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Interview d'Arnaud Rousseau
« La cote d’alerte est dépassée pour l’élevage français »

 Arnaud Rousseau, président du conseil d’administration d’Avril, tire la sonnette d’alarme sur la situation de l’élevage français, du Grand Ouest notamment, dans une interview réalisée début juillet en prévision du Space 2022. Il renvoie la responsabilité au consommateur en rappelant que pour attirer de nouvelles générations dans l’agriculture il faudra pouvoir proposer un revenu décent.

Arnaud Rousseau, agriculteur, Président de la Producteurs d’Oléagineux et de Protéagineux (FOP) et d’Avril Gestion
Arnaud Rousseau, agriculteur, Président de la Producteurs d’Oléagineux et de Protéagineux (FOP) et d’Avril Gestion
© Philippe Montigny

Que représente l’activité productions animales du Grand ouest de la France dans le groupe Avril ?

Arnaud Rousseau : Avril est l’entreprise industrielle et financière de la filière française des huiles et protéines. Elle célèbrera ses 40 ans en 2023. Elle est le fruit de l’engagement du monde agricole et du syndicalisme économique, qui a su bâtir un groupe international au service du développement de la Ferme France.

Après plusieurs années difficiles, le Groupe a renoué avec les bénéfices en 2018. En 2021, il a réalisé 6,9 milliards de chiffres d’affaires. Les productions animales qui réunissent les activités de Sanders et Mixscience, représentent en moyenne 20 à 25% de nos activités, soit environ 1,5 milliard d’euros. Le Grand ouest (Bretagne, Pays de la Loire, l’ancienne Basse Normandie) est une région importante pour le Groupe, avec 60% des volumes de Sanders. Il est le numéro 1 national de l’alimentation animale avec 15% de parts de marché, c’est la singularité de ce secteur très atomisé.

Les difficultés de l’élevage c’est une bonne nouvelle pour personne

Déjà trois mois que la guerre en Ukraine fait rage, et les cours des matières premières et de l’énergie explosent, quelles conséquences subissez-vous au niveau d’Avril et notamment au niveau de l’alimentation animale et des productions animales ?

Nous considérons que la cote d’alerte est dépassée pour l’élevage français. Depuis un an, la production de viande blanche est compliquée par l’influenza aviaire et le surenchérissement de l’aliment qui a dépassé les 450 euros la tonne. Pour les éleveurs, la Covid et le début de la montée des prix de l’aliment, puis la guerre en Ukraine ont encore aggravé une situation déjà très difficile.

C’est une bonne nouvelle pour personne. Ni pour les éleveurs, ni pour les producteurs de grandes cultures pour qui l’élevage est un débouché naturel. Ce n’est pas non plus une bonne nouvelle pour le climat, car si l’élevage disparaît, que fait-on des prairies. Leur utilité agronomique et leur rôle pour la captation du carbone sont essentielle, et ces espaces contribuent à l’attractivité touristique de notre pays Et ce ne sera pas non plus une bonne nouvelle pour le consommateur, avec moins de proximité et plus d’importations. Enfin, Sanders, comme l’ensemble des acteurs de la filière, subit les hausses de coût qu’il doit répercuter à ses clients, dans un contexte général de baisse des volumes. C’est difficile pour les équipes car les femmes et les hommes sur le terrain font le constat de ce mal-être dans l’élevage. Et quand vous aimez votre travail, et que vous voyez chaque semaine des éleveurs en difficulté, vous ne pouvez pas y être indifférents. Ce dépassement de la cote d’alerte a un mérite : se requestionner ensemble sur ce que l’on veut faire de l’élevage et du grand ouest, région numéro un de l’élevage.

La loi Egalim 2 vous aide-t-elle dans ce contexte ?

