Maîtriser le risque phtalates et bisphénol A dans les vins
Les équipements de chai fabriqués à partir de matières plastiques constituent un risque potentiel de contamination des vins aux phtalates et au bisphénol A, classés perturbateurs endocriniens. L’IFV et ses partenaires viennent de formuler leurs recommandations pour limiter ce risque.
Il n’aura pas fallu moins de cinq ans aux huit partenaires pour identifier les principales sources de migration des phtalates et Bisphénol A (BPA) et formuler des recommandations pour prévenir les risques de contamination dans les vins. Cinq phtalates (DBP, BBP, DEHP, DIDP, DINO), les seuls autorisés par le règlement européen (voir encadré), et le BPA constituent un risque majeur pour la filière vin. « Ces composés sont présents dans la plupart des matières plastiques. Et des matières plastiques, il y en a tout au long de la chaîne d’élaboration du vin », a rappelé Magali Grinbaum, de l’IFV, lors de la restitution des résultats de l'étude au dernier Sitevi.
97 itinéraires œnologiques passés au peigne fin
Pour commencer, les chercheurs ont passé au peigne fin 97 itinéraires techniques, « dont 24 en traçabilité complète », a précisé Magali Grinbaum. Ceci a permis d’éliminer les étapes préfermentaires des phases à risque. « Il n’y a pas de relargage dans les moûts, car les molécules incriminées présentent une faible solubilité en milieu aqueux », a détaillé la chercheuse. En revanche, les premières contaminations aux phtalates et, dans une bien moindre mesure au BPA, ont été observées en fin de FA, sur des vins ayant fermenté en cuves revêtues de résines époxydiques, les températures élevées constituant un facteur accélérant le relargage. « Aucune Limite de migration spécifique (LMS) n’a toutefois été dépassée », a assuré la chercheuse. Sans surprise, c’est finalement l’élevage du vin qui correspond à la phase la plus à risque, car c’est l’étape au cours de laquelle le temps de contact est le plus grand. « Nous avons constaté des relargages lorsque les vins étaient stockés dans des cuves en résine époxy et en polyester renforcées de fibre de verre, mais pas dans les cuves en bois ou en inox », a rapporté Magali Grinbaum. Post-conditionnement, des relargages ont été observés, mais les analyses incriminent les tuyaux en PVC utilisés lors des transferts plutôt que les obturateurs. Les chercheurs ont par ailleurs eu la surprise de constater une « légère absorption » des phtalates par le film plastique constituant la poche des BIB. Cette première phase d’étude a par ailleurs mis en évidence que les principaux risques concernaient les contaminations aux phtalates plus qu’au BPA, et que les dépassements de LMS restent des exceptions.
L’âge des résines époxydiques ne suffit pas à expliquer les relargages
La seconde phase du projet s’est ensuite concentrée sur le suivi des relargages à partir d’équipements identifiés comme sources de contamination potentielles. Laurent Morard, technicien chez Inter Rhône et partenaire du projet, a ainsi analysé le relargage du DBP, phtalate le plus fréquemment retrouvé dans les vins. Il a mené ses travaux sur trois cuves revêtues de résine époxy au cours d’élevages allant de 7 à 14 mois. « La première cuve datait d’avant 1999, la seconde de 2000 et la troisième de 2012. Seule la cuve de 2000 a entraîné d’importants relargages, jusqu’à dépasser la LMS de 300 µg/l », a relaté le chercheur rhodanien. Ses travaux démontrent que le relargage des phtalates est influencé par de nombreux paramètres. « L’âge de la résine n’est pas le seul facteur à mettre en cause, même s’il est vrai que l’évolution de la réglementation fait que les matériaux sur le marché aujourd’hui présentent de faibles risques. » Mais les conditions d’application de la résine (réglage de la machine, hygrométrie dans la cuve traitée, température du mélange, respect du temps de pose) et les bonnes pratiques d’entretien sont autant de facteurs à prendre en compte. Si ces étapes ne sont pas correctement réalisées, l’intégrité de la résine peut être altérée. « Dès lors qu’il y a une cloque ou une fissure le risque de relargage est démultiplié », a insisté Laurent Morard.
