Santé animale
Résistance aux antibiotiques : pourquoi les Français ont plus à craindre de leur chien ou chat que de leur assiette
A l’occasion de la journée européenne d’information sur l’antibiorésistance, l’Anses dresse un bilan positif de l’évolution de l’usage des antibiotiques dans les élevages en France. Sa vigilance se renforce du côté des animaux de compagnie où un inversement de tendance s’observe.
A l’occasion de la journée européenne d’information sur l’antibiorésistance, l’Anses dresse un bilan positif de l’évolution de l’usage des antibiotiques dans les élevages en France. Sa vigilance se renforce du côté des animaux de compagnie où un inversement de tendance s’observe.
« On a besoin des antibiotiques pour soigner les animaux malades. On n’arrivera pas à s’en passer complètement mais l’évolution des méthodes d’élevage et la prise de conscience de la résistance ont conduit à une très forte réduction de l’usage des antibiotiques dans les élevages en France. Nous sommes aujourd’hui à un niveau très bas et ce sera dur de baisser encore drastiquement », explique Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l’Anses, à l’occasion de la publication des rapports annuels sur l’antibiorésistance en santé animale. L’une des priorités de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail depuis plusieurs dizaines d’années est la lutte contre l’antibiorésistance provenant des animaux d’élevage et domestiques en France. L’antibiorésistance résulte de l’utilisation d’antibiotiques conduisant à la sélection de bactéries capables de leur résister et pouvant être transmises à l’homme par contact direct ou par la chaîne alimentaire ou l’environnement.
« Les plans Ecoantibio 1 et 2 (prolongé jusqu’en 2022, ndlr) ont été un succès grâce à la mobilisation exemplaire des éleveurs et des vétérinaires. On prépare le plan 3 », se félicite Gilles Salvat à l’occasion de la journée européenne d’information sur l’antibiorésistance. Fruit d’une dizaine d’années d’efforts, le niveau d’antibiorésistance globale chez les animaux continue de diminuer, il « ne faut néanmoins pas relâcher la vigilance, comme le montre l’inversion de tendance observée depuis quelques années chez certaines espèces animales, et notamment les animaux domestiques ».
Que faut-il retenir du bilan 2021 ?
- La quantité d’antibiotiques à usage vétérinaire vendus est passée de 1311 tonnes en 1999 à 415 tonnes en 2020 (contre 422 tonnes en 2019). Soit une baisse des deux tiers des tonnages.
- L’exposition globale des animaux aux antibiotiques a reculé de 45,4% depuis 2011, grâce notamment au fort recul des prémélanges médicamenteux. Toutes les espèces sont concernées : les bovins (-22,5%), les porcs (-55,5%), les volailles (-64,4%), les lapins (-39,9%) et dans une moindre mesure les chats et les chiens (-11,8%). Néanmoins cette diminution semble avoir atteint une limite, et l’exposition des animaux aux antibiotiques est « stable voire en légère augmentation » selon les espèces. Ainsi si l’exposition a continué de reculer entre 2019 et 2020 pour les volailles et porcs (respectivement -9,7% et -3,2%), elle a augmenté pour les lapins (+2,5%), les bovins (+2,9%) et surtout pour les chats et chiens (+5,1%).
- L’utilisation en élevage des antibiotiques critiques, c’est-à-dire importants pour la médecine humaine, continue de diminuer. Ainsi « depuis 2013, l’utilisation des fluroroquinolones a reculé de 87,3% (avec une baisse importante pour les bovins, porcins et les volailles), celle des céphalosporines de 3e et 4egénération a chuté de 94,3% (avec une baisse importante chez les bovins et les porcins) » pointe Gérard Moulin, adjoint au directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire. Pour la colistine, autre antibiotique suivi de près car important pour traiter certaines infections humaines, le taux d’exposition a reculé de 66% par rapport au niveau de référence de 2014-2015. L’Anses note toutefois une augmentation de l’exposition à la colistine par voie orale observée chez les bovins l’an passé.
