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Les non-Saccharomyces et le goût du vin : stop aux généralités

Si le rôle des levures non-Saccharomyces employées pendant les phases préfermentaires sur le profil organoleptique des vins est incontestable, il est loin d’être généralisable. En effet, l’équation n’est pas si simple. Explications.

Fruits exotiques, fruits de la assion, notes florales... On a tendance à attribuer aux levures NS de nombreuses propriétés aromatiques. Mais souvent, elles se vérifient sous conditions. © Karelnoppe/stock.adobe.com
Fruits exotiques, fruits de la assion, notes florales... On a tendance à attribuer aux levures NS de nombreuses propriétés aromatiques. Mais souvent, elles se vérifient sous conditions.
© Karelnoppe/stock.adobe.com

Avec la montée en puissance des vins sans sulfites, les levures non-Saccharomyces (NS) sont devenues les stars des phases préfermentaires. Derrière le rôle bioprotecteur de cet écosystème microbiologique, sa contribution au bouquet aromatique est devenue un argument fort du discours commercial. Logique, puisque les arômes au sens large font partie intégrante du métabolisme de la levure. Dans la réalité, l’affaire est plus complexe.

Des clones intéressants et d’autres nettement moins

« Je ne dirai pas que la connaissance du fonctionnement des levures NS en est à ses balbutiements, mais il y a encore pas mal de choses que l’on ne sait pas expliquer », plante Raphaëlle Tourdot-Maréchal, enseignante-chercheuse à l’Institut universitaire de la vigne et du vin (IUVV) de Dijon. Parmi les certitudes, celle qu’au sein d’une même espèce, des comportements très différents sont observés. « On se rend compte que parmi tous les clones, certains sont intéressants et d’autres non. Alors que chez Saccharomyces, la plupart sont intéressants, chez les NS c’est l’inverse », relate Daniel Granès, à l’Institut coopératif du vin (ICV). 

Problème, les outils pour les différencier ne sont pas encore tout à fait au point. « Autant sur Saccharomyces on y arrive bien, autant sur les NS on a encore des progrès à faire », complète Raphaëlle Tourdot-Maréchal. Ceci explique pourquoi une même espèce de NS peut donner des résultats différents selon le fournisseur. Et suppose un travail de sélection extrêmement lourd. « On a lancé Frootzen, une sélection de la levure Pichia kluyveri en 2010. On a une piste intéressante pour pouvoir commercialiser prochainement une seconde souche de Pichia kluyveri », illustre Nicolas Prost, responsable vin et boissons fermentées chez Christian Hansen. Soit plus de dix ans après la première.

Une influence sur l’aromatique « Saccharomyces-dépendante »

Outre la difficulté à sélectionner les souches NS de haut potentiel, leur influence sur l’aromatique est biaisée par le fait qu’elles sont étudiées quasiment systématiquement en binôme avec une Saccharomyces issue de sélection. « Il y a trop d’inconnu pour qu’on puisse se permettre de travailler sur des cocktails. Il faut d’abord qu’on comprenne les rapports de biomasse et les interactions entre les deux micro-organismes », explique Raphaëlle Tourdot-Maréchal. 

Dans la course aux arômes, difficile donc de se soustraire aux préconisations du fournisseur sur la souche fermentaire. De même, utiliser des levures NS dans l’objectif de booster l’aromatique de ses vins est difficilement compatible avec une fermentation alcoolique (FA) en levures indigènes. De quoi ajouter de l’eau au moulin du débat sur le risque de standardisation des vins. « En revanche si l’objectif est de bioprotéger les moûts pour éviter le sulfitage, cela peut très bien se faire avec une FA spontanée par la suite », assure Raphaëlle Tourdot-Maréchal. 

Autre limite identifiée par la chercheuse, le métabolisme du soufre n’est à ce jour pas connu chez les levures NS. Pourquoi s’en servent-elles ? Que produisent-elles à partir de soufre ? Sous quelles conditions ? Autant de questions qui méritent d’être élucidées alors que le rôle du soufre sur le profil organoleptique des vins est de son côté de plus en plus documenté.

Des effets plus ou moins directs sur l'aromatique

Malgré ces limites, remettre en question le rôle de ces espèces NS dans l’expression aromatique des vins serait une erreur. « Lorsqu’une FA spontanée se déroule parfaitement, les vins ont une complexité aromatique incroyable. Les travaux du professeur Matthew Goddard montrent qu’il y a alors plusieurs populations de levures qui se relayent dans les moûts et le vin. Pour nous, qui sommes plutôt spécialistes de la malo, ça a été le déclic pour investiguer le terrain des NS », indique Nicolas Prost. 

Dans les essais qui ont conduit à sélectionner la souche de Pichia kluyveri, il a été démontré que la levure produisait des teneurs en décanoate d’éthyl (notes florales) onze fois supérieure au seuil de perception. Lachancea thermotolerans suscite de son côté l’intérêt du monde de l’œnologie pour sa capacité à produire de l’acide lactique, et à contribuer à la fraîcheur des vins. « Metschnikowia pulcherrima n’a pas d’impact sensoriel stricto sensu mais elle consomme l’oxygène, ce qui permet de protéger les thiols de l’oxydation », illustre de son côté Daniel Granès. « On a démontré que Torulaspora delbrueckii orientait le métabolisme de Saccharomyces vers la production de plus d’arômes volatils », cite également pour exemple Raphaëlle Tourdot-Maréchal.

Un immense champ d’application qu’il reste à explorer

D’après les différents travaux menés ici et là par les chercheurs et les firmes, les façons dont ces levures non-saccharomyces contribuent au profil aromatique sont donc extrêmement diverses. Certaines agissent directement en libérant des esters ou des alcools supérieurs par exemple, d’autres agissent plus indirectement en libérant des précurseurs aromatiques, un peu comme le ferait une enzyme. « Le champ d’application est immense », s’enthousiasme Raphaëlle Tourdot-Maréchal. Une chose est sûre, les levures non-saccharomyces n’ont pas fini de faire couler de l’encre.

comprendre

Les non-saccharomyces et l’acidité volatile : info ou intox ?

Le regard que le monde de l’œnologie porte sur les levures non-saccharomyces (NS) a profondément évolué à mesure que les connaissances scientifiques sur ces micro-organismes s’accumulent. Ce qu’on leur reprochait ? Être responsables de la hausse de l’acidité volatile dans les vins, via la production d’acide acétique. Un raccourci un peu rapide à une époque « où les fermentations spontanées étaient la règle » et ou la maîtrise des températures en vinification n’existait pas, tempère Daniel Granès, directeur scientifique à l’ICV. 

Aujourd’hui, on sait que certaines souches en produisent effectivement, d’autres non. Et que cela dépend aussi fortement des conditions de vinification. « Hanseniaspora uvarum, une espèce naturellement dominante sur la peau de raisin, disparaît très vite avec un sulfitage et ne supporte pas l’éthanol. Donc si on fait une macération préfermentaire à froid sans sulfitage, oui il y a de grandes chances qu’elle produise de l’acide acétique », illustre Raphaëlle Tourdot-Maréchal, enseignante-chercheuse à l’Institut universitaire de la vigne et du vin (IUVV) de Dijon. 

En ce qui concerne les levures commercialisées, pas d’inquiétude à avoir. « Le fait qu’elles ne produisent pas d’acidité volatile est le critère numéro 1 de sélection », assure Nicolas Prost, responsable vin et boissons fermentées chez Christian Hansen, précisant que cette sélection se fait dans le respect d’un cahier des charges strict.

Consulter notre dossier " Concevoir sa cuvée sans sulfites " : 

 

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