Chronique
Étiquetage de l’origine : vers une remise en cause du décret français ?
Saisi d’une demande d’annulation du décret français rendant obligatoire l’étiquetage de l’origine de la viande et du lait dans les produits transformés, le Conseil d’État a interrogé la CJUE, le 27 juin dernier, sur la possibilité pour les États membres de réglementer cette question à l’échelle nationale 1.
Saisi d’une demande d’annulation du décret français rendant obligatoire l’étiquetage de l’origine de la viande et du lait dans les produits transformés, le Conseil d’État a interrogé la CJUE, le 27 juin dernier, sur la possibilité pour les États membres de réglementer cette question à l’échelle nationale 1.
En Europe, le règlement 1169/2011 2, dit Inco, harmonise les règles applicables à l’étiquetage des denrées alimentaires et établit un principe de loyauté des informations transmises au consommateur final. À ce titre, l’indication de l’origine n’est obligatoire que lorsque son omission serait susceptible d’induire en erreur les consommateurs 3. C’est le cas, en particulier, si les informations jointes à la denrée, ou l’étiquette dans son ensemble, peuvent laisser penser que la denrée a un pays d’origine ou un lieu de provenance différent, ou si l’origine indiquée n’est pas celle de son ingrédient primaire 4.
La Commission européenne devait, au plus tard le 13 décembre 2014, présenter un rapport sur l’étiquetage de l’origine de certaines denrées, telles que la viande, le lait et les produits laitiers 5. Or, dans l’attente de telles précisions, les hypothèses où cette mention devient obligatoire se sont largement multipliées à l’échelle nationale 6.
Marge de manœuvre faible des États membres
Entre harmonisation et justification, la marge de manœuvre des États membres est faible. En principe, les États membres ne peuvent ni adopter ni conserver de mesures nationales, sur des questions harmonisées par le règlement Inco 7. Ils peuvent toutefois introduire des mesures sur l’indication obligatoire de l’origine de certaines denrées pour assurer la protection du consommateur, sous réserve de respecter deux conditions : un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine, ou sa provenance, et le fait que la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information 8.
En France, le décret no 2016/1137 du 19 août 2016 impose ainsi l’indication de l’origine du lait et des viandes utilisés en tant qu’ingrédient dans les denrées préemballées. Les opérateurs français sont, en principe, tenus d’indiquer le pays de collecte, de conditionnement et de transformation du lait 9. Notifié à la Commission, ce décret est applicable depuis le 1er janvier 2017… jusqu’au 31 décembre 2018, date à laquelle la Commission devrait analyser son impact sur le consommateur.
Demande d’annulation par Lactalis
Le Conseil d’État français a cependant été saisi, par la société Lactalis, d’une demande d’annulation de ce texte 10. Selon elle, la mention de l’origine est harmonisée par le règlement Inco, ce qui exclut la possibilité pour la France de réglementer la question 11. Elle soutient aussi que – quand bien même le règlement Inco laisserait la possibilité à un État de réglementer cette question 12 – l’existence d’un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance n’est pas démontrée. Mais le Conseil d’État ne pouvant pas interpréter les dispositions européennes, il s’est tourné vers la CJUE, pour l'interroger sur la portée des deux critères prévus par le règlement Inco pour l’adoption d’une mesure nationale visant à protéger le consommateur.
Bien que la CJUE ne soit pas en mesure de répondre à cette question préjudicielle avant la fin de l’expérimentation française (fin 2018) compte tenu des délais de procédure, sa saisine reste très pertinente au regard de la légalité de plusieurs autres mesures nationales en matière d’étiquetage de l’origine des denrées en Europe. Cette question est d’autant plus délicate, qu’au-delà de la stricte interprétation des dispositions du règlement Inco, elle met surtout en balance la protection de l’agriculture nationale et la libre circulation des denrées.
1 CE, 3e - 8e ch. réunies, 27 juin 2018, 404651
2 Règl. UE no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil d'État du 25 octobre 2011
3 Outre le cas de la viande bovine et des réglementations verticales (miel, vin, etc.)
4 Article 26 du règlement Inco
5 Ibid.
6 France, Italie, Grèce, Espagne, Italie, Lituanie, etc.
7 Article 38 qui précise « sauf si le droit de l’UE l’autorise »
8 Article 45 du règlement Inco
9 L’indication « UE » ou « hors UE » restant possible lorsque les étapes de production ont traversé les frontières de plusieurs États
10 CE, 3e - 8e ch. réunies, 27 juin 2018, 404651
11 Article 38 du règlement Inco
12 Article 39 du règlement Inco
LE CABINET KELLER & HECKMAN
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.