Le village vendangeurs accueille des saisonniers en Bourgogne
En Côte-d’Or, un centre équestre s’est transformé en lieu d’accueil pour vendangeurs. L’opération, menée à titre expérimental en 2023, sera reconduite cette année avec un confort amélioré.
En Côte-d’Or, un centre équestre s’est transformé en lieu d’accueil pour vendangeurs. L’opération, menée à titre expérimental en 2023, sera reconduite cette année avec un confort amélioré.
C’est parfois dans l’urgence qu’émergent des solutions de bon sens. L’an passé à pareille époque, la Bourgogne connaissait une situation tendue avec le démantèlement de campements sauvages de travailleurs détachés vivant dans des conditions précaires. « On se croirait revenu à l’époque de la traite des négriers », s’indigne Jean-Luc Rosier, maire de Morey-Saint-Denis. C’est à ce moment-là que Samuel Lenoir, gérant du centre équestre le Mountain Farm s’est manifesté pour accueillir des vendangeurs en quête d’un lieu pour s’établir. « J’ai du terrain, j’ai de la place, alors j’ai eu cette idée », répond modestement l’intéressé.
Une formule validée par l'Inspection du travail
« Le projet s’est mis en place en une semaine, se souvient le maire. La sous-préfecture a eu la volonté d’agir vite, de ne pas attendre l’année suivante. » Début septembre, une convention a été signée entre la CAVB (Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne), les communes de Chambolle-Musigny, Gevrey-Chambertin et Morey-Saint-Denis et l’État, ce dernier débloquant une aide de plus de 23 000 euros.
Le concept est simple : accueillir les vendangeurs dans des camions ou vans aménagés ou sous une tente pour une somme de 8 euros la nuit – réglée par eux-mêmes – certains de leurs patrons vignerons décidant par la suite de leur compenser cette somme-là via une prime. Cette formule, validée par l’Inspection du travail, permet de contourner la loi qui interdit aux employeurs de loger leurs salariés sous tente dans la moitié nord de la France.
Une première expérience réussie qui va être perfectionnée
Le site, basé sur les hauteurs de la commune de Morey-Saint-Denis, est habitué à recevoir des cavaliers stagiaires en mode camping mais il a fallu redimensionner la structure. Mountain Farm a fait venir des sanitaires pour offrir des conditions adaptées à cette fréquentation inhabituelle et installé un chapiteau où les locataires peuvent cuisiner, boire un café ou une bière. Un vigile a été embauché pour veiller au grain.
Au total, le centre a accueilli environ 80 personnes. « Des étudiants, des retraités, des étrangers, se remémore Samuel Lenoir. Évidemment, ce sont des gens qui n’ont pas forcément l’habitude de se côtoyer. On a organisé des îlots pour que chacun ait son intimité et cela s’est bien passé. » La réussite de ce projet a nécessité l’effort de tous. Le gérant a parfois fait office de médiateur pour apaiser les tensions et la mairie a joué sa part. « Nous avons étudié les questions de sécurité avec le sous-préfet, notamment les évacuations en cas d’incendie. Il y a des réserves d’eau suffisantes, cela a été validé par les pompiers », précise Jean-Luc Rosier.
Un accueil en mobile homes et un minibus pour le transport
Cette année, l’opération va être reconduite. « Mais cette fois, c’est anticipé » se réjouit le maire. Les viticulteurs de Morey-Saint-Denis ont été conviés à une réunion informative dès le mois de juin. « On veut développer les capacités d’accueil et perfectionner le système », explique Mélanie Grandguillaume responsable du service juridique de la CAVB, sans pouvoir en dire plus, la préfecture ayant réclamé la plus totale discrétion.
Ce que l’on sait toutefois, c’est que Mountain Farm devrait investir dans 24 petits mobile homes aux couleurs des vins de Bourgogne (voir photo), et avec le soutien financier des collectivités locales, pour faire disparaître à terme l’accueil sous tente. Bien sûr, le prix de la nuitée sera revu à la hausse, on parle de 20 euros HT, mais les vignerons de Morey et communes limitrophes semblent malgré tout intéressés.
Un minibus pourrait être mis à disposition pour conduire les saisonniers jusqu’aux domaines. Les acteurs de ce dossier n’écartent pas l’idée que d’autres villages vendangeurs voient le jour sur le territoire bourguignon.
Une solution de bon sens qui répond à un besoin prégnant. « C’est compliqué pour les vignerons de loger chez eux. Les normes sont tellement draconiennes, il faudrait créer un véritable hôtel pour quinze jours par an », peste le maire. Un constat partagé par la CAVB. En Bourgogne comme dans tous les vignobles de récolte manuelle, le logement des saisonniers est devenu un vrai casse-tête. « On estime qu’un tiers des domaines n’ont plus la capacité de loger les saisonniers, ce qui les rend moins attractifs en matière de recrutement », explique Mélanie Grandguillaume.
3 questions à
Laurent Lignier, le président de l’ODG de Morey-Saint-Denis, se félicite de la solution mise en place.
« Je crois que c’est unique en France »
Le recrutement et le logement des saisonniers, c’est toujours une galère ?
Laurent Lignier : « On a vraiment du mal à trouver de la main-d’œuvre locale. Pourtant, on valorise les salaires, on offre des bouteilles, mais cela ne suffit pas. Parallèlement, de nombreuses structures proposant des travailleurs détachés se sont créées ces dernières années. Certains n’avaient pas de solution pour se loger et allaient se poser dans la nature, sans poubelles, sans sanitaires et cela posait un problème évident. »
À titre personnel, comment vous organisez-vous ?
L. L. : « Personnellement, j’ai vingt places de couchage et je complète avec d’autres effectifs, et notamment des travailleurs détachés. Il faut penser à faire une différence salariale entre les vendangeurs logés et non logés, par souci d’équité et pour que personne ne soit lésé. »
L’évolution du projet vous satisfait-elle ?
L. L. : « Cette année, avec la mise en place des mobile homes, la nuitée sera plus chère. Mais en Bourgogne, on peut se permettre de le prendre à notre charge car nous sommes un vignoble qui valorise ses vins. Dans les grands crus, nous voulons continuer à vendanger à la main donc nous n’avons pas de choix, il faut trouver des solutions ! Celle-ci est intéressante et je crois unique en France. »
Et extensible ?
L. L. : « De nos jours, les vignerons ont des besoins de main-d’œuvre toute l’année. On peut imaginer qu’ils louent eux-mêmes des mobile homes le temps nécessaire. La solution proposée par Mountain Farm pourrait aussi répondre aux besoins des filières de la restauration ou du BTP. »
Face à l’embauche de travailleurs détachés qui se généralise, quel message adressez-vous aux vignerons ?
L. L. : « J’en appelle à leur responsabilité. Même si les travailleurs détachés sont théoriquement sous la responsabilité d’un prestataire, cela n’empêche pas de vérifier les papiers d’identité, les permis de travail et de s’assurer qu’ils aient un logement décent, à Mountain Farm ou ailleurs. »
Propos recueillis par D. B.