Créer une exploitation viticole hors cadre familial
Le domaine Arica s'est installé sur l'île de Ré hors cadre familial. Pour trouver des solutions juridiques, fiscales et sociales adaptées à leur projet, Marine Houttemonne et Simon Pitoizet ont travaillé avec le cabinet Aucap-Terravéa, spécialiste du secteur viticole.
Le domaine Arica s'est installé sur l'île de Ré hors cadre familial. Pour trouver des solutions juridiques, fiscales et sociales adaptées à leur projet, Marine Houttemonne et Simon Pitoizet ont travaillé avec le cabinet Aucap-Terravéa, spécialiste du secteur viticole.
Se lancer sans capital de départ, sur une île touristique mais dont le terroir viticole n’est pas vraiment réputé, c’est le projet entrepris par Marine Houttemonne et Simon Pitoizet en créant le domaine Arica, à La Couarde-sur-Mer, sur l’île de Ré en 2018. Originaire de l’île, Marine Houttemonne souhaitait s’en rapprocher. Mais surtout, tous deux étaient convaincus du potentiel agronomique et commercial du terroir rétais. « Il y a une clientèle touristique à fort pouvoir d’achat recherchant une offre qualitative de proximité », résument-ils. Leur projet est en rupture par rapport au modèle viticole actuel de l’île : vente 100 % en bouteille avec un objectif de 60 % au caveau ; pas d’apport à la cave coopérative Uniré qui gère la totalité de la production rétaise, à l’exception d’un domaine indépendant ; positionnement haut de gamme entre 12 et 19 euros alors que les vins d’Uniré sont vendus de 2,50 à 13 euros ; spécialisation sur le vin IGP charentais île de Ré et arrêt progressif de la production de moût pour cognac.
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Une étude de marché pour positionner les futurs vins
Ingénieurs agro et œnologues, Marine Houttemonne et Simon Pitoizet ont commencé à réfléchir à leur projet en 2014, alors qu’ils étaient chacun en poste dans le Sud-Est de la France, chez des prestataires (tonnellerie, conception de chai). Pour conforter leur intuition, ils ont réalisé une véritable étude de marché détaillant l’offre actuelle en profils de vins et prix. Ils ont cerné de nouvelles attentes au sein de la population de l’île, qui se multiplie par neuf en saison estivale, et du côté de La Rochelle.
Partant de zéro, ils ont cherché un accompagnement global. Originaire de Bourgogne, Simon Pitoizet connaissait le cabinet Aucap, spécialiste du secteur viticole. L’éloignement géographique s’est avéré être un atout. « Nous n’avions aucun a priori sur la vie locale, pas de parti pris », soulignent Alexandra Munnier et Hervé Pluyaut, conseillers chez Aucap. L’étude de marché très complète, allant jusqu’à établir des simulations de prix, leur a permis de gagner du temps. « Nous étions à distance, mais nous avions les codes », sourit Hervé Pluyaut.
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Une aide pour optimiser la recherche de financement
Le rêve a pu se concrétiser grâce à Gilles Brullon, un viticulteur apporteur à la cave coopérative et producteur de pommes de terre à la Couarde-sur-Mer, en recherche de transmission pour ses neuf hectares de vignes en IGP et neuf hectares d’ugni blanc dédiés au cognac. Séduit par la démarche de Marine et Simon, il s’investit pleinement pour en faciliter la réalisation. Le projet impliquait l’achat des moyens d’exploitation, la location des vignes avec des plantations à réaliser (densification, nouveaux cépages), la construction d’une cuverie et d’un caveau de vente, le passage en bio. L’investissement était budgété à plus de 1 million d’euros sur cinq ans. « Il fallait être armé pour aller chercher des financements », souligne Simon Pitoizet.
S’investir dans la préparation du plan prévisionnel
Le cabinet Aucap a beaucoup travaillé sur le plan prévisionnel. Il souligne l’importance d’un plan solide pour convaincre les banquiers mais aussi pour le pilotage et la réussite du projet. « Les budgets ont été établis sur de vrais devis », souligne Marine Houttemonne. « Nous leur avons conseillé de ne pas commencer à aller voir les banques tant que le projet n’était pas ficelé, avec un business plan établi », témoigne Alexandra Munnier. « Notre conseil a été aussi d’envoyer le projet à toutes les banques en même temps, pour que tous les interlocuteurs réagissent par rapport au même dossier », détaille Hervé Pluyaut.
