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FNSEA
Christiane Lambert : « les Nations unies craignent un ouragan de famine »

A la veille de l’ouverture du 76e congrès de la FNSEA (les 28 et 29 mars à Besançon), Christiane Lambert, présidente du syndicat majoritaire agricole, dresse le bilan de la mandature et livre ses attentes quant aux candidats à l’élection présidentielle convoqué à un grand oral le 30 mars par le Conseil agricole français qu’elle préside.

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, du Caf et de la Copa-Cogeca
© FNSEA

[Mis à jour le 31 mars]

Votre congrès se tient à partir de lundi à quelques jours du premier tour des élections. Quel bilan tirez-vous du premier quinquennat d’Emmanuel Macron pour l’agriculture et du travail de Julien Denormandie ?

Christiane Lambert : Il y a eu deux temps dans la mandature. Le premier temps où le président a trop ignoré les corps intermédiaires qu’il voyait comme un frein aux réformes et un ralentissement aux transitions. Il y avait alors peu d’écoute. Et puis la crise Covid lui a fait prendre conscience de l’importance de la souveraineté alimentaire. Le 12 mars 2020 il a déclaré dans son discours télévisé : « confier notre alimentation et notre santé à autrui serait folie ». Bruno Le Maire a ensuite réuni chaque semaine tous les maillons de la chaîne alimentaire qui a tenu. Puis le président a contribué en discutant avec Angela Merkel à ce que le budget de la Pac ne soit pas réduit de 18% mais seulement de 2%. L’agriculture a été confirmée dans le plan de Relance avec un budget de 1 milliard d’euros puis dans le plan France 2030 avec 2,8 milliards d’euros avec la mise en avant de l’innovation comme étendard notamment pour lutter contre le réchauffement climatique. Le Varenne de l’eau lancé le 28 mai 2021 a été conclu le 1er février 2022 avec une loi de réforme fondatrice finalisée le 2 mars. On voit bien durant ce mandat le basculement de considération face à l’agriculture et la prise en compte des corps intermédiaires. L’arrivée d’un nouveau ministre, ingénieur agronome, un peu executive man, a été un élément facilitateur notamment sur les néonicotinoïdes, le Varenne de l’eau, la retraite mais aussi l’étiquetage. L’ensemble de ces décisions ont mis l’agriculture sur les rails.

Sur quelle thématique attendez-vous le plus les candidats au grand oral mercredi prochain ?

C’est la souveraineté : mode d’emploi ? Il y a des choses qui n’ont pas bougé. Nous assistons encore à des surtranspositions et des décisions n’intégrant pas pleinement la nécessité et l’enjeu de produire plus, comme le plan pollinisateurs. On attend des candidats qu’ils nous disent ce qu’ils vont faire au niveau de l’Union européenne, qui est la bonne dimension, avec quelle cohérence entre la Pac et le Green Deal. Et comment ils veulent lever le tabou sur la recherche, l’irrigation, l’innovation variétale…

Selon un sondage du Cevipof seulement 45% des agriculteurs en février prévoyaient de voter contre 67% cinq ans plus tôt ? Ce taux vous inquiète ?

Cela nous a inquiété oui. C’est aussi pour cela que l’on a élevé le ton afin que l’agriculture soit abordée dans la campagne. Après notre intervention Valérie Pécresse est allée visiter une exploitation dans le Doubs, Yannick Jadot a fait sa déclaration contre la production hors sol… Jean-Luc Mélenchon, lui, a toujours un gros mépris pour l’agriculture. Il a de grosses difficultés à revenir vers un discours plus réaliste comme Emmanuel Macron et Valérie Pécresse.

Marine Le Pen et Eric Zemmour commencent à avoir un discours moins dur vis-à-vis de l’Europe. Les agriculteurs s’intéressent plus à la campagne. Et beaucoup plus depuis le 24 février et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Je suis à la tête du Copa-Cogeca et honnêtement ce que Julien Denormandie a fait en tant que ministre et président du conseil agricole européen aucun autre ministre de l’agriculture de l’Europe n’aurait plus le faire en si peu de temps. Avec la menace qui pèse sur les 32 millions d’hectares de culture de l’Ukraine, on va pouvoir mettre en culture tout ce que l’on peut (4 Mha de jachères) tout en respectant l’environnement.

La Covid puis la guerre en Ukraine ont fait monter en force la question de la souveraineté alimentaire. Selon vous, qu’est-ce qui manque aujourd’hui aux agriculteurs français et plus généralement européens pour assurer pleinement cette mission ?

Empêcher l’arrivée de produits venant d’ailleurs qui ne respectent rien. En douze ans, l’importation de poulet polonais et ukrainien a par exemple augmenté de 173%. Il manque aussi de la rémunération. On a eu jeudi une réunion de suivi des négociations commerciales durant laquelle les distributeurs se sont encore étonnés que la viande progresse de 20%. Mais ils ont tellement tué l’élevage bovin, il y a une telle décapitalisation qu’aujourd’hui la viande est rare et chère ! Ils ont tué la poule aux œufs d’or ! Il nous faut donc aussi des distributeurs qui jouent le jeu. Regardez KFC qui a fait une grosse publicité pour dire qu’il achetait son poulet en France. Mais c’est parce que la Pologne dont les poulets sont nourris aux céréales ukrainiennes et qui doit désormais nourrir 2 millions de réfugiés ukrainiens ne peut plus exporter autant. Plusieurs rapports, du sénateur Duplomb et du député Dive, mais aussi Xavier Beulin dans son livre, avaient prévenu que notre agriculture est en danger. Ca fait des années que l’on dit que l’agriculture est en régression mais qu’elle est prête à rebondir. Comme les producteurs de légumes de France qui ont dit récemment en congrès vouloir passer d’une autosuffisance à 60% à 65% d’ici à 2025. Pour cela, les charges sociales ne doivent pas nous accabler. Et on doit pouvoir investir dans la robotique par exemple. Or on nous parle, « permaculture, permaculture », « famine, famine » oui !