J’essaie d’être mesuré entre ceux qui disent qu’elle ne sert à rien et ceux qui disent que c’est une solution miracle. On a sanctuarisé la négociation de la matière première agricole, c’est une avancée. Après est-ce suffisant ? Non ! Cela n’a pas permis de rééquilibrer la donne. Mais nous ne connaissons Egalim 2 que dans le contexte de crise. J’ai envie de la voir dans une situation plus apaisée, pour autant qu’elle advienne. La relation difficile avec la grande distribution demeure. Pour l’heure donc la loi Egalim 2 n’est pas une totale victoire mais les choses se redressent. Le prix du lait s’est un peu apprécié. Est-il suffisant pour les éleveurs ? Certainement pas. Les prix de la viande connaissent un petit sursaut, il faut savoir reconnaitre les progrès. Mais le sujet des charges dérape complètement.

La question de fond est de savoir ce que les Français veulent faire de leur élevage

La question de fond est de savoir ce que les Français veulent faire de leur élevage. C’est le paradoxe : tout le monde veut de la naturalité, de la proximité, du local, mais on détruit l’élevage et on importe plus, et souvent avec des standards de production moins disant que ceux imposés à nos productions nationales. Je renvoie la responsabilité au consommateur. Il veut de la viande de qualité, des fromages de qualité… mais est-ce qu’il accepte d’en payer le prix ? Quand on parle de renouvellement des générations chez les agriculteurs, je ne crois pas que seule la passion suffise à embrasser le métier. Il faut proposer en face un revenu qui permette à chacun de vivre décemment de son métier.

La décapitalisation du cheptel, c’est aussi l’appauvrissement de l’aval des filières. Il faut que les outils industriels soient rentables. Produire moins de volume, c’est risquer de faire péricliter l’emploi sur le territoire. Or la dynamique de reprise économique passe par les territoires. On doit aussi s’interroger sur nos marchés de proximité, d’export ou du bio ; on ne doit renoncer à rien. Nous avons besoin de productions corrélées au marché et de politiques publiques qui continuent à accompagner les agriculteurs (politiques des collectivités territoriales, locales aussi…). Il faut trouver des relais de croissance. Je pense que le devenir de l’élevage français passe par sa contribution à l’économie du carbone et la valorisation de la fourniture d’engrais organiques. Enfin, par le progrès et l’innovation (baisse du gaz entérique, travail sur l’alimentation animale avec une empreinte carbone réduite…). D’où la nécessité d’investir durablement dans la recherche.

Les résultats de Sanders n’ont pas été très bon l’an dernier

Les aides annoncées par le gouvernement (plan de résilience) pour compenser la hausse des coûts au niveau de l’élevage vont-elles être suffisantes pour soutenir les activités productions animales dans le grand ouest ?

C’était nécessaire. Cela s’est mis en route rapidement. Mais est-ce suffisant ? La réponse est clairement non ! Le geste est fort et il s’agissait d’une question de survie. Cela a permis de passer le cap. Mais le problème n’est absolument pas réglé. La trésorerie des éleveurs est tendue d’où l’effort qu’a fait Sanders en investissant 6 millions d’euros dans son plan d’aides aux éleveurs. Avant la fin de l’année on fera le point. Les résultats de Sanders n’ont pas été très bons l’an dernier. Mais il y a quand même eu une volonté d’accompagner les éleveurs. C’est une décision du conseil d’administration.

C’est la force de faire partie d’un groupe comme Avril, avec un portefeuille d’activités complémentaires et un modèle qui repose sur le partage de la valeur. On se souvient que le végétal avait aussi rencontré une période difficile en 2017-2018-2019. Des efforts avaient été faits. Cet état d’esprit demeure. La raison d’être du groupe Avril c’est : « servir la terre ».

Assistez-vous déjà à une décapitalisation de l’élevage dans le grand ouest ?

Oui, et ce n’est pas récent. Cela fait déjà plusieurs années que nous assistons à une baisse du nombre d’élevages. Ce qui est nouveau, c’est l’accélération du phénomène.

Dans l’œuf, nous avons perdu plus de 110 millions d’euros

Sur la filière œuf, vous avez décidé de vous désengager, car vous perdiez trop d’argent, avez-vous eu le sentiment d’être abandonnés par les politiques publiques, de ne pas avoir été accompagnés dans les transitions agroécologiques ?

