« Le bail rural a sa propre logique qui n’est pas adaptée à l’agrivoltaïsme »
A la demande d’un groupe de parlementaires, un groupe de travail dirigé par Benoît Grimoprez, professeur à l’université de Poitiers et expert en droit rural, vient de proposer un nouveau modèle de contractualisation entre les acteurs de l’agrivoltaïsme, excluant le bail rural. L’un des enjeux : permettre le partage de la valeur. Interview.
A la demande d’un groupe de parlementaires, un groupe de travail dirigé par Benoît Grimoprez, professeur à l’université de Poitiers et expert en droit rural, vient de proposer un nouveau modèle de contractualisation entre les acteurs de l’agrivoltaïsme, excluant le bail rural. L’un des enjeux : permettre le partage de la valeur. Interview.
Réussir : Pouvez-vous redonner le contexte de l’étude parue le 18 octobre dans la Semaine juridique notariale et immobilière sur le champ contractuel des possibles pour l’agrivoltaïsme ?
Benoît Grimonprez : Un groupe de parlementaires transpartisan m’a saisi en mai 2024 pour réfléchir à un modèle de contractualisation en matière d’agrivoltaïsme autre que la seule proposition émise par la FNSEA (un bail rural à clauses agrivoltaïques) qui ne semblait pas complètement aboutie. L’un des éléments du cahier des charges était de trouver une solution qui permette une rémunération pour l’activité agrivoltaïque à 50-50 entre le propriétaire et l’agriculteur.
Un des éléments du cahier des charges : trouver une solution qui permette une rémunération de l’activité agrivoltaïque à 50-50 entre le propriétaire et l’agriculteur
Réussir : Aujourd’hui le schéma le plus fréquent est basé sur un bail emphytéotique entre le propriétaire et l’énergéticien et un prêt à usage de la parcelle accordé par l’énergéticien à l’exploitant agricole ainsi que la souscription d’un contrat de prestation de service. Pourquoi cette solution n’est pas idéale selon vous ?Quel est l’inconvénient pour l’agriculteur ?
Benoît Grimonprez : Ce schéma est très utilisé car l’énergéticien a besoin d’un bail à long terme sur le sol pour obtenir un crédit d’où le bail emphytéotique avec le propriétaire. Le prêt à usage permet de donner à l’agriculteur en place un droit de jouissance mais la relation n’est pas sécurisée. Le prêt à usage peut être rompu à tout moment. L’agriculteur se retrouve à la merci de l’énergéticien qui peut décider de changer d’agriculteur, ce qui menace la sécurité de l’exploitation agricole avec des problématiques engendrées sur la transmission et un effet spéculatif possible sur le foncier.
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Réussir : Des députés, reprenant l’idée de la FNSEA, portent une proposition visant à instaurer un bail rural à clauses agrivoltaïques. Pourquoi ce n’est pas une solution idéale selon vous notamment pour l’agriculteur ?
Benoît Grimonprez : Ce n’est pas le schéma idéal car il ne sera pas utilisé en pratique. Les énergéticiens n’ont pas intérêt à l’utiliser puisqu’ils peuvent l’éviter en donnant une jouissance gratuite à l’agriculteur. Et ce schéma ne règle pas le problème d’articulation entre les durées des deux baux (emphytéotique et bail rural). Autre problématique dans ce schéma l’agriculteur ne peut pas être rémunéré pour l’agrivoltaïsme, la notion de partage de la valeur ne peut pas être satisfaite.
La souplesse est importante pour qu’il y ait une relation agrivoltaïque dynamique et évolutive
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Réussir : Dans votre étude vous proposez une solution qui ne passe pas par le bail rural, auquel les agriculteurs sont pourtant très attachés, pourquoi ?
Benoît Grimonprez : Le bail rural est un statut d’ordre public même si on peut l’aménager il a sa propre logique qui n’est pas adaptée à un schéma agrivoltaïque. Pour la simple et bonne raison que le bail rural concerne deux parties alors que l’agrivoltaïsme implique trois acteurs. Par ailleurs le bail rural manque de souplesse dans sa formation notamment quant à sa résiliation ou sa transmission. Or la souplesse est importante pour qu’il y ait une relation agrivoltaïque dynamique et évolutive (position des panneaux, rendements des cultures…). Il faut une solution permettant une gestion adaptative de la relation. Les contraintes du bail rural sont selon nous irréconciliables avec les contraintes de l’agrivoltaïsme.
Les contraintes du bail rural sont selon nous irréconciliables avec les contraintes de l’agrivoltaïsme.
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Réussir : Quelle solution proposez-vous à l’issue de votre étude ? Quelle est son intérêt pour l’agriculteur ?
Benoît Grimonprez : Notre solution se divise en deux contrats : un contrat emphytéotique entre l’énergéticien et le propriétaire et un contrat réel entre l’énergéticien et l’agriculteur. Ce contrat réel donne à l’agriculteur un droit réel de jouissance sur le sol pour cultiver et le soumet à une obligation réelle agricole pour que l’activité agricole perdure. Il pourra être rémunéré en contrepartie de cette obligation. L’intérêt pour l’agriculteur se situe à plusieurs niveaux :
- Il permet un partage de la valeur au même niveau entre le propriétaire et l’agriculteur
- Le droit réel sur le sol est supérieur en termes de sécurité au statut du fermage
- Ce droit réel est cessible par l’agriculteur même en dehors du cadre familial ce qui permet d’assurer la pérennité des exploitations
- On peut faire coïncider la durée du bail emphytéotique avec celle du contrat réel.
A priori cette solution ne présente pas d’inconvénient pour les agriculteurs.
Notre solution se divise en deux contrats : un contrat emphytéotique entre l’énergéticien et le propriétaire et un contrat réel entre l’énergéticien et l’agriculteur
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Réussir : Vous avez toutefois souligné qu’elle pouvait éventuellement contribuer à renforcer une certaine pression sur le foncier…
Benoît Grimonprez : Oui effectivement, le contrat réel étant cessible sur le marché avec un pas de porte potentiel, il faudrait sûrement mettre en place des outils de régulation pour réduire l’effet spéculatif. On pourrait par exemple imposer une notification à la Safer.
Réussir : Avez-vous présenté l’étude aux députés et aux professionnels agricoles ? Quel accueil en attendez-vous ?
Benoît Grimonprez : Nous l’avons présenté au groupe de parlementaire et nous le ferons à un groupe de parlementaires élargi prochainement. Je n’ai pas eu l’occasion de le présenter à des responsables professionnels agricoles mais je le ferai si on m’y invite. Nous n’avons rien à gagner, notre but est seulement de proposer une solution équilibrée. Le groupe de réflexion qui comprend aussi des avocats et notaires ayant travaillé sur des contrats liés à l’agrivoltaïsme pense que cette solution peut améliorer les choses. Après nous sommes conscients de la barrière psychologique et politique liée au fait de se passer du bail rural. Le bail rural est vu comme sécurisé. Le contrat que l’on propose est un peu plus libéral et cela peut faire peur.
Mais face à des projets agrivoltaïques innovants il faut des schémas innovants. On ne peut pas réguler des relations nouvelles avec de vieux schémas. On a fait preuve d’imagination.
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