La flambée des intrants est énorme

Le plan de résilience agricole est-il suffisant face à l’envolée du GNR, du gazole, des céréales ?

Non évidemment, ça ne compensera pas tout. Pour autant, assez peu de pays ont mis autant sur la table. Le prix du blé a augmenté, le prix du porc aussi mais comme l’alimentation animale a augmenté de 100 euros par tonne, il faudrait le vendre à 1,95 euro du kilo. Or il est vendu 1,56 euro au cadran, soit 1,70. Ca ne couvre pas le coût de production. La flambée des intrants est énorme. La recherche doit aller plus vite pour trouver comment faire des engrais sans le gaz russe. Et encore nous avons de la chance en France de n’être dépendants qu’à 10% (contre 30% pour l’Europe), car nous avons deux usines sur le territoire. L’agriculture est un sujet essentiel. C’est plus important de manger que d’avoir une voiture. Les politiques doivent concentrer tous leurs efforts sur le secteur. Pour que des hommes et des femmes investissent dans leur exploitation, ils doivent avoir confiance.

Voir tous nos articles sur la guerre en Ukraine

C’est scandaleux d’attaquer un train en rase campagne

Cette tendance de la souveraineté alimentaire ne plait pas à tout le monde. L’action contre le train des céréales vous inquiète-t-elle ? Quid des ONG qui accusent la FNSEA de profiter de la guerre en Ukraine pour amoindrir les ambitions vertes de Farm to fork, que leur répondez-vous ?

C’est scandaleux d’attaquer un train en rase campagne. J’ai reçu des tweets d’agriculteurs ukrainiens qui étaient complètement choqués. C’est scandaleux qu’il y ait des agriculteurs de la confédération paysanne dans ces collectifs de toutes ordres qui sont contre l’élevage. De même que ceux qui manifestent ce week-end contre les bassines dans les Deux-Sèvres (il y a des agriculteurs de la Confédération paysanne et de la Fnab). Vous avez vu l’affiche ? On leur demande de venir avec un bleu de travail et des outils. C’est invraisemblable ! C’est un appel à la violence ! C’est même ne rien connaître à la réalité de l’agriculture en France.

Quant à ceux qui disent que l’on profite de la guerre, je leur réponds que ce n’est pas nous mais les Nations unies qui disent craindre « un ouragan de famine ». La présidente de l’Union européenne dans une vidéo a rappelé que des pays dépendent à 100% de blé importé et 27 pays dans le monde dépendent à plus de 55% du blé russe et ukrainien, soit 750 millions d’habitants qui s’ajoutent aux 875 millions déjà malnutris. C’est une catastrophe complète. Il ne faut pas renoncer à tous les objectifs de la stratégie européenne mais il convient de tempérer certaines contraintes comme la baisse de 50% de l’utilisation des phytosanitaires d’ici à 2030. Six études ont quand même annoncé que la stratégie de la Ferme à la table allait faire baisser la production, augmenter l’importation et accroître les émissions de carbone dans d’autres pays. C’est une perspective dramatique. Aujourd’hui d’où les pays qui en ont besoin vont-ils importer leurs céréales, alors que l’Ukraine ne peut plus exporter, l’Argentine ou encore la Hongrie ont annoncé qu’ils n’exportaient plus. Nous sommes pour une agriculture plus durable mais pas pour que cette durabilité conduise à la décroissance. Il faut revoir les calendriers et certains curseurs.

Lire : Train de céréales attaqué : les détails donnés par la coopérative Le Gouessant

Le samu social agricole et des agriculteurs ont appelé à manifester devant chez vous il y a quelques jours, cette action vous a-t-elle affectée ?

Philippe Grégoire a créé cette association avec Michel Blini et regardez leur site, elle ne compte qu’un adhérent. Sur le coup je n’étais pas contente, je trouve ça scandaleux de donner mon adresse à tout le monde. Et je ne réponds pas à qui me convoque sur youtube. J’ai des comptes à rendre à mes adhérents et à l’ensemble des agriculteurs français mais pas à quelqu’un qui dit n’importe quoi. Et je trouve que la presse a été complaisante sur le sujet.

Aujourd’hui on a quitté l’agribashing

Qu’est-ce que vous aimeriez que les agriculteurs retiennent de votre action ?

Quand j’ai été élue j’ai dit que je voulais obtenir plus de prix, moins de charges et améliorer l’image des agriculteurs et de la FNSEA. Pour obtenir plus de prix, il y a eu la loi Egalim 1 et 2 et puis on a sensibilisé les Français au fait qu’il fallait manger Français pour soutenir notre agriculture. Sur les charges, Emmanuel Macron a annoncé qu’il allait maintenir le Tode. On a aussi eu des avancées sur les retraites et sur l’épargne de précaution. J’aime revenir à la bataille. On a aussi fait le contrat de solution avec 40 partenaires et obtenu une reconnaissance par rapport au carbone. On a réussi à améliorer l’image de la FNSEA. Nous sommes aujourd’hui invités dans beaucoup plus d’endroits qu’avant. Et puis certaines personnes disent de moi : « quand elle parle on comprend ce qu’elle dit », des personnes qui ne sont pas du milieu agricole. Aujourd’hui on a quitté l’agribashing. On a fait monter le sujet de la souveraineté et surtout hors des cercles agricoles. Mais je n’ai pas fini, j’ai encore du boulot.

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