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« Le calcul des coûts de revient permet de connaître sa rentabilité », Laurent Rogier, vigneron

Calculer ses coûts de revient est indispensable pour connaître ses seuils de rentabilité et marges de manœuvre. Le Domaine du Pastre, dans le Vaucluse, a sauté le pas.

Laurent Rogier, vigneron du Domaine du Pastre, à Caromb dans le Vaucluse, a commandité une étude sur ses coûts de revient en 2017.
Laurent Rogier, vigneron du Domaine du Pastre, à Caromb dans le Vaucluse, a commandité une étude sur ses coûts de revient en 2017.
© C. de Nadaillac

Est-ce que ma façon de travailler est rémunératrice ? Combien de bouteilles dois-je vendre pour gagner ma vie ? Comment augmenter mes revenus via des ventes pérennes et valorisées ? Dois-je chercher des agents pour commercialiser mon vin ou augmenter le prix de mes bouteilles ? C’est toutes ces questions qui ont amené Laurent Rogier, vigneron du Domaine du Pastre, à Caromb dans le Vaucluse, à commanditer une étude sur ses coûts de revient en 2017.

Il faut dire que sa structure avait beaucoup évolué en peu de temps, et qu’il devenait nécessaire de faire un point. En 2005, Laurent Rogier s’est en effet installé sur les 9 hectares de vigne de son père, et a repris ses parts de cave coopérative. Tout de suite, il est passé en bio « par conviction ». Puis assez vite, en 2008, il est sorti de la coopérative. « Au départ, j’ai vinifié mes vins chez un voisin, se remémore-t-il. Mais en 2010, j’ai entrepris la construction de ma cave. » Et qui dit travaux, dit investissements.

Petit à petit, il a fait évoluer ses méthodes de travail, s’est adapté à son terroir. « J’ai par exemple une vigne qui 'crache'. Dessus, je fais maintenant du rosé, ou un rouge glouglou », illustre-t-il. Il a restructuré son vignoble, l’a palissé, a troqué les vendanges mécaniques pour des manuelles en palox et s’est mis à faire des vins nature. Il a développé une gamme contenant trois vins rouges, deux rosés et un blanc, distribués sur le circuit traditionnel.

La commercialisation a commencé à stagner, le signal

« Au début, j’ai fait comme tout le monde, indique-t-il. J’ai fait des tournées. Je partais par exemple en Savoie avec une palette. Mais derrière, c’était compliqué de réaliser le suivi. » Et à un moment donné, sa commercialisation a commencé à stagner. Parallèlement à cela, il s’est mis à douter de la bonne adéquation entre le travail fourni et sa rémunération, ainsi que de son positionnement prix. « Au départ, lorsque je me suis installé, j’ai placé mon prix/bouteille sur du haut de gamme, au niveau des domaines qui tournaient bien dans le secteur, explique-t-il. Mais j’ai été pas mal critiqué. » Était-ce donc le bon niveau de prix ? Ces nombreux questionnements ont été le détonateur pour Laurent Rogier.

Un coût de revient de l’ordre de 5 euros par col

Il s’est alors tourné vers Loïc Perrin, conseiller chez Terroir Conseil & Performance, afin de dresser un état des lieux de sa situation et de lister des actions prioritaires. Il lui a indiqué ses rendements (40 à 45 hl/ha), ses charges (à la vigne, au chai, administratives) ; lui a communiqué son positionnement prix, la répartition de ses ventes par circuit de commercialisation (60 % vente de vendange fraîche et environ 9 500 cols commercialisés). Loïc Perrin a alors calculé un prix de revient à l’hectolitre de vin produit. Il a réalisé des simulations de hausse de commercialisation, en budgettant une augmentation des frais commerciaux et un recours à un mi-temps à la vigne pour permettre un développement commercial.

 

 
La gamme du Domaine du Pastre comprend notamment un rosé, un blanc et deux rouges.
La gamme du Domaine du Pastre comprend notamment un rosé, un blanc et deux rouges. © C. de Nadaillac
« La première chose qui m’a surpris dans l’histoire, même si je m’y attendais un peu, c’est le coût de revient à la bouteille, de l’ordre de 5 euros avec un petit salaire, analyse-t-il. Je ne vois pas comment on peut trouver des bouteilles de bordeaux ou de côtes-du-rhône sur le marché à 2,50 euros TTC ! » Autre information : la rentabilité de la vente de vendange fraîche. L’analyse des coûts a en effet pointé que « la structure actuelle implique un coût à l’hectolitre de minimum 170 euros pour des vendanges mécaniques et 220 euros pour des vendanges manuelles : les ventes en vrac ne peuvent pas être rentables ».

