Comment compenser l’Ukraine sur le « sans OGM » ?
La guerre en Ukraine met à mal la sécurisation des approvisionnements en matières premières sans OGM pour la nutrition animale, ce qui rebat les cartes pour les filières qui tapaient à la porte.
Alors que de nouvelles filières s’étaient engagées vers l’alimentation non génétiquement modifiée pour les animaux d’élevage, notamment les volailles de chair label Rouge qui devaient toutes basculer fin mars, les volumes déjà engagés vont peiner à être réalisés. La guerre en Ukraine ajoute en effet des tensions sur des marchés déjà fragiles. La fraction la plus touchée est celle des protéines.
Historiquement, les principaux volumes de soja sans OGM venaient du Brésil, mais les cultures sans OGM y représentent désormais moins de 2 % de la sole, l’un des problèmes étant la productivité, d’un quart inférieur à celle du soja OGM, car la recherche variétale est désormais quasiment abandonnée.
De gros acteurs brésiliens sont d’ailleurs sortis du marché sans OGM pour se concentrer sur le soja « non déforestant », moins coûteux. « Les autres origines comme l’Inde et le Nigeria ont souffert de mauvaises récoltes et ont dénoncé leurs contrats, ce qui a mis le feu aux marchés dès l’été 2021 », explique Laurent Houis, directeur de Solteam, spécialisé depuis les années 1990 dans l’approvisionnement des filières sans OGM.
Les autres origines comme l’Inde et le Nigeria ont souffert de mauvaises récoltes
Laurent Houis, directeur de Solteam
Le soja du Danube est depuis toujours capté par les pays les plus proches, Suisse, Autriche et surtout Allemagne. Le soja sans OGM italien fait également l’objet de tensions croissantes, les pays du nord de l’Union européenne surenchérissant sur les prix, à tel point que les Italiens se plaignent de ne plus y avoir réellement accès, expliquait Lea Pallarini, directrice de l’Association des fabricants d’aliments pour animaux italiens (Assolzoo) à l’occasion du récent salon de Vérone (2-5 mars). Bilan, la prime sans OGM est passée pour le soja de 80 euros la tonne (€/t) en 2020 à 250, voire 300 €/t, surenchérissant le prix d’un soja déjà cher.
Ceinture sur le tournesol HiPro mer Noire
L’Ukraine ne produit pas de soja mais du tournesol et décortique ses graines de façon à augmenter le taux protéique pour obtenir du tournesol HiPro. Depuis une dizaine d’années, les fabricants d’aliments pour animaux français tentent de réduire leurs importations de soja, qui se sont stabilisées, toutes catégories confondues, aux environs de 3,5 millions de tonnes. À côté de nos productions de tourteaux de colza et de l’utilisation d’acides aminés de synthèse, ce tournesol HiPro d’origine mer Noire (Ukraine et Russie principalement) avait pris une place croissante dans leurs paniers de matières premières, flirtant avec le million de tonnes annuelles.
Or, souligne François Cholat, président du Snia et du GIE Qualimat Sud Est, il n’arrive plus dans un port comme Sète qui en reçoit de 80 000 à 90 000 tonnes par an habituellement. « Le 24 février, deux bateaux nous étaient destinés en mer d’Azov, l’un déjà chargé, l’autre en cours de chargement. Nous n’avons plus de nouvelles, rapporte Vincent Bergeret, secrétaire du GIE. Nous essayons d’en faire venir de Roumaine ou de Bulgarie, mais c’est très compliqué. »
Des productions françaises ?
Les projets de développement des cultures de soja en France s’adossent à des outils de triturations locaux. Les annonces de croissance des capacités des outils existants ou de nouveaux investissements se multiplient comme ceux d’Alicoop, de Maïsadour ou d’Oxyane, pour des capacités de 15 000 à 25 000 tonnes de graines. Mais la ressource en graine n’est pas à la hauteur de l’ensemble de ces projets. « Il faut dans tous les cas que les agriculteurs aient le temps de se réapproprier cette culture de soja », pointe en exemple Nicolas Coudry-Mesny, acheteur pour la Soal (Maïsadour) et président d’Eurofac qui représente les trois syndicats français de la nutrition animale au niveau européen.
Idem pour le tournesol : dans ce cas, ce sont les semences certifiées, pour beaucoup ukrainiennes, qui vont manquer. En France, seule l’usine de Bassens produit du tournesol HiPro. D’autres solutions « origine France » se profilent avec des protéines de féverole et de lupin, à l’instar de ce que Valorex propose dans sa nouvelle ligne inaugurée à Combourtillé (Ille-et-Vilaine) le 22 mars. Mais les volumes ne sont pas à la hauteur des défis du marché.