Quand vous êtes une entreprise vous ne vous sentez pas abandonnés, vous prenez vos responsabilités. Nous avons toujours respecté nos engagements. Jamais un contrat n’a été cassé. Mais nous nous sommes retrouvés pris entre nos engagements et la GMS qui refusait de passer les hausses. Depuis 2015, plusieurs plans de restructurations se sont succédés. Ils n’ont hélas pas suffi à redresser la situation de Matines. Et au final, nous avons perdu plus de 110 millions d’euros en pertes cumulées. Il valait mieux restructurer plutôt que persévérer. Mais aucun éleveur ne verra ses contrats cassés, je veux que ce soit redit.

« Il n’y pas de recul d’Avril sur l’animal, c’est tout le contraire »

Avec le rachat de Soufflet alimentaire, vous vous renforcez dans le végétal, avec de fortes ambitions. Certains y voient un désengagement progressif d’Avril des productions animales, que répondez-vous ?

Nous sommes toujours n°1 de l’alimentation animale en France. Notre ambition dans le secteur demeure. C’est d’ailleurs un des quatre axes de développement d’Avril dans le cadre des nouvelles orientations stratégiques. J’attends une restructuration de ce marché et nous en serons un acteur de référence. Rappelons également que Sofiprotéol, notre société de financement, investit un peu plus de 220 millions d’euros dans l’animal sur 550 millions d’euros d’engagements (soit 40% de ses capitaux). Elle intervient au niveau de la recherche, de la technique, des vaccins…. Je comprends parfois les inquiétudes des éleveurs mais quand une entreprise a 40% de capitaux investis dans l’animal, je ne considère pas qu’elle s’en désengage. Il n’y a pas de recul sur l’animal, c’est tout le contraire.

En revanche, on veut restructurer et contribuer à la consolidation de grands acteurs français, comme nous l’avions fait avec Doux. C’est ce que nous venons de faire en porc pour Abera que l’on a ancré au leader du marché (Bigard, ndlr). Nous avons fait le choix de nous recentrer sur nos métiers historiques. C’est ainsi que le Groupe continuera de faire gagner la Ferme France.

Le modèle de l’élevage français comme l’ensemble de l’agriculture est confronté à l’enjeu du renouvellement des générations, comment attirer les néoruraux ou les jeunes ?

Notre ADN c’est de construire des filières. Et c’est la force du modèle d’Avril. Le développement R&D dans le cadre de la troisième révolution agricole est aussi très important. Comment rendre nos métiers attractifs ? Avec des sauts technologiques à l’amont. Le secteur de l’élevage a beaucoup évolué ces 30 dernières années. Nous voulons montrer que l’agriculture c’est une partie des solutions pour la captation du CO2 dans les prairies, la biodiversité

L’élevage français est une carte maîtresse dans le jeu. On devra aussi répondre à des exigences en termes de production, de performances, répondre aux attentes du consommateur et aux attentes sociétales ou encore au changement climatique. On réfléchit aussi à d’autres sujets comme la décarbonation de l’alimentation animale. Nous faisons des progrès importants pour déterminer le bilan carbone. Il faut arriver à valoriser cette captation de carbone et en faire un complément de revenu pour les entrepreneurs du vivant que nous sommes. Nous réalisons aussi un travail important sur le sourcing des matières premières ; on recherche notamment du soja qui ne déforeste pas. Nous travaillons en R&D pour d’ici 5 à 10 ans sortir des solutions concrètes, au service des transitions agricole, alimentaire et environnementale.

D’une manière générale comment voyez-vous personnellement le métier d’agriculteur évoluer à court terme en France ?

Je suis par nature optimiste. Et je note des premiers signaux encourageants. Je trouve qu’en quelques années on a retrouvé du crédit dans l’opinion. Il y a deux ou trois ans, on parlait beaucoup d’agribashing, ça a quand même bien diminué. Avec la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine, nos concitoyens, et d’abord nos dirigeants, ont pris conscience de l’importance stratégique d’une agriculture forte et de son rôle dans la souveraineté de notre pays et du continent européen. La question de la rentabilité reste centrale. De surcroît, nous avons l’opportunité de pouvoir expliquer les vertus de notre métier et d’inscrire durablement l’agriculture comme une solution aux défis de la planète.

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