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La rafle de raisin, une matière avec de nombreux atouts

Moins d’alcool et plus de complexité, c’est ce qu’apporte la vinification avec les rafles quand elle est bien maîtrisée. Explications.

La rafle, quand elle est bien utilisée, apporte fraîcheur et complexité. De plus en plus de vignerons y reviennent.
La rafle, quand elle est bien utilisée, apporte fraîcheur et complexité. De plus en plus de vignerons y reviennent.
© F. Massie/Derenoncourt consultants

Et si l’utilisation de la rafle en vinification était une partie de la solution aux problématiques actuelles ? L’idée fait son chemin. En 2016, Blandine Cretin rédige une thèse sur les « déterminants moléculaires contribuant à l’équilibre gustatif des vins secs », dirigée par Axel Marchal, à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de Bordeaux. Il en ressort, entre autres, que la rafle contient 95 % de l’astilbine, une molécule responsable de la sucrosité, présente dans une grappe. D’autres marqueurs de la texture et de la fraîcheur des vins y sont aussi identifiés. C’est ce qui a poussé le cabinet de conseil Derenoncourt consultants à engager des travaux en « mettant de côté les idées reçues pour se focaliser sur les ingrédients ». Des tests avec témoins ont ainsi été réalisés sur six propriétés de cinq appellations distinctes. En 2019, les premiers essais ont été destinés à la compréhension du fonctionnement de la rafle en vinification et à son intérêt selon son cépage. « Car on a tendance à se dire qu’une rafle est une rafle, mais peut-être qu’il y a des différences entre elles », observe Frédéric Massie, consultant associé. Et effectivement, il existe des écarts significatifs en termes de composés.

Des composés qui dépendent du terroir et du millésime

Les premiers résultats ont démontré par exemple que le merlot est beaucoup plus riche en astilbine et en salicylates (notes mentholées) que le cabernet sauvignon. Les données recueillies en 2020, uniquement sur merlot cette fois-ci, ont montrées quant à elles qu’il y avait de grandes disparités entre les domaines, mais aussi entre deux millésimes. Les analyses sensorielles de macérats de rafles avec un nez parfumeur ont d’ailleurs fait ressortir une palette d’arômes très vaste, allant selon les propriétés de l’abricot à la réglisse en passant par les fruits secs et le thé. Les dernières analyses de composés réalisées par le laboratoire Excell montrent également que la composante terpénique est davantage présente que l’on pourrait le penser dans les rafles. Frédéric Massie en est convaincu : ces morceaux de bois sont un atout non négligeable pour amener de la complexité aux vins. Un avis partagé par Olivier Dauga, consultant indépendant, qui l’utilise de plus en plus couramment depuis une quinzaine d’années. « Ça peut être un bon élément organoleptique, assure-t-il. En goûtant de très vieux millésimes, on se rend compte que ça sort très bien. Les rafles apportent des notes de tabac, de cèdre, plus de fraîcheur, de tension, de subtilité. »

Et l’aspect organoleptique n’est pas le seul atout. Les rafles, qui sont composées de 60 à 80 % d’eau et qui représentent 5 % du poids de la vendange, entraînent une baisse du degré alcoolique. Que ce soit de façon mathématique, par dilution, mais aussi bien par absorption de l’alcool. La perte en éthanol est généralement comprise entre 1,5 et 6 %. Sur l’une des propriétés suivies par Derenoncourt, cela a été jusqu’à quasiment un degré de moins sur le lot avec les rafles. Le pH du vin quant à lui augmente, mais la hausse est très modérée puisque cela se joue en moyenne sur deux centièmes. « Les rafles participent aussi à l’apport de molécules antioxydantes, dont des polyphénols, ainsi que d’éléments minéraux, ajoute Frédéric Massie. Attention toutefois, ces nutriments sont bons pour la fermentation alcoolique mais peuvent également profiter aux bretts ! » De nombreux vignerons qui pratiquent la vendange entière rapportent par ailleurs des bénéfices dus aux propriétés physiques d’un marc avec des rafles : un pouvoir tampon plus important (pour la température par exemple) et un meilleur drainage, facilitant l’écoulage.

Utiliser la rafle comme on utilise une épice

Et que ceux qui craignent d’apporter de la verdeur se rassurent, « bien travaillée la rafle masque le caractère végétal du vin », affirme Frédéric Massie. L’une des parcelles d’essai en médoc a donné en 2021 des vins très verts. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela était moins prononcé sur modalité avec ajout de rafle. « Nous avons fait des tests triangulaires en demandant aux dégustateurs de trouver quel était le vin éraflé, relate le consultant. Ils ont systématiquement trouvé quel était le vin différent, mais ont confondu la modalité de test de rafles avec celle égrappée. » Bien entendu, cela dépend en partie du dosage. Au-delà d’un certain pourcentage les risques d’apporter des caractères végétaux ou herbacés sont réels. « Je vois cela comme une petite épice, illustre Olivier Dauga. Pour moi il vaut mieux parfois quelques rafles que des copeaux quand la grappe est jolie et bien lignifiée» Cette notion de maturité de la rafle est toutefois complexe à aborder.

