Évaluer et gérer l'exposition à la pénibilité

Comment respecter les nouvelles règles liées au compte personnel de prévention de la pénibilité dans l'agroalimentaire ? La polyvalence des postes y est très marquée dans les PME et la multiplicité des opérations empêche la création de référentiels. Certaines entreprises se sont retroussées les manches, en y passant souvent de nombreuses heures. Les Marchés hebdo ont enquêté.
Il n'y aura pas de référentiel de branches dans l'industrie agroalimentaire pour établir les comptes personnels de prévention de la pénibilité (C3P). Trop de différences dans les opérations exécutées en usine, et une forte polyvalence des postes dans les PME et TPE du secteur; tels en sont les principaux motifs. Les entreprises doivent donc établir individuellement à quels facteurs de pénibilité sont exposés leurs salariés. Comment faire ?
Génération 5, qui fabrique des salades dans l'Aisne (et qui vient de passer à 53 salariés), a entrepris la mise en place du dispositif dès l'été dernier. Après la présentation de celui-ci aux salariés, un comité de mise en place s'est constitué, regroupant la chargée de mission, les représentants du personnel, deux chefs d'équipes et quelques autres volontaires. Ce comité s'est réuni chaque mois. « Chaque réunion suivait un planning et définissait les étapes suivantes », relate Coralie Venet, la chargée de mission (en l'absence de service des ressources humaines), qui travaille à la planification des approvisionnements.
« Un gros fichier Excel de tout le personnel »« Même si les fiches individuelles ont été annulées, nous avons réfléchi sur cette base, et j'ai constitué un gros fichier Excel de tout le personnel », explique-t-elle. Elle poursuit : « J'ai procédé par élimination en grisant les cases quand le salarié n'était pas concerné par les facteurs à déclarer. Nous avions retenu le travail en équipes suc-cessives, même s'il se limite à une vingtaine d'heures, et les gestes répétitifs. Mais en étudiant les définitions exactes de l'Adepale, nous avons vu que nous n'étions pas concernés. » La vague suivante des facteurs de pénibilité (les 6 derniers à prendre en compte en 2016) est avancée aux trois quarts, indique la responsable. « J'ai acquis un phonomètre et je me rapproche des responsables de la production et de la qualité pour étudier les postures. Nous savons déjà que moins de la moitié du personnel est exposé », témoigne-t-elle. La polyvalence des postes ne complique pas l'évaluation par les entreprises de l'exposition de leurs salariés, selon Bernard Cottet, directeur général du cabinet Didacthem, spécialisé en prévention des risques professionnels. Didacthem a établi avec AG2R La Mondiale, groupe de protection sociale connu pour son pôle alimentaire, le référentiel des grossistes-distributeurs de boissons, ainsi que ceux des 24 fédérations de la CGI. Le référentiel des distributeurs de boissons sera le pre-” mier référentiel de branche officialisé par la Direction générale du Travail. « Il y a dans la distribution de boissons des entreprises de 3 personnes et France Boisson, qui en compte 4 000. Dans les plus petites les salariés font tout ; dans la plus grande il y a des >> groupes dédiés à telle ou telle tâche », expose Bernard Cottet. Le référentiel établit des seuils horaires pour chaque tâche, au-delà desquels celui qui l'exerce est exposé à tel ou tel risque. Didacthem et AG2R La Mondiale ont aussi développé un logiciel informatique (voir ci-contre), qui s'adapte à toute branche ou toute entreprise après son expertise sur le terrain. « On a constitué des briques, qui sont les diagnostics des contraintes pour chaque tâche observée. On assemble ces différentes briques selon l'emploi du temps du salarié », explique Bernard Cottet.
“ La polyvalence des postes ne complique pas l'évaluation
AG2R La Mondiale met à disposition de toutes les entreprises, clientes ou non du groupe, un outil de pré-diagnostic permettant d'identifier les postes de travail concernés a priori par la pénibilité. Ce simulateur a été conçu avec l'expert Didacthem, intervenant en prévention des risques professionnels. Ayant accédé à ce service en ligne, on renseigne les informations relatives au poste de travail pour obtenir un bilan des facteurs de pénibilité pour lesquels il convient d'investiguer de manière plus approfondie. Pour chaque poste, ou type de poste, et pour chaque facteur d'exposition, on coche la durée d'exposition. Dans le pré-diagnostic, la mention « alerte » indique que l'on est probablement en-dessous des seuils de pénibilité mais que des mesures de prévention sont à mettre en œuvre ; le terme « danger » apparaît lorsque les seuils sont probablement atteints. Ce pré-diagnostic permet ainsi de déterminer si au moins 50 % des salariés sont potentiellement concernés par la pénibilité au travail (si plus de 50 salariés). Si ce n'est pas le cas, l'entreprise ne sera pas soumise à l'obligation de négocier un accord mais devra tout de même réaliser les fiches individuelles pour chaque salarié potentiellement concerné.
