« Les exploitations viticoles doivent apparaître comme des lieux où faire carrière »
François Purseigle, professeur des universités en sociologie, titulaire de la chaire Germea (groupe d’étude et de recherche sur les mutations des entreprises agricoles), livre son éclairage sur les problèmes de recrutement rencontrés dans la filière vitivinicole.
François Purseigle, professeur des universités en sociologie, titulaire de la chaire Germea (groupe d’étude et de recherche sur les mutations des entreprises agricoles), livre son éclairage sur les problèmes de recrutement rencontrés dans la filière vitivinicole.
Il semble qu’il soit de plus en plus difficile de recruter en viticulture. Quelle est votre analyse ?
Cette question des problèmes de recrutement n’est pas spécifique à la filière vitivinicole. La crise de la Covid a montré les forces du secteur agricole mais aussi ses faiblesses. On a découvert que l’agriculture française ne repose plus uniquement sur un exercice familial du métier, mais sur un recours à de nouvelles formes de main-d’œuvre.
Quand on regarde les chiffres, sur la période 2000-2016, on constate que les exploitations agricoles qui font appel à du salariat de manière prépondérante ont augmenté de 23 %, même si elles ne représentent que 6 % des entreprises et 14 % de la production (cf. infographie). Dans le même laps de temps, les exploitations agricoles qui ont recours de manière prépondérante à de la main-d’œuvre externalisée et à de la sous-traitance de type entreprise de travaux agricole, Cuma, voisinage, ont progressé de 53 %.
Le secteur viticole contribue de manière très importante au développement de la sous-traitance dans le secteur agricole. Certaines familles viticoles vont même jusqu’à déléguer l’intégralité des travaux à des tiers. Sur la même période, le travail de type familial, ou basé sur une seule personne, a chuté de 37 % ; le binôme familial de 49 % !
On assiste à la fin d’un type d’exploitation en termes de prise en charge du travail et de gestion de la main-d’œuvre. L’ensemble des tâches, qu’elles soient basiques (vendanges, ébourgeonnage, etc.) ou de management, est concerné par cette évolution. C’est une transformation profonde. Cela fait du secteur agricole un secteur comme un autre et non plus une exception.
Pourquoi ce désintérêt ?
Les métiers du salariat agricole n’incarnent pas toujours la modernité, la transformation, mais plutôt l’assignation. Les exploitations viticoles n’apparaissent pas comme des lieux où le travail puisse être attractif, du fait d’une gouvernance et d’une organisation du travail différentes des entreprises que les jeunes ont connues dans leurs expériences antérieures. Il y a en outre une incapacité à donner à voir les perspectives qu’elles peuvent offrir. Or les métiers du salariat peuvent être synonymes de haute technicité et de montée en compétences.
Quels conseils donneriez-vous pour remédier à cette situation ?
Pour attirer des salariés, il faut assurer les jeunes qu’ils pourront vivre de ce métier, et montrer tous les efforts qui ont été faits pour améliorer les conditions salariales. Il faut également expliquer qu’il est possible de concilier vie personnelle et professionnelle ; que les coups de bourre sont temporaires.
Enfin, il est essentiel que les exploitations se réorganisent et apparaissent comme un lieu où on peut construire, faire carrière. Le poste peut être présenté comme une étape vers autre chose : un passage au statut cadre, une association, une reprise d’exploitation. Pour attirer des cadres dans le management, dont il y aura de plus en plus besoin, il faut donner des objectifs, comme une conversion du système, un changement d’organisation, etc.
La dépendance au salariat ne va faire qu’augmenter. Des campagnes de communication ne seront pas suffisantes. Il faut prendre à bras-le-corps cette problématique, créer de nouvelles formes de partenariats avec les établissements de formation.