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Quels sont les bienfaits de la mer pour la vigne ?

Eau de mer, algues, coquilles d’huîtres ou encore bactéries des marais salants trouvent des applications dans les vignes. Tour d’horizon des différents apports marins.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer. » Ces vers de l’auteur des Fleurs du mal pourraient avoir été écrits pour la vigne, tant les ondes semblent prometteuses pour la gestion du vignoble. Si certaines solutions tirées de la mer ont déjà fait leurs preuves et trouvent leur application sur le terrain, à l’instar des biostimulants à base d’algues, d’autres n’en sont encore qu’au stade expérimental.

Les algues, des produits multifonctions

Amendements, biostimulants, ou encore produits de biocontrôle. Les différentes déclinaisons des algues dans le domaine viticole semblent pléthoriques. L’une d’elles avait notamment fait grand bruit. Souvenez-vous, c’était en 2016. Une jeune start-up, Immunrise, annonçait avoir découvert une microalgue, l’Amphidinium carterae, ayant de bons résultats fongicides (antimildiou et antibotrytis) en laboratoire. Sept ans après, qu’en est-il ?

« Nous venons de réaliser une nouvelle campagne d’essais sur Bordeaux et Toulouse, dévoile Laurent de Crasto, CEO d’Immunrise. Nous avons obtenu de bons résultats malgré une pression importante. » Si ces derniers n’étaient pas encore compilés à l’heure où nous écrivons, ils étaient suffisamment positifs pour que l’entreprise soit en phase de présoumission d’homologation, en tant que produit de biocontrôle contre le mildiou. Avec, comme ligne de mire, un dépôt d’homologation tant dans l’Union européenne, qu’aux États-Unis fin 2024. « Cela permet d’envisager une homologation pour l’Union européenne quatre ans après environ », estime-t-il. D’ici là, la firme devrait avoir finalisé son processus de production industrielle de l’algue dinoflagellée via la signature d’un accord de production.

Mais Amphidinium carterae sera-t-elle vraiment efficace en routine ? « Il s’agit d’un produit de contact, poursuit Laurent de Crasto. Selon la pression, il faudra sûrement l’associer à des produits systémiques de type phosphonates, au moins en encadrement de la fleur. » Ce biocontrôle sera utilisable comme un phyto classique et sera positionné sur un segment de prix similaire. « Selon les coformulants finaux qui seront employés, nous aurons peut-être un surcoût de 10 % par rapport à un antimildiou actuel, précise-t-il, mais l’objectif est que le prix reste attractif et compétitif. »

Une algue qui semble incompatible avec du cuivre

Sur le terrain, les résultats obtenus dans le cadre du projet européen Copperreplace par l’IFV semblent mitigés. Ce projet visait à étudier l’intérêt de différents produits, notamment celui à base d’algues d’Immunrise, pour diminuer les doses de cuivre. La première année, la modalité avec les algues et un tiers de la pleine dose de cuivre a donné des résultats moins bons que la dose de cuivre réduite seule. « Nous nous sommes interrogés sur le fait que ce produit ait un antagonisme avec le cuivre », rapporte Caroline Gouttesoulard, de l’IFV Pôle Rhône Méditerranée.

En 2022, l’équipe a donc testé le produit en séparant les passages du cuivre et des algues. Avec un bon résultat. « Nous avons vu une plus-value du produit par rapport à une dose réduite de cuivre seule », résume la chercheuse. Elle estime qu’il est difficile de tirer des conclusions avec tout juste deux ans d’essais, mais elle imagine diverses utilisations pour ce produit : en alternant avec des traitements au cuivre, en le limitant aux situations de pressions faibles à moyennes, ou encore en le mélangeant avec d’autres produits.

L’aspect biostimulation des algues n’est pas en reste. Selon l’Académie des biostimulants, il y aurait en effet 47 entreprises produisant et commercialisant des biostimulants à base d’algues. En viticulture, nous en avons identifié au moins une douzaine. Action Pin, Agronutrition, Almavitis, Compo Expert, Lhoist, Olmix, Sumi Agro, Timac Agro, Tradecorp, Unifert France, UPL, Valagro, ou encore Vivagro proposent toutes des produits avec les fameuses algues, qu’elles soient vertes, rouges ou brunes. À base d’Ascophyllum nodosum, d’Ecklonia maxima, de Laminaria digitata, de Solieria chordalis, ou encore d’Ulva lactuca, ces produits ont-ils réellement un intérêt en viticulture ? Il semblerait bien.

