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Négociations commerciales
Egalim : « Nous avons réussi à moitié notre pari »

Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, nous a accordé une interview le 26 mars 2019. Il est revenu pour Les Marchés sur le bilan des négociations commerciales et sur les conséquences de la loi Alimentation. Des pratiques contestables ont encore eu cours, mais des progrès ont selon lui été constatés.

Didier Guillaume, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.
© Nicole Ouvrard

Les Marchés Hebdo : Les négociations commerciales pour les marques nationales sont terminées. Quels premiers retours en avez-vous ? Les indices de coût de production ont-ils été utilisés ? La théorie du ruissellement est-elle en train de se mettre en place ?

Didier Guillaume : Le climat a été un peu apaisé par rapport à l’année dernière, avec un comportement plus constructif des distributeurs. Les ordonnances sur le seuil de revente à perte et les promotions ont fait un peu changer les choses. Nous avons passé l’année une avec de nouvelles façons de négocier. Mais il y a encore eu des comportements critiquables : pratiques très contestables en matière de pénalités logistiques alors que la CEPC a publié le 6 février 2019 un guide de bonnes pratiques qui doit permettre d’assainir ces pratiques. La grande distribution a commencé par des propositions de baisses de tarif de 4 à 5 %, tandis que les industriels de l’Ania arrivaient avec des +8 ou +9 %. Cela n’a aucun sens. Les négociations ont démarré de la même manière, mais les comportements se sont rattrapés par la suite. Nous ne sommes pas encore assez satisfaits de ce qu’il s’est passé. C’est le début de quelque chose. J’espère que l’année prochaine on y arrivera, en allant bien au-delà des progrès constatés cette année. La commission d’enquête, qui a été proposée par le groupe LREM et UDI, Agir et Indépendants à l’Assemblée nationale sur les comportements de la grande distribution, permettra de mettre au jour et en transparence pour les consommateurs et les Français la manière dont se déroulent les négociations commerciales. C’est l’intérêt de cette commission d’enquête.

Les industriels de l’Ania arrivaient avec des +8 ou +9 %. Cela n’a aucun sens.

C’est la transparence qui m’importe. Nous avons réussi à moitié notre pari puisque les prix n’ont pratiquement pas augmenté pour les consommateurs, et que, dans les filières qui se sont mobilisées pour utiliser les outils de la loi, les négociations se sont mieux passées. Le premier round a montré que nous sommes sur le bon chemin. Mais l’année prochaine, il faut partir à l’envers. Pour cela, il faut que tout le monde soit au point. Or, cela n’a pas été le cas. Les filières n’ont pas toutes avancé à la même vitesse, notamment la viande qui a mis beaucoup trop de temps à définir ses indicateurs. En tout cas, les indicateurs de coût de production ont été pris en compte quand ils ont été publiés par les interprofessions. À ce stade, il est trop tôt pour évaluer quelle part des hausses de tarif obtenues reviendra aux producteurs agricoles. Nous allons lancer dans les prochaines semaines le dispositif de suivi et d’évaluation de ces mesures qui, je le rappelle, sont prises à titre expérimental et pour deux ans. Nous ferons tout pour inciter et aider les interprofessions et les organisations de producteurs à se saisir de ces opportunités pour faire évoluer les relations commerciales.

LMH : Les fournisseurs de la distribution craignent désormais les négociations concernant les marques de distributeurs (MDD). Comment le gouvernement peut-il veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérives de ce côté-là ?

D. G. : Au vu du poids des marques de distributeurs dans la consommation, les négociations des MDD sont très importantes et notamment pour les TPE/PME et ETI qui réalisent 80 % des ventes en valeur réalisées par les MDD. Je rencontrerai les enseignes de la grande distribution pour faire le point le moment venu. Je pense que les marques de distributeurs sont l’avenir pour les agriculteurs et les consommateurs. Si un distributeur veut sa confiture de fraise en marque propre, par exemple, il a intérêt à contractualiser avec les producteurs.

