Innovation : quand le vin fermente avec la bière
S’il se sent concurrencé par la bière, le vin sait aussi inspirer la créativité des brasseries artisanales. Il tutoie les céréales et le malt pour inventer des produits d’un nouveau genre.
S’il se sent concurrencé par la bière, le vin sait aussi inspirer la créativité des brasseries artisanales. Il tutoie les céréales et le malt pour inventer des produits d’un nouveau genre.
Brasser du raisin et de la bière n’est pas nouveau mais l’idée a hautement fermenté au sein de la Brasserie Gallia, située à Pantin, près de Paris. Au point de décliner cette union dans une gamme issue de la cofermentation des moûts de bière et de raisins. Née sous l’impulsion du brasseur Rémy Maurin en 2019, elle s’est d’abord appelée Sauvages. Puis Gallia a déposé le nom Vière. « Ça explique bien le produit : on ne sait pas trop où on est, on a la texture de la bière et le fort goût du raisin », s’amuse le brasseur. Il s’est pris au jeu de « réfléchir comme un vinificateur avec l’expérience d’un brasseur ».
Démontrer sa créativité et sa maîtrise technique
Gallia a sorti douze références pour le printemps 2022, inspirées par la diversité des cépages. Ses créations s’appellent Extrawurtz, Piton noir, Sylvanerstallone, Osé Roséphine, Mouska ou encore Franc Jeu, pour un volume de 750 hectolitres. Une petite production à l’échelle de cette grosse brasserie artisanale, mais qui nourrit l’image créative de l’entreprise, rachetée par Heineken en 2021.
En cuve, la proportion de moût de raisin atteint environ 20 % mais elle monte à 50 % pour certains brassins, comme ceux intégrant du gewurztraminer ou du sylvaner. Cela représente de 2 à 5 tonnes de raisins par cuve. Gallia envoie chez ses vignerons partenaires ses propres caisses à vendange pour les rouges et ses cuves pour les blancs. Tout est rapatrié par camions frigorifiques. Rémy Maurin se fournit en raisins bio ou en deuxième année de conversion, actuellement chez cinq vignerons, en Alsace, Val de Loire, Languedoc et Ardèche. L’approvisionnement s’adapte à l’inspiration du brasseur mais aussi aux impacts du climat sur les disponibilités.
Des bières très spéciales et premium
Plus confidentielle, la Brasserie des Acolytes expérimente aussi le mariage bière et vin. L’idée est même née assez naturellement car cette microbrasserie a été cofondée par Germain Croisille, vigneron en appellation cahors.
Depuis quatre ans, avec ses deux amis associés, il brasse chaque automne une Bière des vendanges avec du malbec.
Leur nouvelle gamme baptisée La Bâtarde emprunte une autre voie : le moût de bière fermente lentement en amphore sur du marc. Pour la chenin-sauvignon, des copains vignerons de Cahors et de Sancerre ont fourni les marcs de leurs vins orange. La gamme devrait s’agrandir grâce à d’autres partenariats viti-amicaux.
« Ce sont des bières vineuses, de partage, avec de la minéralité, de la texture, de la profondeur ; des bières de geek », avertit Germain Croisille. Coûteuses à élaborer, ces bières sont des produits premium. Les vières de Gallia sont vendues entre 16 euros et 19 euros les 75 cl. Elles sont aussi conditionnées en fût. Les bières des Acolytes sont au prix public de 13 à 15 euros les 75 cl.
De son côté, la jeune maison de négoce de vin Aubert & Mathieu assume totalement le côté niche et premium pour Mushaboom, une Vière, fruit d’une collaboration avec Gallia, vendue 14,90 euros.
Elle est conditionnée en bouteille de vin transparente de 75 cl pour « coller à l’univers des pet’nat’et vins nature », explique Anthony Aubert, l’un des deux associés. « On voulait faire un produit qualitatif », dit-il aussi en précisant que le carignan bio utilisé vient d’un terroir d’altitude du Languedoc. Ils envisagent d’en refaire une l’an prochain.
Philippe Jugé, créateur du salon Planète bière
« C’est logique que la bière française passe par la case raisin »
« La Vière peut être une façon pour la France de créer son style de bière. La France fait partie des leaders de la tendance Craft Beer avec aujourd’hui 3 000 brasseries en activité, mais elle n’a pas de style identifié à la différence des bières belges, anglaises, américaines ou allemandes.
C’est logique que la bière française passe par la case raisin. La France a une vraie légitimité à associer bière et vin ; on a une expertise des cépages, du vieillissement, de la futaille... On est plus légitimes que sur le whisky !
C’est plus qu’une mode. Le consommateur d’aujourd’hui veut vivre une expérience de dégustation, et avec ce style de bières, on est à fond dedans. Elles sont aussi une porte d’entrée pour le monde du vin qui intimide. »