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Le non-rognage de la vigne, qualitatif mais chronophage

Les vignerons qui viennent au tressage ou à l’enroulement de la vigne le font pour diverses raisons. Respect du végétal, qualité des vins ou encore adaptation au changement climatique font partie des objectifs recherchés. Témoignages.

Le tressage de la vigne est une opération longue et minutieuse, consistant à entremêler les tiges entre elles afin d'éviter tout rognage.
Le tressage de la vigne est une opération longue et minutieuse, consistant à entremêler les tiges entre elles afin d'éviter tout rognage.
© Réussir

« Nous avons fait notre premier essai de tressage en 2017 sur du savagnin, lorsque mon fils Anatole était en BTS, annonce sans ambages Philippe Chatillon, du domaine Chatillon, à Poligny dans le Jura. Et nous avons constaté que les moûts des vignes tressées avaient davantage d’azote que ceux des rognées» Un essai concluant qui le décide à pérenniser l’opération. Autre adepte, Thierry Germain, du domaine des Roches Neuves, à Varrains dans le Maine-et-Loire, pratique l’enroulement depuis 2006. Il est venu à cette technique afin de laisser la vigne aller jusqu’à la fin de son cycle et de respecter le végétal. Les « bonnes » années, il peut tresser environ 15 hectares sur les 28 que compte l’exploitation. Olivier Humbrecht, au domaine Zind-Humbrecht, à Turckheim, dans le Haut-Rhin, s’est quant à lui intéressé à cette pratique dès 2001.

« Lorsque nous nous sommes convertis à la bio et à la biodynamie en 1997-1998, nous nous sommes posé beaucoup de questions sur le fonctionnement de la vigne, se remémore-t-il. Nous nous sommes demandé si couper les branches pendant leur croissance était bon pour la vigne. Je me suis souvenu de mes cours de physiologie végétale, où on nous expliquait que couper l’apex durant sa phase de croissance stimulait la production d’hormones de croissance. J’ai donc testé le non-rognage pour ne pas perturber la physiologie de la vigne, pour ne pas la traumatiser» Avec succès. Aujourd’hui 4 à 5 hectares sur les 38 hectares en production de son domaine ne sont pas du tout rognés, et une quinzaine d’hectares sont rognés uniquement après la chute de l’apex.

Beaucoup moins de sorties d’entre-coeurs

Les trois vignerons notent que le non-rognage évite la sortie des entre-cœurs, ce qui favorise une bonne aération de la zone des grappes. Le plan de feuillage est moins épais, ce qui facilite aussi la pénétration des produits phytosanitaires au cœur du végétal. En revanche, il y a un risque d’entassement de la végétation au-dessus du fil du haut, qui peut être propice aux départs de maladies cryptogamiques. « En année humide, il y a davantage de soucis de mildiou dans cette zone », souligne le vigneron jurassien. Tant et si bien que Thierry Germain n’hésite pas à rogner en cas de fortes attaques de mildiou.

Autre atout du non-rognage : l’homogénéité de la véraison. « La véraison et la maturité sont moins étalées, plus homogènes », assure en effet Olivier Humbrecht. En revanche, il considère que cette technique provoque davantage de coulure. Avec au final des grappes moins denses, moins compactes, moins malades. « Je pense que la différence de rendement est de l’ordre de 30 %, poursuit-il, car on a moins de baies et elles sont plus petites. » Thierry Germain relève également que les grappes sont plus homogènes en non-rognage, mais il n’a pas enregistré d’impact sur le rendement. Pas plus que Philippe Chatillon qui nuance néanmoins ses propos : « je crois que cela ne joue ni dans un sens ni dans l’autre sur le rendement, mais c’est empirique ». Thierry Germain pense avoir moins de coulure, « car la vigne a moins de stress autour de la floraison ».

Le non-rognage ne joue pas uniquement sur la physiologie de la vigne. Jean-Baptiste Duquesne, du château Cazebonne à Saint-Pierre-de-Mons en Gironde, avance que le fait de moins stresser la vigne, de créer de l’ombrage sur le rang d’à côté, permettrait une meilleure acidité des raisins. « Mes premiers tests vont dans ce sens, mais je ne les ai pas réalisés de manière assez rigoureuse pour être formel », relativise-t-il. Même constat chez Olivier Humbrecht. « Passer au non-rognage limite l’étalement de la véraison et permet de vendanger plus tôt. De ce fait, on a une meilleure acidité avec un degré alcoolique moindre. »

Thierry Germain remarque lui aussi que les vins des vignes non-rognées sont moins alcooleux. « Ils titrent 13 ou 13,1 % vol. quand ceux des vignes rognées sont aux alentours des 13,6 ou 13,7 % vol. », expose-t-il. Ses vins sont plus frais, plus complexes, avec davantage de tension dans les peaux, davantage de croquant. « Ce sont des vins lumineux, élancés », résume-t-il. Il observe lui aussi un meilleur ombrage des rangs adjacents. Tout comme Olivier Humbrecht, qui apprécie tout particulièrement cela pour le riesling, sensible à l’échaudage et aux coups de soleil.