Pour établir le plan, Aucap a préconisé de sous-estimer l’évaluation des rendements par rapport à ceux obtenus en moyenne par leur prédécesseur et de diminuer le chiffre d’affaires de la commercialisation en bouteilles en prévoyant de vendre 25 % du vin en vrac. Ainsi, ils disposaient d'une marge de sécurité. L’accompagnement les a aussi aidés à savoir défendre leur projet face aux banquiers. Ils ont pu ainsi décrocher le soutien d’un partenaire bancaire.
Une évolution programmée de la structure
Confiant sur le projet, Aucap a dissuadé Simon Pitoizet d’opter pour un statut de double actif afin qu’il puisse s’investir à fond. D’un point de vue juridique, Aucap a préconisé une simple EARL plutôt qu’une SAS ou SARL. « Ce schéma traditionnel agricole leur permettait de bénéficier du parcours jeune agriculteur, d’abattements fiscaux et d’aides FranceAgriMer. Il facilitait aussi leur reconnaissance auprès de la chambre d’agriculture et des organisations professionnelles agricoles », commentent les conseillers d’Aucap. L’EARL a été lancée en novembre 2018 avec une cogérance partagée à parts égales entre Simon Pitoizet et Marine Houttemonne. « L’EARL suffit aujourd’hui. Cela nous permet de tout faire. Mais dès le départ, nous savions qu’à l’issue des quatre ans de parcours jeune agriculteur, nous devions évoluer. Il va falloir diviser exploitation et commerce, ça va être nouveau. Le fait de l’imaginer et d’en parler assez tôt, de comprendre pourquoi nous le faisons, c’est important », estiment les deux vignerons. La constitution d’un GFA pour supporter l’achat du foncier et la propriété du futur bâtiment est prévue depuis le début.
Evaluer la capacité à embaucher de façon durable
Si, commercialement, tout se déroule au mieux, Aucap doit se pencher sur une évolution de l’aspect fiscal car la construction du bâtiment a été retardée pour des raisons administratives. À l’inverse, l’exploitation a pu acquérir un nouveau pulvérisateur et une écimeuse plus tôt que prévu. Face au manque de temps, Marine et Simon ont ressenti le besoin d'embaucher rapidement pour poursuivre l'essor de leur entreprise et déléguer certaines tâches. « Nous ne tirons pas de revenus pour l’instant. Nous n’avions pas de notion de ce que l’on peut payer en salaires. Avoir une vision extérieure est très important », explique Simon Pitoizet. Ils ont donc consulté Aucap sur leur capacité à s’engager sur des contrats à durée indéterminée et sur les niveaux de salaire possibles. « Ils ont été rassurants », se réjouit Marine Houttemonne. Le domaine a donc pu recruter deux salariés locaux et participer encore un peu plus à la vie économique de l’île.
Alexandra Munnier et Hervé Pluyaut, experts-comptables chez Aucap-Terravea, membre du groupement AgirAgri
« Nous avons mis des garde-fous »
« Ce projet montre qu’il est possible de faire quelque chose même dans un vignoble où il n’y a pas la renommée de grands crus, avec une approche qualitative, bien réfléchie et cohérente. Ils avaient des idées dans la tête, il fallait juste les organiser ! La fréquence des accidents climatiques nous incite à être très prudents lors de l’établissement des plans prévisionnels. Dans le cas du domaine Arica, il y a peu de risques de gel et de grêle. Malgré tout, nous avons mis des garde-fous sur les prix et les coûts pour sécuriser le financement. Si les résultats commerciaux n’avaient pas été à la hauteur des attentes, il y avait un plan B.
Mais les prévisions ont été dépassées. Le rythme de vente est rapide. Il n’y a pas ce délai d’un ou deux ans d’élevage comme on l’a en Bourgogne. Ainsi, le fonds de roulement a pu vite se constituer. Nous devons toutefois adapter l’aspect fiscal. Nous avions prévu, côté charges, l’amortissement du bâtiment mais il n’est pas encore construit. Il nous faut donc limiter la charge fiscale pour préserver la trésorerie, importante pour consolider le domaine. Nous allons évoluer vers une imposition à l’IS. »
repères
Domaine Arica
Surface 9 ha de vignes en IGP + 6 ha pour la production de cognac ; à terme, 13 à 15 ha de vignes IGP.
Cépages sauvignon, chardonnay, merlot, cabernet sauvignon, chenin, ugni blanc
Mode de culture agriculture biologique (pour les vins IGP)
Prix gamme Arica IGP charentais île de Ré rosé, blanc, rouge : 12 € ; parcellaire trois blancs : 18 € ; jus de raisin
Production 2021 65 000 bouteilles
Distribution 100 % de vente bouteille dont 50 % de vente directe au caveau et 50 % cavistes et restauration ; pas de GMS