Concurrence : lorsque la DGCCRF se substitue à l'Autorité
La DGCCRF a mis en ligne en février 2016 un communiqué relatif à des pratiques relevées dans le secteur de la construction et de la rénovation de bâtiments d'élevage en Bretagne. Un GIE des filières d'élevage bretonnes et quatre associations départementales de professionnels de la construction de bâtiments agricoles avaient mis en place une charte de qualité, la qualité de signataire de cette charte s'acquérant en adhérant à l'une des associations signataires. Parallèlement, le conseil régional de Bretagne versait une prime aux éleveurs faisant appel aux entreprises signataires de la charte.
Pratique discriminatoire
Il est apparu que l'adhésion aux associations, condition de l'adhésion à la charte et donc du versement de la prime, était réservée aux seules entreprises ayant leur siège social en Bretagne. Dès lors, une pratique discriminatoire était constituée, consistant en une entente de nature à limiter l'accès au marché et contraire à l'article L.420-1 du Code de commerce : la pratique d'entente horizontale visant à entraver l'accès au marché au travers de conditions discriminatoires d'accès à une organisation procurant un avantage concurrentiel sur ce marché est interdite. Pratique illicite, donc, mais qui n'était guère utile, puisque la DGCCRF n'a constaté aucun effet sur le marché, la concurrence ayant malgré tout fonctionné. Aucune sanction n'a en conséquence été prononcée, les organisations en cause ayant simplement reçu injonction, et accepté d'apporter à leurs statuts les modifications qui leur ont été demandées.
Il est permis de penser que le sort de ces organisations aurait été moins enviable si l'Autorité de la concurrence, moins encline à la pédagogie qu'à la sanction pécuniaire, avait été saisie. Or, il semble bien qu'elle seule était compétente. L'article L.469-9 du Code de commerce autorise le ministre chargé de l'Économie, et donc la DGCCRF, à enjoindre aux entreprises de mettre un terme aux pratiques visées aux articles L.420-1 (ententes anticoncurrentielles) et L.420-2 (abus de position dominante ou de dépendance économique) ainsi qu'à transiger avec ces mêmes entreprises, mais à deux conditions : que le marché concerné par ces pratiques n'ait qu'une dimension locale et que le commerce entre États membres de l'Union européenne (UE) ne puisse être affecté. Or, si l'entente en cause favorisait incontestablement les entreprises de construc-tion dont le siège social était situé en Bretagne, elle avait avant tout pour objet, avec la complicité du conseil régional, d'écarter du marché les opérateurs dont le siège social était situé ailleurs, dans le reste de la France, voire dans l'ensemble de l'UE.
Le marché ne doit pas s'entendre comme étant le lieu d'exécution du contrat, mais comme le lieu de résidence ou d'action de l'ensemble des parties qu'il peut concerner.
Excès de pouvoir
Dès lors, au-delà du marché local des quatre départements bretons, c'est l'ensemble du marché français qui était concerné. De même, le fait que la pratique soit localisée dans une zone géographique délimitée n'empêche pas l'application du droit communautaire si elle est de nature à empêcher des entreprises établies dans d'autres États membres d'accéder au marché en question et donc à affecter le commerce entre États membres. Cela est d'ailleurs si vrai que la clémence de la DGCCRF vient ici de ce qu'elle a relevé que les pratiques n'avaient pas empêché la concurrence de jouer puisque des entreprises non signataires de la charte avaient pu intervenir.
Cet excès de pouvoir n'est pas une exception : il aurait pu être notamment relevé dans les affaires relatives aux vins de Savoie, du Languedoc ou de Loire, ainsi qu'à la saucisse IGP de Franche-Comté*. Dans chaque cas, le produit était, certes, local, mais pas le marché concerné. Faut-il s'en plaindre ? Cette extension du domaine de la lutte par la DGCCRF choque le juriste, mais a probablement profité aux organisations en cause.
*Voir LMH no 283 du 17 juillet 2015, page 15.
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