Des pratiques diverses mais une technique onéreuse

Au niveau du mode opératoire, les pratiques divergent mais tous les vignerons s’accordent sur le fait que cette technique est particulièrement chronophage. Philippe Chatillon enroule les sarments sur le fil du haut ou les tresse entre eux, à raison d’une à deux fois par saison, selon les parcelles. « C’est plus difficile d’enrouler les rameaux entre eux, témoigne-t-il, mais sur les lianes luxuriantes, c’est mieux. » C’est une opération fastidieuse, les bras travaillant en hauteur. « Mais une fois qu’on a l’habitude, ça va pas mal », rassure-t-il.

De son côté, Thierry Germain pratique l’enroulement à raison de deux à trois passages par campagne. La veille de la première opération, il passe avec un quad déposer des fils accoleurs en nylon de part et d’autre du rang, qu’il fixe aux piquets de tête. « Une fois que les rameaux sont enroulés dessus, les fils se retrouvent à 20-30 cm au-dessus du fil du haut », rapporte-t-il. Mais cette opération est délicate ; le moindre apex sectionné ou pincé anéantit les bienfaits de la pratique.

 

 
Olivier Humbrecht étant en Alsace, il dispose d’un palissage haut. Il rabat donc les rameaux longs entre les fils du haut, une à deux fois par saison.

Olivier Humbrecht étant en Alsace, il dispose d’un palissage haut. Il rabat donc les rameaux longs entre les fils du haut, une à deux fois par saison. Et tresse ceux qui sont trop hauts ou sensibles à la casse.

 

Un temps de tirage des bois en hiver allongé

Philippe Chatillon estime que cette opération revient à environ 40 heures par hectare par saison, pour des vignes pas très vigoureuses. Un temps de travail auquel s’ajoute celui du relevage en deux temps impliqué par son mode opératoire, qu’il évalue à 20 heures par hectare. Olivier Humbrecht explique pour sa part qu’il emploie 20 personnes pour tresser, là où un seul opérateur suffirait pour rogner. « On ne peut pas se le permettre sur toutes les vignes, regrette-t-il. Il faut réserver cela aux parcelles les plus qualitatives, aux mieux valorisées et aux pas trop vigoureuses. »

Thierry Germain ajoute quant à lui que non seulement cette opération est chronophage, mais elle nécessite d’être réalisée par des opérateurs méticuleux et soigneux. Et implique une véritable rigueur lors de la taille et du pliage : « jamais une baguette ne doit revenir vers le cep ; on n’alterne pas gauche-droite, gauche-droite. Toutes les baguettes vont dans le même sens, insiste-t-il. C’est très important. Les accolages doivent eux aussi être précis car si le bois est positionné de travers, l’enroulement sera de travers ».

De même, cette pratique complexifie le tirage des bois hivernal. « Si on ne prétaille pas, le non-rognage occasionne 30 % de temps de tirage des bois en plus », prévient le vigneron alsacien. Grâce à sa technique des fils en nylon, Thierry Germain limite la casse. « On enlève les fils de tête et on doit faire deux coups de sécateur supplémentaires par pied, détaille-t-il. Mais il y a moins d’entre-cœurs et donc moins de sarments à sortir. »

 

 
François Berud, chef de service pôle Vigne et vin de la chambre d’agriculture du Vaucluse
François Berud, chef de service pôle Vigne et vin de la chambre d’agriculture du Vaucluse © Chambre d'agriculture du Vaucluse

Avis d’expert : François Berud, chef de service pôle vigne et vin de la chambre d’agriculture du Vaucluse

« Le non-rognage de la vigne engendre des vins avec davantage de polyphénols »

« Nous avons fait des essais de non-rognage au début des années 2000, sur du grenache conduit en gobelet. Il s’agissait de vignes peu vigoureuses, sur des parcelles expérimentales à Chateauneuf du Pape. Ces vignes n’étaient ni rognées, ni enroulées, ni tressées. Nous avons constaté que les zones non-rognées s’arrêtaient plus vite de pousser. À l’inverse, le rognage relançait la croissance et stimulait la production d’entre-cœurs, quasi inexistants sur la modalité non-rognée.

Les zones non-rognées avaient des maturités et véraisons plus rapides et plus complètes ; avec des vins ayant davantage de polyphénols et de couleur mais moins d’acidité. Par ailleurs, le grenache étant sensible à la coulure, la nouaison se déroulait moins bien sur vignes non-rognées, ce qui entraînait des grappes plus petites et des rendements plus faibles de l’ordre de 15 à 20 %.

Au niveau phytosanitaire, nous avons constaté peu de différences, si ce n’est une moindre pression de botrytis les années difficiles sur vignes non-rognées, les vendanges ayant lieu plus tôt et donc dans des conditions plus sèches.

C’est une technique difficile, compliquée à mettre en place sur de grandes surfaces et qui fonctionne mieux sur des vignes pas trop vigoureuses. »

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