Chez Derenoncourt consultants, Frédéric Massie a conclu de ses études qu’il est impossible de les discriminer visuellement. Notamment parce que seul le pédoncule, qui représente une proportion minime de l’ossature, se lignifie. En Suisse, les chercheurs de l’Agroscope et de l'école de Changins ont quant à eux trouvé que le niveau de maturité, tout comme le terroir, influencent la composition, mais pas de façon principale. « Selon nos essais, la lignification améliore notamment l’extraction des polyphénols totaux de 17 %. Lorsque la rafle n’est pas mûre, cela n’apporte pas trop de végétal mais plutôt de l’astringence, témoigne Benoît Bach, en charge cette expérimentation. Mais même dans ce cas, un ajout de 10 à 20 % de rafles peut être intéressant. »

Davantage de structure et une meilleure stabilité au rendez-vous

Son travail sur la rafle comprenait deux parties. Une théorique en laboratoire, où il a récupéré des rafles de différents cépages et simulé des extractions en solution modèle. Et une pratique où il a utilisé de la rafle (sous forme de vendange entière ou de rafle) de gamay et gamaret en vinification à la cave expérimentale de Changins. « Et nous avons obtenu des résultats bluffants. Les profils aromatiques des vins travaillés avec des rafles sont différents, relate le chercheur. Cela a aussi un impact impressionnant sur la structure. Les rafles augmentent l’IPT et ont un intérêt pour stabiliser les vins grâce à leurs capacités oxydatives supérieures. Il y a des choses à faire. » Il note toutefois que les résultats sont très dépendants du cépage, il a un impact primordial sur les qualités polyphénoliques des rafles. Certains cépages sont riches, d’autres pas. Cette technique semble par exemple plus intéressante sur gamay que sur gamaret. Sur le premier cépage, les vins se sont avérés très fruités avec de la vendange entièrement éraflée. Mais avec un peu de rafles, ils ont gagné en corps et en structure ; ils avaient davantage de tanins et un côté presque boisé.

Une pratique à adapter en fonction du profil et des marchés

Ainsi les chercheurs suisses sont arrivés à des conclusions similaires à celles des consultants français : l’ajout de rafles, que ce soit sous forme de vendange entière ou de rafles seules, semble améliorer aussi bien la structure que l’aromatique des vins. Notamment par un supplément de fraîcheur, de fruité. « Mais ces résultats sont à affiner », tempère Benoît Bach. Et de rappeler également que la règle reste de faire attention à ce qu’elles n’apportent pas trop de verdeur et d’astringence, en jouant sur le pourcentage d’apport et sur le niveau de maturité. « Nous ne sommes pas allés plus loin, mais il y a sûrement des choses à faire notamment sur l’assemblage », estime le chercheur. Du côté de Derenoncourt consultants, l’étape suivante est un projet de fiche technique très concrète à destination des vignerons, sur l’utilisation des rafles. Dans quel cas l’utiliser et que peut-on en attendre ? Comment gagner des arômes et de la consistance tout en combattant le végétal ? Pour Olivier Dauga en revanche, on peut faire toutes les études et analyses que l’on veut, rien ne vaut le bon sens vigneron. « Il faut se faire confiance, toucher et sentir la matière : si on le sent, n’hésitons pas à en mettre, lance-t-il. Peut-être pas partout, mais sur certaines cuvées cela permet de sortir de la standardisation et d’explorer de nouveaux profils. En plus les goûts et les attentes évoluent, c’est le bon moment ! » S’il reste beaucoup à acquérir, les options sont donc d’ores et déjà nombreuses.

 

 
L'analyse sensorielle des macérats de rafles a fait ressortir une palette d'arômes très vaste, allant de l'abricot à la réglisse.
L'analyse sensorielle des macérats de rafles a fait ressortir une palette d'arômes très vaste, allant de l'abricot à la réglisse. © Derenoncourt consultants

 

Et les résidus phyto dans tout ça ?

Lors des études menées par Derenoncourt consultants en 2019, le laboratoire Excell a été mis à contribution pour vérifier que l’ajout des rafles lors de la vinification ne s’accompagne pas d’un transfert indésirable de résidus phyto en cuve. La conclusion est claire : la rafle n’apporte pas de pesticide dans les vins. Si elle contient des résidus dans une proportion par kilo légèrement supérieure aux baies, son poids final est négligeable en comparaison. Un suivi phytosanitaire du raisin jusqu’au vin fini a de plus montré qu’il n’y a, toutes choses égales par ailleurs, aucune différence significative entre les cuves avec ou sans rafles.

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