la minute droit
« Les AOP et IGP viticoles bénéficient d’une protection juridique importante »
Les cas de conflits entre indications géographiques et marques ou noms de domaine se règlent le plus souvent en faveur des premières, observent Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats experts du droit vitivinicole chez JP Karsenty & Associés.
Les cas de conflits entre indications géographiques et marques ou noms de domaine se règlent le plus souvent en faveur des premières, observent Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats experts du droit vitivinicole chez JP Karsenty & Associés.
Quels jugements récents attestent d’une forte protection juridique des indications géographiques ?
La première décision que nous évoquerons concerne la commercialisation par un vigneron des Corbières de bouteilles de vin dont les étiquettes portaient les mentions « L’Ermitage » et « L’Ermitage grand vin Corbières ». Elle a été rendue par le tribunal judiciaire de Paris, le 3 mars 2022 (décision n° 20/00401).
Ce vigneron étant situé dans une commune ne se trouvant pas dans l’aire géographique de l’appellation Hermitage (ou Ermitage), il ne pouvait donc pas reproduire le nom de cette appellation pour commercialiser des vins n’en bénéficiant pas.
Dans une autre affaire jugée le 23 janvier 2023, par le tribunal judiciaire de Nanterre (décision n°21/07842), il a été reproché à l’office de tourisme Luberon Monts de Vaucluse l’usage du terme « Provence », au sein de la dénomination « Luberon cœur de Provence ». Cette dernière était utilisée à titre de nom de domaine et de signature commerciale sur le site internet de l’office de tourisme, pour promouvoir des vins du Luberon ou du Ventoux et des domaines s’y rapportant. Était ici en cause une potentielle atteinte aux AOP vinicoles provençales côtes-de-provence, les-baux-de-provence, coteaux d’aix-en-provence et coteaux-varois-en-provence.
Quels ont été les arguments des juges en faveur des indications géographiques ?
Dans le cas du vin de Corbières portant la mention « Ermitage », les juges ont considéré qu’en tant qu’exploitant professionnel, le viticulteur « ne pouvait ignorer qu’il ne pouvait reproduire une appellation d’origine protégée pour des vins qui n’en remplissaient pas les conditions ».
De même, le fait que les vignes de ce vigneron se trouvent près d’une chapelle dénommée « L’Ermitage Saint-Jacques » a été totalement inopérant sur la solution du litige.
Pour l’usage du terme « Provence », le tribunal a tout d’abord considéré que la dénomination « Luberon cœur de Provence », lorsqu’elle était associée au vin ou à des services de visites œnotouristiques, couvrait les mêmes produits que les AOP vinicoles provençales.
Ensuite, les juges ont estimé que l’utilisation de la dénomination litigieuse en lien avec des vins ou des services liés, évoquait nécessairement dans l’esprit des consommateurs les AOP vinicoles provençales, en particulier l’AOP côtes-de-provence dont l’élément dominant est le terme « Provence ».
Cette protection juridique importante se limite-t-elle aux seuls éléments verbaux ?
Il résulte de la protection accrue dont bénéficient aujourd’hui les indications géographiques, qu’une atteinte à celles-ci peut être induite non seulement par des éléments verbaux, mais également par des signes figuratifs, utilisés pour un produit identique ou similaire n’en bénéficiant pas, et qui reprendrait tout ou partie du nom de l’AOP ou de l’IGP ou bien qui l’évoquerait. Il en est de même en cas d’utilisation d’une AOP ou d’une IGP pour un produit différent, lorsque cette utilisation permet de profiter de la notoriété de l’AOP ou de l’IGP ou de l’affaiblir.
Il faut en effet savoir qu’une atteinte à une AOP ou une IGP peut résulter d’une évocation de celle-ci par des éléments simplement figuratifs ou encore par la reprise de la forme caractéristique du produit couvert par l’AOP ou de l’IGP, comme cela a été jugé le 18 novembre 2022 pour l’AOP morbier par la cour d’appel de Paris (décision n°21/16539). La ligne noire centrale de ce fromage a été jugée comme étant une caractéristique de référence de ce produit, donc devant lui être réservée.
Pourquoi les indications géographiques bénéficient-elles d’une telle protection juridique ?
Si les cas de conflits entre AOP ou IGP et marque, nom de domaine ou autre, se règlent de plus en plus fréquemment en faveur des premières, c’est d’abord en raison de la nécessité de protéger les consommateurs. Mais c’est également pour défendre les producteurs ayant déployé des efforts et investissements dans le but de bénéficier d’un signe protégé pour promouvoir leur vin ainsi que leur savoir-faire.