Les MDD peuvent être un vrai marché pour la montée en gamme des différentes filières

Les cahiers des charges des MDD peuvent être un bon levier pour accompagner la transformation des pratiques de production dont les objectifs ont été définis par les plans de filière élaborés par les interprofessions fin 2017. Je crois que les MDD peuvent être un vrai marché pour la montée en gamme des différentes filières. Dans la mesure où l’on met tout sur la table, nous faisons un nouveau comité de suivi début avril, les acteurs ne peuvent plus faire comme avant. Je ne vise pas seulement la GMS, mais toute la chaîne dans son ensemble. Je souhaite que le consommateur se fasse sa propre opinion.

LMH : Où en est le projet d’ordonnance sur les prix abusivement bas ? Les discussions autour du sujet sont-elles terminées ? Avez-vous trouvé un terrain d’entente avec les coopératives ?

D. G. : La concertation a duré très très longtemps. Le projet d’ordonnance relative à l’action en responsabilité pour prix abusivement bas va passer en conseil des ministres le 10 avril. Cela ne dépend plus de nous. Le choix d’insérer la disposition miroir « prix abusivement bas » applicable aux coopératives dans l’ordonnance relative à la coopération agricole et donc, dans le Code rural et de la pêche maritime, est le fruit de la concertation avec les représentants des coopératives, Coop de France. Nous avons eu des discussions assez tendues. Mais, nous ne pouvons pas considérer que 70 % des agriculteurs ne sont pas concernés par les prix anormalement bas. Coop de France disait qu’il n’y avait pas de relations commerciales, nous pensons que la relation entre un associé coopérateur et sa coopérative, qui n’est pas un contrat commercial, doit être couverte par la disposition sur les prix abusivement bas. Les coopérateurs ne peuvent pas échapper à cette disposition parce qu’ils représentent les deux tiers des agriculteurs. Finalement, nous nous sommes mis d’accord.

Les coopérateurs ne peuvent pas échapper à cette disposition

Un associé coopérateur pourra se plaindre d’un prix qu’il jugera abusivement bas, interpellé le HCCA, moi-même ou le médiateur. Il y aura une sanction financière si, après toutes ces étapes, le dossier est transmis au juge et si ce dernier en décide ainsi. Je suis sûr que ce cas de figure ne se produira pas, l’existence de la négociation et de la transparence dans les coopératives fait que je pense qu’il n’y aura pas ce genre d’interpellation. Nous allons tous avancer dans la direction de la montée en gamme. Je pense que tout cela va dans le bon sens.

Quand on aura fini, quand nos cinq ordonnances seront passées, quand on aura mis en place un nouveau HCCA, vous vous rendrez compte de tout ce qu’il se sera passé. Le monde agricole est celui qui évolue le plus dans notre pays. Vous vous rendez compte de ce que la loi leur fait faire, et à marche forcée !

LMH : Dans le cadre du grand débat national, la Feef propose que l’Autorité de la concurrence puisse limiter les concentrations financières et défensives et interdire les ententes et alliances conduisant à des regroupements dépassant 10 % de parts de marché dans un même secteur d’activité. Êtes-vous d’accord avec cette prise de position ?

D. G. : L’Autorité de la concurrence a précisé début janvier que la distribution est un secteur prioritaire pour ses actions 2019, notamment en ce qui concerne les centrales d’achat de référencement. La loi Egalim a renforcé le dispositif de contrôle des accords entre centrales d’achat en lui donnant de nouveaux moyens d’action. Elle peut maintenant, de sa propre initiative, effectuer un bilan concurrentiel de ces accords, a posteriori, lorsque l’accord est déjà en place. Puis, si elle estime le caractère de gravité suffisant, elle a la possibilité de prendre des mesures conservatoires contraignantes pour corriger les effets anticoncurrentiels. Concernant la proposition de la Feef, les juristes doivent s’assurer que cette disposition est conforme au droit.

LMH : Plus généralement, quelle part des 5 milliards d’euros promis à la filière agroalimentaire dans le cadre des états généraux de l'alimentation devrait revenir au maillon industriel ?

D. G. : Dans le cadre du volet agricole du GPI, l’axe 2 vise l’amélioration de la compétitivité de l’aval agricole avec notamment un soutien de la montée en gamme de l’aval agricole. Le montant fléché sur cet axe est de 1,6 milliard d’euros sur 2018-2022 à travers une gamme d’outils : fonds de garantie, offres de prêts sans garantie, apports en fonds propres, subventions ciblées, avances remboursables…

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