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Foncier viticole : adapter sa surface à son projet

Même si elle demande du temps pour être modifiée, la surface est une variable majeure de la vie d’une exploitation viticole. Voici les conseils d’experts pour bien cerner les enjeux de la taille de son outil de production.

Pour toute modification de son outil de production, l'élaboration d'un prévisionnel est une étape indispensable.
Pour toute modification de son outil de production, l'élaboration d'un prévisionnel est une étape indispensable.
© C. Gerbod

1 S’interroger sur la vision de son entreprise à cinq ans

Les experts que nous avons interviewés s’accordent sur l’idée qu’il n’y a pas de taille idéale dans l’absolu mais une taille adaptée à un projet. Prendre du recul pour définir vers quoi tend l’exploitation à horizon cinq ans est une étape indispensable, estime Nadia El Mahraoui, conseillère en gestion d’entreprise chez Cerfrance Midi-Méditerranée. « Avec une approche méthodologique, on analyse les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces pour l’entreprise, on peut dresser la situation à l’instant T de l’exploitation lors d’un rendez-vous d’une à deux heures », expose-t-elle.

Ensuite, des objectifs sont établis. L’analyse pourra par exemple identifier l’opportunité de développer une nouvelle gamme via une extension de surface. Ou encore détecter une menace induite par la vente d’une parcelle voisine risquant d’être construite. Ce qui posera un problème de traitement. La possibilité d’acheter ou louer la parcelle sera alors étudiée d’un point de vue opérationnel et économique. Olivier Antoine-Geny, fondateur d’AOC Conseils, observe de son côté que les échecs d’agrandissement sont souvent dus à un manque de préparation et de réflexion d’ensemble.

2 Élaborer des comptes prévisionnels

Toute modification de la surface exploitée induit une évolution des coûts de production, des frais financiers, des besoins d’investissement en matériel et de main-d’œuvre. Olivier Antoine-Geny, invite à faire ce calcul en prêtant « attention aux coûts annexes ». Par exemple les frais de logistique si la parcelle est éloignée ou les coûts de restructuration. Le prévisionnel est à ce titre le document essentiel. « Je ne vois pas quel autre indicateur qu’un prévisionnel peut mesurer l’impact d’un changement de taille de l’exploitation », pose Nadia El Mahraoui. Elle suggère d’accompagner tout projet d’expansion ou de recalibrage d’un domaine par un prévisionnel déclinant un bilan, un compte de résultat, un tableau de trésorerie et un plan de financement et d’investissement, le tout sur cinq ans.

Dans son cabinet de conseil et d’expertise comptable, le coût de base de ce document est de 900 euros. S’y ajoutent ensuite des suppléments en fonction des caractéristiques de l’exploitation (production seule ou aussi commercialisation) ou du nombre d’hypothèses étudiées. Grâce à une base de données, les éléments technico-économiques peuvent être comparés à ceux d’exploitations d’une même zone ou taille.

3 Prendre en compte les effets de seuils

Un changement de surface est souvent associé à l’idée d’économies d’échelle. Mais à la chambre d’agriculture de Gironde, Arthur Gaubey, conseiller d’entreprise secteur Sud-Gironde, pointe l’existence d’effets de seuils. « Au-delà de 20-25 hectares, à 2 mètres d’écartement, pour le zéro herbicide, il faut un tractoriste en plus, donc aussi un tracteur et un train d’outil », alerte-t-il. Pour la pulvérisation, il faut pouvoir traiter le domaine en un jour ou un jour et demi maximum quand on est en bio. Le Référentiel économique du vigneron édité par la chambre d’agriculture de Gironde détaille ces seuils. « Si on se retrouve entre deux seuils, on ne pourra pas optimiser les coûts par rapport à la surface », souligne le conseiller. Un parcellaire morcelé va aussi limiter les perspectives d’économies d’échelle. Pour lui, les projections chiffrées ne suffisent pas ; il faut penser organisation.

4 Estimer l’impact de la surface sur la rentabilité

Un changement de surface ne doit évidemment pas dégrader la rentabilité de l’entreprise. Le but est de l’améliorer. Les charges variables et fixes engagées doivent être inférieures au chiffre d’affaires obtenu. L’estimation de la valorisation de la production correspondant à la nouvelle surface envisagée est donc un point majeur pour apprécier l’évolution de la rentabilité.

Mais dans la filière viticole, pour un niveau de charges comparable, la valorisation de la production peut être très variable. Frédérique Panouillot, responsable viticulture à la Caisse d’épargne Bourgogne Franche-Comté, souligne que la rentabilité d’un changement de surface s’apprécie en fonction des appellations travaillées. « Si par exemple un viticulteur souhaite reprendre 2 hectares de vignes familiales en appellation bourgogne générique, sur la base du prix de vente de la pièce de vin, je considérerai que c’est une surface trop juste pour rembourser les emprunts, couvrir les charges supplémentaires induites », illustre-t-elle. La même surface dans une appellation mieux valorisée aboutira à une autre analyse.

À l’inverse, une diminution de surface peut être une piste pour regagner de la rentabilité. « C’est une décision stratégique qui peut être très efficace même si elle est mal vécue », considère Olivier Antoine-Geny. « En Gironde, à l’heure actuelle, la problématique est de savoir comment retrouver un équilibre financier avec moins de surface », abonde Arthur Gaubey. Cet enjeu trouve un écho dans d’autres vignobles. Se débarrasser des vignes produisant du vin mal valorisé pour se concentrer sur la commercialisation de cuvées ayant plus de potentiel est alors un choix encouragé par les gestionnaires.