 

L’étude lui a aussi permis de se fixer des objectifs, en termes de nombre de cols à écouler, afin de pouvoir se verser le salaire qu’il souhaitait ou pour mener à bien des investissements. « Loïc Perrin m’a par exemple expliqué qu’à partir de 40 000 cols commercialisés par an, je pourrais me verser le salaire auquel j’aspirais », détaille-t-il. Il lui a également livré des recommandations en termes de positionnement prix. Mais avec l’inflation actuelle, elles sont désormais caduques. Reste que cela donne un ordre de grandeur qui « me permettrait de savoir directement, en lançant une nouvelle cuvée, à quel niveau je pourrais la positionner », nuance le vigneron.

Afficher plus clairement son statut de vin nature

La prestation du conseiller ne s’est pas limitée à l’analyse des coûts de revient. « Loïc Perrin m’a par exemple recommandé de passer à la biodynamie, témoigne le vigneron. Il m’a expliqué que cela m’ouvrirait des marchés. Mais même si je suis le calendrier lunaire pour tous les travaux de chai (pressurage, soutirage, mise, etc.), je suis assez pragmatique. Je n’aime pas trop le côté ésotérique de la biodynamie. Et je n’ai pas trop le temps pour les décoctions, les tisanes, etc. » Le conseiller l’a également incité à revendiquer plus clairement son statut de vin nature, alors peu mis en avant. Un conseil plus facile à donner qu’à mettre en pratique. Quatre ans plus tard et malgré ses efforts, Laurent Rogier estime avoir toujours du mal à percer dans ce milieu très fermé. « J’espère arriver à exposer à la Dive bouteille cette année, confie-t-il. Cela m’aiderait à être reconnu en tant que producteur de vins nature. »

Parallèlement à cela, Loïc Perrin lui a prodigué des conseils commerciaux. Afin de gagner en efficacité, il l’a exhorté à davantage structurer ses ventes. Tout d’abord, en gérant plus efficacement son temps et en dédiant des jours au travail commercial. Puis en tenant un cahier des tâches commerciales à effectuer.

Mais quatre ans après cette étude, Laurent Rogier n’a pas beaucoup développé le commercial, faute de temps et d’appétence. Le travail du fichier client est très chronophage. Or il est seul sur ses 9 hectares. « Au départ, je me fixais une journée pour relancer des clients, expose-t-il. Mais c’était contre-productif : ils me disaient rappelez-moi demain pour l’un, rappelez-moi dans trois semaines pour l’autre. Je n’ai pas la possibilité de rappeler les gens à la demande. Si tel jour le sol est bien pour les travaux ou qu’il faut traiter, c’est prioritaire. » Il a également du mal à trouver de bons agents à qui déléguer le commercial. Pour lui, la manière la plus simple pour booster ses ventes reste la notoriété, qu’il espère développer via la participation à des salons réservés aux vins nature.

« La première chose qui m'a surpris sans l'histoire, même si je m'y attendais un peu, c'est le coût de revient à la bouteille. »

repères

Domaine du Pastre, à Caromb vaucluse

Surface 9 hectares

Encépagement grenache, cinsault, syrah, carignan, ugni blanc, grenache blanc

Dénominations AOP ventoux, IGP vaucluse

Vins nature

Production annuelle 350 à 400 hl

Prix caveau 2022 de 9,90 à 15,90 euros

Avis d’expert : Loïc Perrin, conseiller chez Terroir Conseil & Performance

« Remettre le commerce au centre du quotidien »

 

 
Loïc Perrin, conseiller chez Terroir conseil & Performance
Loïc Perrin, conseiller chez Terroir conseil & Performance © L. Perrin
« Ma mission au Domaine du Pastre consistait à remettre le commerce au centre du quotidien. Il y a deux manières de montrer l’importance de ce changement de paradigme : une démonstration par l’absurde (si on ne fait rien, voici à quelle situation inconfortable on arrive) ou par le factuel, en analysant et répartissant les coûts. J’ai opté pour cette dernière solution et ai affecté les coûts sur les différents domaines (viticulture, chai, administratif, commercial), en prenant en compte la rémunération réelle et surtout celle souhaitée du vigneron.

 

Et cela a montré ce qu’il fallait faire pour être plus à l’aise financièrement ; en dessous de quel seuil il ne fallait pas vendre (prix plancher). Face à cela, il y a ensuite plusieurs options : augmenter les rendements, augmenter le nombre de bouteilles commercialisées ou augmenter le prix de la bouteille. Nous avons aussi regardé les clients à qui Laurent Rogier vendait en dessous du prix plancher. Et essayé de voir comment passer du statut de producteur à celui de vendeur. C’est finalement un changement de perspective : comment s’organiser autour du commerce.

J’ai aussi insisté sur l’importance de l’authenticité, cela fait partie de la force commerciale des petits vignerons. Il ne faut pas qu’ils imaginent qu’ils vont être en costume et être en concurrence avec les commerciaux de chez Castel, ce n’est pas l’idée. »

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