autour de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires chacune), l’une dans les algues, l’autre dans la charcuterie traditionnelle bio. Deux sociétés qui, comme elle, s’approvisionnent localement avec « des valeurs responsables » et qui transforment leur matière première en produits qualitatifs, souligne la directrice recherche marketing développement innovation (RMDI) de la conserverie, Caroline Guivarc’h.
Deux récentes acquisitions
La première à avoir rejoint Hénaff en 2017 s’appelle Globe Export et se situe à Rosporden, dans le sud-est du Finistère. Le conserveur s’y est intéressé « parce qu’elle défriche les aliments de demain et nous ouvre de nouveaux terrains de jeu », ajoute Caroline Guivarc’h. De fait, Globe Export a été rebaptisé Globe Explore. La seconde acquisition de Hénaff (en 2018) a pour nom Kervern, situé au Grand Fougeray, en Ille-et-Vilaine. Elle évolue dans l’univers de la charcuterie traditionnelle bio pour les marchés de plein vent et les réseaux spécialisés. Ici, c’est le segment du bio qui a orienté le conserveur. Un segment sur lequel, en septembre, il a décliné son fameux pâté Hénaff (35 % de son chiffre d’affaires de 50 millions d’euros) en une version sous logo AB avec un packaging différenciant, la boîte à dominante bleue étant surmontée d’un liseré vert.
Cet appétit de croissance externe, Hénaff ne l’avait jamais eu par le passé. Il a toujours fait de la croissance organique, démarrant par l’appertisation de légumes en 1907, du poisson un peu plus tard puis du pâté à partir de 1915. Légumes et poissons sont abandonnés en 1971. Place au seul segment du porc que le conserveur abat et transforme sur place. En boîte avec une position de leader sur le marché (autour de 24 % de parts de marché) et en frais (saucisses, palets) à partir de 1995, avec des positions importantes en Bretagne. Mais au milieu des années 2010, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Les moteurs de la croissance organique de la conserverie aux 250 collaborateurs commençaient à s’essouffler.
Le marché recule depuis un an et demi, Hénaff aussi
En 2015, un audit stratégique identifie « la trop grande dépendance de l’entreprise dans le cochon, la charcuterie appertisée et la grande distribution, poursuit Mme Guivarc’h. En raison de la baisse de la consommation de produits carnés, le marché recule depuis un an et demi, Hénaff aussi ». Hénaff engage sa transformation d’abord en interne avec « une réorganisation profonde des équipes », notamment en fusionnant le marketing, la recherche et l’innovation dans une équipe dirigée par Caroline Guivarc’h pour accélérer la mise en œuvre des innovations. Ensuite en misant sur la croissance externe pour « ajouter de nouvelles briques à l’entreprise ».
L’intégration de Globe Explore dans le groupe Hénaff est en cours et des synergies ont été identifiées. Le savoir-faire à l’exportation de Globe Explore (40 % de son CA) doit bénéficier à Hénaff dont les ventes se limitent aujourd’hui à 5 % des ventes. Sur le plan industriel, Hénaff va intégrer à Pouldreuzic la fabrication de certains produits à base d’algues vendus par Globe Explore pour la grande distribution sous la marque Algaé.
Globe Explore, source d’innovation
Mais c’est sur le plan de l’innovation que l’intégration de Globe Explore est attendue. Pour son développement propre, « Globe Explore possède une longueur d’avance sur ses concurrents avec ses perles IQF pour la restauration -bulles d’alginate contenant des préparations salées ou sucrées. De nouvelles innovations seront présentées au prochain Salon de l’hôtellerie et de la restauration (Sirha NDLR), en janvier prochain à Lyon ».
Croyant fermement dans cette activité, Hénaff a budgété sur 2019 un investissement de 1 million d’euros dans la petite usine Globe Explore, avec à la clé l’embauche de 11 personnes qui s’ajouteront aux 27 emplois sur place. Son objectif consiste à développer les volumes et aller chercher de nouveaux clients sur tous les circuits de distribution, dit sans plus de précision la directrice RMDI. Quant à Kervern qui a une part importante de son activité réalisée au rayon libre-service des magasins bios spécialisés, l’acquisition est trop récente pour connaître la manière dont Hénaff va l’intégrer dans son périmètre d’activités. Mais il y aura forcément des évolutions, notamment sur « le packaging et la praticité des produits. »
Naturalité et nouveaux débouchés
Enfin, Hénaff va développer un partenariat industriel avec Apak (Lorient), une société d’armement à la pêche (six navires, 2 000 tonnes de production) qui dispose d’une activité de fabrication de rillettes à partir de sa production. Là, il est prévu de lancer dès décembre en cobranding des « rillettes de dorade aux pépites de pâté Hénaff et oignons confits » et des « rillettes de merlu à la fameuse saucisse fumée Hénaff », à marque TyPesked.
En ce qui concerne son cœur de métier, le porc, Hénaff met actuellement l’accent sur le frais car il sait qu’il y dispose de marges de développement plus importantes qu’en appertisé. Il prend soin de renforcer sa communication autour de la qualité de ses saucisses et palets, en particulier leur naturalité -fabrication avec tous les morceaux du porc. Il a également inscrit le lancement d’un nouveau segment de gamme en frais au printemps prochain, sans plus de précisions.
Nos produits premium correspondent aux attentes des consommateurs
« Nous avons clairement de la marge pour notre développement, souligne Caroline Guivarc’h. Nous livrons nos produits en A pour A principalement dans l’Ouest pour des raisons logistiques, nos produits ayant une DLC courte de douze jours. Mais nous sommes conscients que nos produits premium correspondent aux attentes des consommateurs qui veulent manger moins mais mieux ».
Hénaff anticipe également la montée de nouvelles demandes sociétales des citoyens qui s’intéressent de plus en plus à la manière d’élever les animaux. Hénaff en a fait les frais en 2017 lorsque l’association L 214 a publié une vidéo filmée en caméra cachée montrant, selon elle, les mauvaises pratiques d’un élevage fournisseur en vif de porcs à Hénaff. La campagne de dénigrement n’a pas eu d’effet sur les ventes. Elle a par contre été dévastatrice en interne. Seul effet positif : elle a donné raison à Hénaff qui, avant l’épisode L 214, avait décidé de resserrer les liens avec ses fournisseurs de vif (quinze éleveurs de trois groupements).
Bien-être : un prochain audit approfondi des éleveurs
Un audit approfondi de chacun d’entre eux va prochainement être conduit. L’établissement d’un plan de progrès établi tirera les éleveurs vers ce que souhaite le conserveur à l’avenir. Dernier point enfin de la nouvelle stratégie de Hénaff, l’élargissement de ses débouchés de commercialisation. La PME a ouvert une première épicerie fine sous enseigne Hénaff and Co en gare de Rennes au printemps dernier. D’autres suivront à raison d’une ouverture par an. Un site Internet sous même enseigne doit être mis en ligne dans le courant de 2019. Hénaff fonde de gros espoirs dans cette stratégie omnicanale qui doit générer, sous trois ans, 15 % des ventes du groupe Hénaff.