Colloque Agrofinance
Flambée des coûts et changement climatique : l’agroalimentaire poussé à casser ses modèles
La période incite à des évolutions de rupture dans l’industrie agroalimentaire, selon les dirigeants d’Agrial, Avril et Novepan s’exprimant durant le Sial Paris 2022 au colloque Agrofinance.
La période incite à des évolutions de rupture dans l’industrie agroalimentaire, selon les dirigeants d’Agrial, Avril et Novepan s’exprimant durant le Sial Paris 2022 au colloque Agrofinance.
« Nous sommes convaincus que dans 15 ans, nous aurons complètement changé le modèle de nos industries agroalimentaires. Et ça ne se fera pas par petites améliorations, il va falloir casser les modèles, plus de rupture », estime Ludovic Spiers, directeur général du groupe coopératif Agrial, lors du colloque Agrofinance organisé par le groupe Réussir et AgroParisTech Alumni le 18 octobre au Sial. Malgré les difficultés liées aux crises sanitaires, puis à la guerre en Ukraine et désormais à la crise énergétique, et l’énorme enjeu du changement climatique, le dirigeant normand juge « la période enthousiasmante ».
Un changement majeur, des risques et des opportunités
Même état d’esprit chez Arnaud Rousseau, président du groupe Avril : « nous sommes à un changement majeur, cela représente à la fois des risques et des opportunités », exprime-t-il. A la tête d’un groupe plus petit, Novepan (alliance de 4 PME Graindor, Bionatis, Lubrano et Atelier du Pain, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires), spécialisé dans la panification, Jean-Manuel Lévêque estime aussi que la période exige d’ « être un peu rupturiste ».
« Nous sommes dans des cycles d’évolution permanente et ça devient structurel », analyse le président de Novepan. Et les chocs sont brutaux. « On paie la farine quasi le double d’il y a 18 mois et nous avons un site sur lequel la facture de gaz a été multipliée par six depuis le début de l’année », résume Jean-Manuel Lévêque. « Tout augmente en même temps ; nous sommes positionnés sur 11 productions, elles augmentent toutes », témoigne pour sa part Ludovic Spiers, soulignant qu’il s’agit dans le fond d’une bonne chose, « mais cela va sans doute trop vite ».
On paie la farine quasi le double d’il y a 18 mois
Le groupe coopératif subit par ailleurs de fortes hausses de prix sur les emballages avec des risques de rupture. « Sur l’énergie nous étions couverts à 60% pour cette année et 2023, mais sur les 40% sans couverture les coûts vont être multipliés par 4, 6 ou 8 », poursuit-il. Et pour le groupe coopératif présent également dans plusieurs pays européens s’ajoute la hausse automatique des salaires de 5 à 10% dans certains pays.
Un impact de la hausse des prix de l’énergie à plusieurs dizaines de millions d’euros
Le groupe Avril, qui a assez tôt investi dans la cogénération sur ses outils industriels, se montre plus résilient. « Mais sur le site du Mériot par exemple qui n’a pas de cogénération le différentiel du coût de l’énergie est de 40%. Globalement l’impact de la hausse des prix de l’énergie sera de plusieurs millions d’euros », nuance Arnaud Rousseau.
Une nécessité : transmettre les hausses de charges aux clients
Pour ces trois acteurs de l’agroalimentaire, une nécessité commune dans cette période très perturbée : pourvoir transmettre ces fortes hausses de charges à leurs clients. « Dans un souci de transparence et de réversibilité » précise Jean-Manuel Lévêque. Sur les matières premières agricoles, les loi Egalim 1 et 2 facilitent les choses, avec un peu de retard certes.
Il faut un bouclier tarifaire sur l’énergie
Mais pour les autres hausses de coûts, les négociations s’avèrent beaucoup plus compliquées. « Nous sommes à un moment critique, il faut un bouclier tarifaire sur l’énergie pour les exploitations agricoles et les industries agroalimentaires, où on a des arrêts de production », relaie Arnaud Rousseau.
Des stratégies énergétiques et logistiques en mutation
Pour autant, pas question pour Avril, Agrial et Novepan de lever le pied sur la RSE, face notamment au changement climatique, selon les dires de leurs dirigeants. Agrial ambitionne par exemple de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 35% d’ici à 2035 pour ses sites internes et Ludovic Spiers se sent plutôt optimiste sur le sujet. « On réduit nos émissions de quelques pourcents chaque année en revoyant nos process, on pense que la crise va être un catalyseur pour faire en deux-trois ans ce que l’on aurait fait en 20 ans », poursuit-il. Le groupe est encore dépendant à 40% du gaz pour son énergie et recherche des alternatives. Ludovic Spiers confie que le groupe a un gros projet de géothermie en Angleterre et y réfléchit aussi pour la France.
La crise ça va être un catalyseur
« Mais pour économiser nos émissions il va falloir aussi s’intéresser à la supply chain », avance-t-il. « Aujourd’hui nos agriculteurs apportent leurs céréales dans des dépôts de la coopérative, elles sont ensuite transportées dans des silos puis transformées en aliment du bétail renvoyé chez les éleveurs. Demain l’éleveur gardera sa production végétale, nous n’apporterons que le complément », anticipe le directeur général d’Agrial. Sur ces sujets, de jeunes salariés et les jeunes agriculteurs se montrent assez moteurs.
Demain l’éleveur gardera sa production végétale, nous n’apporterons que le complément
Le groupe Avril a bâti un plan RSE décliné sur 6 axes. Il vise par exemple une réduction de 30% de ses émissions de gaz à effet de serre et souhaite indexer ses investissements sur des critères RSE. « La RSE c’est vital et rendu encore plus nécessaire par l’actualité », témoigne aussi Jean-Manuel Lévêque. « L’augmentation des coûts ne doit pas faire passer au second plan la durabilité », affirme-t-il.
Usines recouvertes de panneaux photovoltaïques, géothermie
Pour réduire sa consommation d’énergie, Novepan réfléchit par exemple à couvrir le toit de ses usines de panneaux photovoltaïques. Mais les assureurs freinent face au risque d’incendie, regrette le dirigeant qui confie aussi travailler sur des projets de géothermie. Le groupe a adhéré au Pacte mondial des Nations Unies (Global compact) lui permettant de rejoindre un club d’entreprises engagées dans la RSE avec 17 objectifs de développement durable (ODD). « On bénéficie de synergies avec de grandes entreprises », se félicite Jean-Manuel Levêque, « c’est du concret ce n’est pas du greenwashing ».