Les prix bas du champagne font débat
La lutte contre les champagnes bradés passe-t-elle forcément par l’abandon de la commercialisation en grande distribution ? Le groupe des jeunes vignerons de la Champagne (GDJ) s’est emparé de la question lors de son assemblée générale, le 22 mars dernier, pour y répondre avec nuance.
La lutte contre les champagnes bradés passe-t-elle forcément par l’abandon de la commercialisation en grande distribution ? Le groupe des jeunes vignerons de la Champagne (GDJ) s’est emparé de la question lors de son assemblée générale, le 22 mars dernier, pour y répondre avec nuance.
Chaque année, et notamment lorsque les fêtes approchent, les rayons se garnissent de vins en promotion : lots virtuels, remises immédiates, cagnottage sur une carte de fidélité… Peu de régions échappent au phénomène, et la Champagne, avec 47 millions de bouteilles écoulées chaque année en magasins, est en première ligne.
La grande distribution (GD) a contribué à rendre les bulles septentrionales accessibles au plus grand nombre, c’est indéniable. Le prix moyen par flacon y est de 20,19 euros. Mais les prix bradés, qui tombent régulièrement sous la barre des 10 euros par de multiples leviers, contrarient les vignerons. D’autant que plus de la moitié des ventes de champagne (50,8 %) sont réalisées dans un cadre promotionnel. Mais pour les producteurs qui restent dépendants du marché français, il est difficile d’ignorer la grande distribution.
C’est le cas de Delphine*, vigneronne de la Montagne de Reims : « jusqu’ici, on a toujours refusé de vendre en GD. Mais je ne ferme pas la porte à ce canal, à condition de fonctionner avec des points de vente plutôt haut de gamme et exigeants, comme Monoprix ou La Grande Épicerie. En dehors de la GD, je regarde de près les associations de productrices comme les Fa’bulleuses ou la Transmission : j’aime l’idée des groupements, et j’aimerais mettre l’aspect 'vigneronne' en avant ».
Luxe et attractivité
Olivier Dauvers, expert en grande consommation, note que le champagne fait partie de ces produits d’appel « qui ont une image luxueuse, et qui sont rendus accessibles par des prix en baisse ». Un phénomène dont tient compte la jeune génération champenoise. « On ne pourra pas arrêter les prix bas du jour au lendemain. Aujourd’hui, il convient que chacun d’entre nous soit plus responsable. Et il faut travailler collectivement pour faire accepter l’idée d’une bouteille plus chère », appuie Marie-Pierre Charpentier, viticultrice à Villers-sous-Châtillon dans la Marne.
Pour mener à bien cette bataille, les champagnes de vignerons veulent renforcer leur attractivité. Et de l’avis de la nouvelle génération, le luxe, « ce n’est plus de porter une Rolex : c’est l’authenticité et le bien-être ». Ce message est largement relayé grâce aux supports numériques avec lesquels ces jeunes vignerons sont très à l’aise : portails internet, réseaux sociaux, sites d’e-commerce… Ils leur permettent de proposer « une expérience de vie et de consommation, tant au domaine qu’en ligne », juge Aurore Casanova, de Mardeuil dans la Marne. Avec 37,5 millions de Français qui achètent via internet, la cible à conquérir est large. Et vu que 51 % des achats de vins sont effectués à travers des sites de producteurs, il est primordial de soigner sa vitrine numérique.
Avis d’expert : Laurence Berthet-Chao, fondatrice de la société de conseil en marketing Kanpei
Par quels leviers un « petit » producteur peut développer la « valeur perçue » de ses vins ?
Le choix des canaux de distribution fait partie des décisions stratégiques d’un domaine. Mais quel que soit le circuit, développer la valeur perçue est un travail de marketing, au sens où il s’agit d’une approche qui doit être mûrement réfléchie, de la stratégie adoptée jusqu’à sa déclinaison opérationnelle. Il faut d’abord se trouver un positionnement, choisir son segment de business et de clients, et ensuite travailler de manière cohérente, consistante et constante sur les différentes expressions de son domaine pour asseoir son image et assurer la valorisation de ses produits sur le long terme. C’est un travail laborieux que de développer cette valeur perçue de son offre. Une façon directe de le faire est de travailler sur ce qui est directement visible, c’est-à-dire le packaging. Mais même ce point doit être sous-tendu par le produit qu’il y a dans la bouteille et les valeurs du domaine.
Quel impact pour le seuil de revente à perte ?
Lors de l’assemblée générale des jeunes vignerons de la Champagne, il a été conseillé aux vignerons de prendre en compte le seuil de revente à perte (SRP) dans leur prix de vente afin de ne pas être pris de court par des promotions jugées abusives. Le GDJ a jugé que la démarche de relèvement du SRP (la loi EGalim ajoute une marge de 10 % sur les prix) « va dans la bonne direction » en limitant la générosité des promotions, même si cela n’empêchera pas de retrouver des champagnes sous la barre des 10 euros. Car selon Olivier Dauvers, ces méthodes sont légales, du fait des nombreux leviers utilisés par la GD, notamment les remises indirectes de fidélité. Mais désormais, quelle que soit la méthode, « les réductions sur les prix des produits alimentaires seront plafonnées à 34 % de leur valeur et ne pourront concerner que 25 % du volume annuel écoulé par l’enseigne », indique le ministère de l’Agriculture. Ce qui devrait provoquer la disparition des offres labellisées « 1 acheté = 1 gratuit ».