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Viande
Les équilibristes de la filière chevreau

La crise du confinement du printemps 2020 a cristallisé les tensions autour de la production de chevreau. Depuis, chevriers, engraisseurs et abatteurs avancent et tentent de rétablir un équilibre dans la filière.

À tout point de vue, l’année 2020 est à marquer d’une pierre noire et c’est d’autant plus vrai pour la filière chevreau. Cette dernière, de petite taille face aux autres productions carnées, peinait à se faire une place sur le marché mais la crise du confinement du printemps dernier a accentué les tensions en arrière-plan. Avant que les conséquences de la pandémie ne mettent en exergue les dysfonctionnements de la filière, ses maillons étaient assez peu liés les uns aux autres. Mais avec le décrochage du marché national et de l’export, l’arrêt presque total de l’économie française et européenne, la fermeture des restaurants et des boucheries traditionnelles juste avant Pâques, le château de cartes du chevreau s’est écroulé. « Nous nous sommes retrouvés face aux faiblesses de la filière et nous avons dû travailler ensemble pour passer ce douloureux moment », rappelle Franck Moreau, éleveur laitier et président de la section caprine d’Interbev.

Un travail de filière solidaire pour écouler les stocks

Tous ont alors mis la main à la pâte pour trouver, avec les pouvoirs publics, les issues pour que la filière retrouve son équilibre. Naisseurs, engraisseurs, abatteurs et distributeurs ont fourni des efforts et ont fait preuve d’une solidarité sans précédent. Fin 2020, les surstocks de viande congelée mis en place par les abatteurs pour garantir le ramassage de tous les chevreaux malgré l’absence de débouchés commerciaux ont été quasiment écoulés. Seulement, entre la grosse frayeur de Pâques, la grande quantité de viande congelée à vendre, le calendrier imprécis d’abattage des chevreaux, le reconfinement des principaux pays importateurs (Portugal, Italie) et la concurrence européenne qui s’accentue, la filière reste bancale et les collèges professionnels s’alarment de cette instabilité. Le cours du chevreau s’est effondré au printemps 2020 et poursuit sa chute, ni naisseurs, ni engraisseurs, ni abatteurs ne parviennent à dégager de bénéfices suffisants sur ces produits. Et pourtant, « les éleveurs ont accepté de perdre entre 5 et 6 euros par chevreau cet automne, pour des animaux qui sont payés d’ordinaire autour d’une dizaine d’euros », insiste Franck Moreau. Les enseignes de la grande distribution ont joué le jeu de la filière pendant le confinement et devraient continuer à promouvoir cette viande encore trop peu connue du grand public. « La période de forte demande et donc de bonne valorisation du chevreau se situe entre Noël et Pâques, explique Christophe Rousseau, directeur Pôle amont de Loeul et Piriot, abattoir leader de la filière française. Or, seule 30 à 40 % de la production arrive à ce moment-là… La filière fonctionne en flux poussé, c’est-à-dire que nous ne maîtrisons pas la répartition des volumes et ceux-ci n’arrivent pas forcément quand on en a besoin. »

Des aides publiques pour gérer la viande congelée

Pour les abatteurs, le premier confinement a été vécu comme une crise majeure car les principaux débouchés se sont fermés du jour au lendemain et la quasi-totalité des abattages était alors congelée dans l’attente de jours meilleurs. Les trois abattoirs de chevreau ont reçu des aides de l’État pour le stockage, le déstockage et la valorisation à l’export, conditionnées au ramassage complet de tous les chevreaux pendant un an, soit jusqu’à l’été 2021. « L’aide est la bienvenue, mais elle ne compense pas la perte économique que nous endurons depuis le printemps dernier, explique Matthieu Loeul, président du groupe leader. Nous sommes au bout de la chaîne de production, il faut donc qu’il y ait des mouvements en amont de la filière afin que nous puissions tous avancer dans la bonne direction. »

La campagne suspendue aux propositions des abattoirs

Au moment où nous écrivons ces lignes, engraisseurs et naisseurs attendent les propositions de prix que formuleront les abatteurs pour la période de Pâques et de l’après-Pâques. Pour Franck Moreau, « il ne faut pas s’attendre à des miracles. Nous serons sur les mêmes bases que Pâques dernier et, pour la suite, les premières propositions sont encore à la baisse ». Si les prix sont jugés trop bas, les engraisseurs ne seraient pas en capacité de collecter les chevreaux, le prix de vente ne couvrant plus le coût de production.

Les éleveurs caprins ont pris conscience des faiblesses du système et se montrent inquiets du devenir de leurs chevreaux. La discussion entre les collèges de la filière est constructive et chacun est à même d’apporter des solutions pour réguler les flux. Côté éleveurs, les lactations longues permettraient de limiter les pics de production de chevreau. Les laiteries auront aussi un rôle de sensibilisation des éleveurs pour la problématique du chevreau, alors qu’au niveau de l’industrie, on réfléchit davantage à de nouvelles formes de présentation de la viande, prêt-à-consommer, pour coller au plus près des évolutions des habitudes alimentaires.

Replacer la valorisation du chevreau à la ferme

À la mi-mars, la Confédération paysanne de l’Aveyron présente une motion à la chambre d’agriculture départementale définissant les principes pour repositionner l’élevage et la valorisation des chevreaux sur les exploitations laitières ou fromagères. « Nous souhaitons que les éleveurs reprennent en main les chevreaux qui ne doivent pas être considérés comme un sous-produit de l’élevage caprin », souligne Bastien Brisson, membre du syndicat paysan en Aveyron. Pour lui, le fonctionnement de la filière actuelle est à bout de souffle et trouver des systèmes alternatifs devient une priorité. Permettre aux éleveurs, notamment les fromagers, de compléter leurs revenus avec la valorisation de la viande de leurs chevreaux, permettrait de désengorger la filière principale. Pour inciter les éleveurs à se tourner vers cette facette de l’élevage, la Confédération paysanne demande aux pouvoirs publics une prime de 50 euros pour l’abattage de chaque chevreau élevé et engraissé à la ferme. Le syndicat prévoit un cadre pour éviter les dérives d’une telle prime si elle venait à voir le jour, c’est-à-dire en fixant un maximum de 500 chevreaux primés par ferme et un maximum de deux chevreaux par chèvre.

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