D’autres essais réalisés sur des vins élevés 12 mois en cuves renforcées de fibres de verre ont mis en évidence des contaminations au DMP dès le premier mois de contact. Comme ce composé n’est pas autorisé dans le règlement européen, il est vivement recommandé à ceux qui possèdent ce type de cuves de s’en débarrasser. Enfin, les chercheurs ont testé en conditions expérimentales neuf tuyaux en PVC dont certains sont garantis par les fabricants « sans phtalates ». Ils ont fait varier les durées et les températures de contact entre les tuyaux et un mélange hydroalcoolique. « Tous les tuyaux datant des années 90 sont non conformes, car ils ont relargué des phtalates interdits dans la réglementation actuelle, a indiqué Jean-Michel Desseigne, ingénieur spécialisé dans les équipements vinicoles à l’IFV. Nous avons par ailleurs observé des migrations supérieures aux LMS avec les tuyaux des années 2000, et pas ou peu de migrations avec les tuyaux fabriqués après 2010. » Ainsi, si les tuyaux récents sont fiables, les termes « sans phtalates » ou « phtalates free » sont parfois utilisés de façon abusive par les fabricants, car de petits relargages ont été mesurés, certes très en dessous des normes réglementaires.
Peu de solutions correctives pour éliminer les phtalates et le BPA dans les vins
Que faire toutefois si les vins dépassent les LMS indiquées pour les phtalates et/ou le BPA ? Certaines solutions existent, mais elles ont des effets très variables selon les molécules. Comme l’ont démontré les partenaires du projet, seules les teneurs de deux phtalates (DBP et DEHP) peuvent être abaissées par filtration (tangentielle, à plaque ou à froid). Les billes absorbantes de styrène-divinyl benzène et le charbon peuvent se montrer efficaces sur certains composés, comme le DBP, mais ils ne sont pas autorisés sur vins. Seules les fibres végétales, autorisées depuis le 7 décembre dernier, sont une alternative viable. Finalement, la meilleure solution reste la prévention (voir encadré).
Bien que le risque d’intoxication aux phtalates et au BPA via la consommation de vin soit infinitésimal, le sujet est loin d’être clos au sein de la filière. « Sur certains marchés, il y a clairement du lobbying pour imposer des seuils très bas. C’est le cas sur le marché américain où les risques de contaminations sont perçus comme un moyen de verrouiller davantage l’accès à leur marché intérieur », a déploré Laurent Morard. Au-delà de la composante sanitaire, le risque « phtalates/BPA » pourrait bien représenter un enjeu politique…
voir plus loin
Six mesures préventives pour éviter les relargages
- Assurer la traçabilité de tous les équipements ayant été au contact du vin
- Remplacer son vieux matériel par du nouveau garanti « sans phtalates »
- Demander à son fournisseur un certificat de déclaration de conformité à la réglementation, ainsi que les résultats des tests de migrations spécifiques au vin ou aux eaux-de-vie
- Respecter les bonnes pratiques d’entretien et d’utilisation formulées par le fabricant, notamment vis-à-vis des concentrations des solutions de nettoyage
- Changer régulièrement les tuyaux car leur altération est rarement visible à l’œil nu
- Éviter d’exposer les équipements à des températures élevées
Une réglementation européenne sur les matériaux
Le cadre réglementaire européen relatif aux phtalates et au BPA présente la particularité d’exister sur les matériaux plastiques et non sur les denrées alimentaires. Seuls cinq phtalates parmi les dizaines existants et le BPA sont autorisés « pour la fabrication de matériaux en matière plastique » par le règlement UE n°10/2011. Depuis 2015, le BPA est par ailleurs interdit en France dans tous les emballages alimentaires. Mais les équipements de cave ne sont pas considérés comme des emballages. Les résines époxydiques sont toutefois soumises à leurs propres règles en vertu du règlement européen n°213/2018.
Pour chaque composé autorisé, une Limite de migration spécifique (LMS) du matériau vers le vin est définie. « Un dépassement de LMS ne signifie pas que le vin est impropre à la consommation, il signifie que le vin a été mis en contact avec un ou des équipements à surveiller », résume le groupe de travail mené par l’IFV. À la LMS s’ajoute le règlement français sur la Dose journalière admissible (DJA). Si elle est dépassée, pour une ou plusieurs molécules, le vin est automatiquement déclaré non marchand.
@ Pour savoir si votre chai contient des équipements à risque, remplissez la grille d’autodiagnostic disponible sur le site de l’IFV (www.vignevin.com)