“ Didacthem et AG2R La Mondiale ont développé un logiciel qui s'adapte à toute branche ou toute entreprise
” Afin de faciliter la prévention des risques, ce logiciel représente les différents niveaux d'exposition par un code de 3 couleurs : le vert signale une exposition au facteur de pénibilité, mais bien en-deçà des seuils réglementaires ; le rouge indique que le seuil est atteint ou dépassé ; le orange alerte que le seuil est en passe d'être dépassé (à 80 % de la durée d'exposition définie dans le règlement) et invite à mettre en place un plan d'amélioration.
Étude d'un poste polyvalentLe schéma ci-dessus illustre un exemple de poste polyvalent. Le salarié travaille à 3 ateliers ou tâches : stockage, conditionnement, secrétariat. Dans cet exemple, le premier atelier expose à un peu plus de 700 heures annuelles de postures pénibles. Il s'affiche en orange car on est à 80 % du seuil de 900 heures. Cet atelier expose au froid pendant 1 200 heures. Il s'affiche en rouge car le seuil est dépassé. Le deuxième atelier expose 700 heures au froid. Il s'affiche donc en orange. La combinaison des ateliers occupés par le salarié donne une exposition au froid proche du seuil (50 % de 1 200 h +30 % de 700 h = 810 h). Elle s'affiche donc en orange. Elle donne des expositions aux postures pénibles et au bruit, mais dans une moindre mesure. Elles s'affichent en vert. Au bilan, le salarié en question ne reçoit aucun point de pénibilité. Mais le bilan invite à mettre en place une concertation avec lui afin qu'il soit moins exposé au froid. Sylvie Carriat
« L'Adepale n'a pas de référentiel et nous n'envisageons pas d'en mettre un en place »

LMH : Où en sont vos entreprises adhérentes dans la mise en place du compte pénibilité ?
Nicolas Penanhoat : Nous en sommes au même niveau que d'autres branches de l'agroali-mentaire voire même d'autres secteurs. Ce dispositif reste d'une grande complexité dans sa construction et dans sa mise en œuvre. Certains critères sont déjà applicables depuis le 1er janvier 2015 et d'autres le seront à partir du 1er juillet 2016. Or, la circulaire qui devait paraître après le décret de 2015 n'est toujours pas sortie à ce jour. La mission mise en place par le gouvernement a commencé ses audits depuis janvier 2016. Pour le moment, je n'ai pas d'écho. Mais on peut supposer que s'il y a des auditions et des visites d'entreprises, c'est bien pour se rendre compte des difficultés sur le terrain et peut-être réaliser quelques modifications.
LMH : Les entreprises arrivent-elles néanmoins à avancer ?
N. P. : Depuis janvier 2015, les entreprises sont déjà soumises à quatre critères d'exposition. Elles ont dû réaliser leur déclaration d'exposition en janvier 2016 avec tout de même la possibilité de rectifier ces premiers critères. En ce qui concerne les nouveaux critères de la loi du 20 janvier 2014, il va falloir réaliser une appréciation de l'exposition des salariés à compter du 1er juillet 2016, date d'entrée en application du texte. Par contre, faudra-t-il prendre le seuil d'appréciation sur six mois et proratiser sur un an ? Les choses ne sont pas encore précisées. Ces éléments sont compliqués. Certains secteurs embauchent beaucoup de saisonniers. Comment apprécier leur exposition à la pénibilité ? Il y a de nombreuses petites questions, pour l'instant sans réponse. Certaines entreprises sont déjà parties sur un système d'évaluation de la pénibilité mais restent désormais attentistes au vu des nombreuses modifications qu'il y a eues. Surtout que certaines doivent investir dans des outils informatiques.
LMH : Allez-vous mettre en place un référentiel au sein de l'Adepale ?
N. P. : L'Adepale n'a pas de référentiel et nous n'envisageons pas d'en mettre un en place. Le référentiel est un catalogue de postes pénibles ou a priori pénibles. Mais face à la diversité des postes dans nos secteurs, créer un référentiel serait soit mettre en place une pénibilité statutaire soit a contrario exclure un salarié de ses droits parce que son poste n'est pas répértorié dans ce catalogue. Le référentiel aurait certes l'avantage de la simplicité mais risquerait d'être inéquitable. On ne voit pas comment faire dans la situation telle qu'elle est.