Les isotopes repèrent les vins de contrefaçons
Le congrès WineTrack, en novembre dernier, à Reims, a recensé les méthodes utilisées pour identifier les vins de contrefaçon, dont l’analyse des isotopes. Explications sur cet outil d’analyse performant.
Le congrès WineTrack, en novembre dernier, à Reims, a recensé les méthodes utilisées pour identifier les vins de contrefaçon, dont l’analyse des isotopes. Explications sur cet outil d’analyse performant.
Le Service commun des laboratoires (SCL) analyse à la demande de la DGCCRF (1) et de la DGDDI (2) près de 90 000 échantillons de boissons et d’aliments par an. L’une des grandes techniques employées par les experts pour identifier des pratiques frauduleuses est l’étude des rapports isotopiques dans les échantillons. « Le rapport isotopique dépend à la fois d’un fractionnement naturel, entre autre lié au métabolisme de la plante, et à la fois de conditions liées à l’environnement de la plante, comme le stress hydrique ou l’ensoleillement », explique François Guyon, responsable du département Isotopie au SCL. Pour le contrôle de l’authenticité des vins, François Guyon s’intéresse plus particulièrement aux isotopes du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène. « Les isotopes présents dans la molécule d’éthanol sont les seuls témoins de l’enrichissement des moûts, expose le scientifique. Le 13C et le 18O sont de leur côté des isotopes qui permettent d’identifier le millésime. » Mandaté par la DGGCRF, François Guyon a par ailleurs mis au point une technique d’analyse permettant d’identifier l’origine de la bulle d'un effervescent à travers l’analyse isotopique du CO2 dans l’espace de tête d’une bouteille après passage aux ultrasons. Une requête initialement formulée pour contrôler le cidre, mais qui s’est avérée pertinente pour le champagne.
Les vins européens et chinois très clairement discriminés par le plomb
Olivier Donard, directeur de recherche au CNRS, a approfondi le sujet en présentant ses travaux sur les isotopes dits « non traditionnels » (3). Contacté par les professionnels champenois, il a apporté son expertise afin d’identifier des contrefaçons sur le marché chinois. Pour cela, bore, plomb et strontium s’avèrent être des éléments chimiques particulièrement discriminants. « Les isotopes du plomb sont amenés par la pollution atmosphérique à l’essence, et la vigne s’avère en être un excellent capteur", analyse le chercheur. Après quelques analyses, les conclusions sont sans équivoque : les vins chinois ont une signature isotopique très différente des vins français vis-à-vis de cet élément. Les isotopes du strontium sont de leur côté liés à la nature du sol, donc à la période géologique au cours de laquelle il s’est formé. « Il est assez aisé de différencier un champagne d’un autre effervescent par ce biais, illustre le chercheur. Selon les régions, il est même possible d’aller encore plus loin. Alors que la signature du territoire champenois est plutôt homogène, ce n’est pas le cas dans le vignoble bordelais par exemple. Des travaux menés par des confrères ont ainsi permis de distinguer un pomerol d’un saint-émilion uniquement grâce aux isotopes du strontium. Selon le chercheur du CNRS, les modèles statistiques qu’il a construit avec son équipe pour identifier des contrefaçons sur le champagne en couplant différents isotopes ont obtenu 100 % de bonnes réponses. Il s’interroge maintenant sur la possibilité d’aller « jusqu’à l’identification à l’échelle de la parcelle en croisant les informations données par davantage d’isotopes ».
Une start-up spécialisée dans l’analyse isotopique avancée
« Chaque vin a sa propre identité, et elle n’est pas si difficile à lire », affirme Olivier Donard. Il faut juste s’en donner les moyens. Il a ainsi créé avec Sylvain Bérail, chercheur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour, la start-up AIA, spécialisée dans l’analyse isotopique avancée. La jeune entreprise est capable d’authentifier un vin ou un spiritueux en un peu plus d’une semaine. Attention toutefois pour les spiritueux, les techniques isotopiques se révèlent un peu moins fiables. En cause, la distillation qui modifie les rapports isotopiques, et une évolution quasiment nulle des molécules composant le spiritueux au cours du temps. Il faut compter environ 300 € par élément chimique analysé par AIA. Un investissement qui peut en valoir la peine lorsqu’il y a des suspicions de contrefaçons sur des vins à forte valeur ajoutée. La DGCCRF estime que 5 % du marché européen est contrefait, ce qui représenterait près de 492 millions d’euros de pertes par an pour la filière française.
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Qu’est-ce qu’un isotope ?
On appelle isotopes les atomes qui possèdent le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons. Par exemple, le 12C qui est l’atome majoritairement présent dans la nature possède deux isotopes, le 13C et le 14C. Le nombre d’isotopes varie d’un élément chimique à l’autre.
Authentifier les vins grâce à la métabolomique
La métabolomique d’un vin est l’analyse chimique de l’ensemble des composés de ce vin. Des travaux de recherches (1) ont étudié la possibilité d’utiliser la spectroscopie RMN (résonance magnétique nucléaire) du proton de l’atome d’hydrogène pour faire cette analyse. "Si la RMN est déjà très connue pour détecter la chaptalisation, il s’agit ici d’une utilisation très différente", prévient Tristan Richard, professeur à l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV). Cette analyse consiste à mesurer la résonance magnétique nucléaire des protons en réponse à une exposition à un champ magnétique qui modifie leur état d’origine. Cette réponse varie selon l’entourage de l’atome d’hydrogène, les fonctions chimiques auxquelles il est rattaché et la structure de la molécule où il se trouve. L’ensemble des réponses des atomes d’hydrogène d’un échantillon de vin constitue le spectre RMN de ce vin. La quantification des composants du vin est ensuite obtenue en couplant ce spectre RMN à une analyse de données. Cette quantification constitue le métabolome du vin.
Des résultats fiables comparés aux méthodes officielles
Les recherches ont permis de développer une méthode de dosage de 40 composés majoritaires du vin (acides organiques et aminés, sucres, alcools, polyphénols…) à partir de la RMN. La méthode a aussi été comparée aux méthodes officielles puis testée avec succès en situation "réelle" en comparant un vin et son éventuelle copie. Une demande de reconnaissance de la méthode a été déposée auprès de l’OIV. Les chercheurs ont aussi montré que le métabolome d’un vin est affecté par de nombreux critères dont l’origine géographique, le cépage, les conditions pédoclimatiques, les pratiques agronomiques et les procédés de vinification.
Une base de données a été créée pour permettre d’authentifier un vin commercial français par cette méthode sans être obligé de passer par la comparaison avec sa « version originale". Pour la rendre encore plus pertinente et élargir ce service, les viticulteurs peuvent très bien transmettre des échantillons aux chercheurs de lSVV. À plus moyen terme, la possibilité d’utiliser cette méthode en conseil œnologique est envisagée.