- Ces données sont corroborées cette année par une enquête réalisée par l’Anses-ANMV auprès de 467 vétérinaires. « La plupart des praticiens ont indiqué avoir diminué les prescriptions d’antibiotiques pour les lapins, porcs et volailles entre 2019 et 2020 » souligne l’Anses, les prescriptions pour les autres animaux domestiques étant restées stables. L’utilisation de vaccins ou de traitements alternatifs comme la phytothérapie ou l’aromathérapie leur ont permis de réduire le recours aux antibiotiques. Concernant les bovins, « certains vétérinaires ont indiqué leur avoir administré plus d’antibiotiques en raison des conditions météorologiques, qui ont favorisé les maladies respiratoires et les mammites ».
- En revanche, l’Anses note une augmentation de 8,6% du chiffre d’affaires pour les médicaments destinés aux chiens et aux chats entre 2019 et 2020. Une augmentation qui pourrait être liée au Covid-19 et aux confinements, les propriétaires ayant accordé plus d’attention à leurs animaux de compagnie ou certaines pathologies ayant été prises en charge plus tardivement du fait d’interventions chirurgicales reportées.
- Quant à l’antibiorésistance en elle-même, les résultats des 51 736 antibiogrammes collectés en 2020 par le réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Resapath) montrent une baisse de la résistance des bactéries aux antibiotiques. « Le taux d’antibiorésistance est inférieur à 8% pour les céphalosporines et les fluoroquinolones, selon Jean-Yves Madec, directeur scientifique du réseau, avec des marges de progrès à réaliser sur certains antibiotiques pour les volailles, et une vigilance nécessaire pour les animaux de compagnie et les chevaux (hausse de la résistance aux céphalosporines de 3e et 4e génération) ». L’Anses note notamment une augmentation particulièrement marquée pour la résistance à l’amoxicilline (de plus de 40%) pour les chats en 2020 (contre 30% en 2018). L’agence souligne aussi une hausse des souches de bactéries multirésistantes collectées chez les chevaux entre 2011 et 2020, même si leur proportion ne dépasse pas 9% en 2020.
- Concernant les trois groupes de bactéries transmissibles à l’homme et surveillées de près en Europe. Pour les salmonelles, s’il « y’a peu ou pas de résistance aux antibiotiques d’importance critique pour la santé humaine », l’Anses souligne que plus de la moitié des souches isolées chez le porc, le veau ou la dinde sont résistantes à la tétracycline. Les niveaux de résistance aux sulfamides sont élevés chez le veau (34,9%) et très élevées chez le porc (58,8%). Par ailleurs, 44,1% des souches isolées chez le porc sont résistantes à l’ampicilline. Pour campylobacter, la résistance aux antibiotiques diminue chez le poulet (-9%) et la dinde (-15%), mais la résistance aux fluoroquinolones et aux tétracyclines reste élevée chez le poulet (respectivement 67,8% et 63,7%). Enfin pour Escherichia coli, la sensibilité à tous les antibiotiques testés augmente (de 54% chez la dinde, 48% chez le poulet et 40% chez le veau), toutefois la résistance à l’ampicilline augmente chez le porc.
Il faut se laver les mains avant et après avoir touché un animal domestique
A l’avenir pour renforcer sa lutte contre l’antibiorésistance, l’Anses annonce le lancement du projet Dyaspeo (dynamique de la propagation de la persistance et de l’évolution de l’antibiorésistance entre l’homme, les animaux et leur environnement). L’objectif : « élucider le rôle des animaux de compagnie dans la propagation de l’antibiorésistance » alors qu’un foyer sur deux en France possède au moins un animal de compagnie. « Les infections cutanées chez le chien et le chat peuvent être problématiques avec des bactéries transférables à l’homme » pointe Gilles Salvat. Des sociologues vont se pencher sur les comportements des hommes avec leurs animaux de compagnie. « Il faut se laver les mains avant et après avoir touché un animal domestique », rappelle Gilles Salvat, « cela fait partie des recommandations de base » poursuit-il.