5 Prendre en compte le mode de commercialisation

« Est-ce que j’ai le réseau de distribution pour vendre sous forme valorisée est la première question à se poser face à une opportunité d’agrandissement », insiste Olivier Antoine-Geny. Impossible de dissocier la surface du mode de commercialisation. Frédérique Panouillot indique que le premier réflexe face à un dossier d’agrandissement est de regarder si la production sera vendue au négoce ou si le vigneron « peut développer la bouteille et a le réseau pour ça ».

La coopération implique d’autres conditions. Arthur Gaubey évoque un jeune coopérateur qui sous pression familiale était incité à acheter des terres. Économiquement, le projet s’est avéré impossible, le paiement des récoltes étant différé et étalé sur trois ans dans le modèle coopératif. Faute de trésorerie suffisante pour assumer les charges d’emprunt, il est donc resté en fermage avec l’idée d’acheter plus tard. « En cave coopérative, le performance est plus liée au rendement qu'à la taille de l'exploitation. Et si on réduit la surface, on n’aura pas la même production. Il faut donc vérifier ce point », note Nadia El Mahraoui.

6 Analyser le potentiel commercial de sa production future

Directement liée à la valorisation des vins, l’appellation des surfaces concernés est un critère essentiel. Ainsi entre investir dans un beau terroir méconnu ou sur une surface plus petite ou plus chère mais dans un cru déjà renommé entraînera moins d’efforts supplémentaires de commercialisation à déployer et un chiffre d’affaires plus assuré.

La limite du raisonnement reste l’envolée des prix du foncier dans les appellations bien valorisées. Marc Bonnemains, directeur du marché des professionnels Caisse d’épargne, souligne que la durée du prêt est une variable d’ajustement. « On fera des prêts sur trente ans en Bourgogne mais sur quinze ans en Muscadet », illustre-t-il. Cette possibilité a tout de même des limites. Jean-Loïc Lagrange, chargé d’affaires viticoles de la Caisse d’épargne Bourgogne Franche-Comté en Côte-d’Or affirme avoir récemment « dit non à un projet d’achat d’une parcelle en premier cru. Ce n'était pas amortissable ». Et même si les bouteilles se vendent à des prix astronomiques.

Le risque climatique est à prendre en compte. Frédérique Panouillot indique que sa banque y fait de plus en plus attention. « Si le domaine n’est pas assuré, on va lui proposer de rencontrer notre spécialiste pour avoir une étude sur la parcelle. C’est un risque pour le viticulteur, c’est un risque pour la banque », pointe-t-elle. À cet égard, si l’on possède des parcelles à risques, investir dans des parcelles situées dans des zones moins exposées afin de sécuriser sa production peut se défendre.

7 Appréhender les impacts non financiers d’un changement de surface

Olivier Antoine-Geny constate que les aspects humains d’un projet sont en général sous-estimés. « C’est le projet d’entreprise, pas celui d’une personne. En passant de 40 à 85 hectares, on change d’envergure, on change de culture d’entreprise. C’est un point à ne pas négliger », plaide-t-il. Loïc Perrin, fondateur de Terroir Conseil & Performance, insiste sur la dimension managériale d’un agrandissement. « Il faut savoir déléguer le travail », remarque-t-il. Et garder du temps pour la commercialisation. Devoir embaucher en plus accroît le stress du recrutement. Grandir accentue la charge mentale.

Nadia El Mahraoui confirme que « l’élément le plus sous-estimé par les viticulteurs c’est le temps ». Ses clients ont du mal à évaluer le temps qu’il faudra pour superviser, organiser ou encore déplacer du matériel. « Tout projet a des répercussions sur l’humain. Il faut qu’il soit viable mais aussi vivable sur le plan professionnel comme pour la vie privée du viticulteur », résume-t-elle.

8 Analyser l’opportunité d’un fermage plutôt que d’un achat foncier

La vigne est à la fois un outil de production et un élément du patrimoine. Privilégier l’un ou l’autre est un choix personnel. Une étude pourra comparer l’impact économique d’un loyer par rapport celui d’une annuité d’emprunt. L’âge est un critère évidemment important. « À 60 ans, on achète s’il y a des personnes qui arrivent derrière pour reprendre le domaine », note Olivier Antoine-Geny. En cas d’achat d’une terre coûteuse, il incite à évaluer l’impact fiscal sur la transmission. En cas de non-transmission, il peut être judicieux de se séparer progressivement de parcelles, notamment si des voisins sont intéressés. Un gros domaine d’un seul tenant sera plus difficile à vendre. « Actuellement, sauf si les terres sont très bien situées, la revente est compliquée », alerte Nadia El Mahraoui.

Frédérique Panouillot estime qu’entre fermage ou achat, il n’y a pas de bon ou de mauvais choix. Les conditions du fermage avec des baux à long terme, apportent une certaine sécurité des approvisionnements. Mais la croissance externe développe le patrimoine. « On finance toujours les terres agricoles séparément de l’exploitation. Quand l’agriculteur vend, il peut garder les terres et les louer pour avoir une rente », détaille-t-elle.

Loïc Perrin incite à raisonner avant tout sur l’outil de production. « Oui à terme, les terres prendront 10 à 20 % de valeur dans dix ans mais en fait il n’y a pas de visibilité. Acheter pour mettre en fermage ce n’est pas une rentabilité de dingue », nuance-t-il. « Le coût des parcelles est encore accessible sur pas mal d’appellations mais la vision doit d’abord être centrée sur le compte de résultat et la trésorerie, pas sur l’aspect patrimonial », argue-t-il. Il défend plutôt le fermage qui évite un accroissement de l’endettement. Olivier Antoine-Geny évoque sa relative souplesse. Certains de ses clients ont ainsi pu arrêter des fermages quand ils ont senti que la commercialisation devenait problématique.

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