Bonne efficacité des algues contre les stress

« Les extraits d’algues, associés ou non à des oligoéléments, permettent de répondre à des stress biotiques et abiotiques (thermiques, immunitaires, nutritionnels), informe Marie-France Corio-Costet, directrice de recherche à l’Inrae de Bordeaux. Ils renforcent l’immunité de la plante, et activent la production d’antioxydants. » Avec à la clé, une meilleure résistance au stress hydrique, au stress thermique, aux maladies, ainsi qu’une croissance de la vigne et un rendement améliorés.

De même, apportées seules ou en combinaison avec des engrais, les algues semblent bénéfiques pour les sols. Selon des essais de l’Inrae de Dijon, elles favorisent en effet la ramification des racines des vignes et donc l’enracinement des pieds, boostent la microflore du sol tant au niveau de la structure que de la diversité microbienne, et renforcent l’efficacité nutritive des engrais.

Les huîtres, alliées des sols ?

Après les algues, les coquilles d’huîtres pourraient elles aussi avoir de beaux jours dans les vignes. Et ce, que ce soit en amendement ou en paillage. Paul-Louis Moigne, viticulteur à Tautavel, dans les Pyrénées-Orientales, expérimente ce premier usage avec ses collègues depuis 2021. Comme souvent, tout est parti d’une rencontre, entre le groupe des jeunes coopérateurs de la cave et le propriétaire d’une cabane à huîtres à Leucate. L’idée d’épandre ses coquilles dans les vignes a émergé. Les viticulteurs l’ont saisie et ont fait charger les coquilles dans un semi-remorque, qui les a déversées dans le cirque de Vingrau. Il a alors fallu les broyer.

Un amendement encore un peu compliqué à déployer

Une opération un brin compliquée, qui a nécessité de nombreux essais. Au final, un marteau-pilon de chantier, loué pour 70 euros la journée, a fait l’affaire. Les vignerons ont broyé les coquilles à une granulométrie de 1 à 3 cm afin d’éviter qu’elles ne s’envolent au moindre coup de vent, puis les ont épandues à la pelle, à raison de 600 kg/ha.

« Cela fait pas mal de manipulations, il faut transporter les coquilles dans les comportes, les briser par petits tas, puis les épandre manuellement », regrette Paul-Louis Moigne. À cinq, cela leur prend la journée pour couvrir un hectare. « On ne sait pas encore si cette opération a de réels bienfaits, reprend le viticulteur. Mais elle doit au moins apporter quelques oligoéléments au sol, et effectuer un léger chaulage» Il n’y a pour l’heure aucun impact sur le vin. Mais ce dernier est servi sur les tables… de la cabane à huîtres. La prochaine étape sera le passage à plus grande échelle. « Nous réfléchissons à une autre solution de concassage ainsi qu’à un épandage mécanique », conclut Paul-Louis Moigne.

Tester des granulométries différentes

De son côté, l’IFV Sud-Ouest s’est penché sur l’intérêt de ces coquilles en paillage sous le rang. Avec un succès mitigé. « L’avantage du mulch de coquilles d’huîtres est qu’il a permis de conserver une meilleure humidité du sol que les autres modalités, témoigne Fanny Prezman, ingénieur viticulture à l’IFV Sud-Ouest, en charge des essais. De même, la température du sol a été significativement et positivement impactée : le sol était plus frais l’été sous les coquilles et plus chaud l’hiver. » Autre atout, pour les sols acides, la poussière d’huîtres déversée en même temps que les coquilles permet de remonter le pH.

 

 
Les coquilles d'huîtres en tant que paillage ne donnent pas encore satisfaction.
Les coquilles d'huîtres en tant que paillage ne donnent pas encore satisfaction. © IFV

Néanmoins, l’efficacité de ce paillage contre les adventices n’est pas très bonne. Les 10 cm d’épaisseur de coquilles, d’une granulométrie de 4 à 5 cm, ont rapidement été percés. « À la fin de la première saison, il y avait un taux de recouvrement de 20 %, annonce Fanny Prezman. À la fin de la seconde campagne, les herbes avaient colonisé 50 à 70 % du cavaillon. » Ce type de mulch ne se dégrade par ailleurs pas. « Les coquilles s’éparpillent et s’enfouissent », observe Fanny Prezman. Un tel mulch est également difficile à mettre en œuvre, le tonnage à l’hectare nécessaire étant très important. « Nous envisageons donc de poursuivre les travaux avec une granulométrie différente, dévoile l’ingénieur. Ou d’essayer des matériaux à base de coquilles d’huître (feutres ou autres). » Affaire à suivre donc.

Les bactéries de l’eau de mer contre la chaleur

Les microorganismes contenus dans l’eau de mer pourraient également receler de nombreux bienfaits pour la vigne. C’est du moins ce que semble suggérer une étude portugaise, de la faculté des Sciences de Lisbonne. Pour ce faire, les chercheurs ont pulvérisé des bouillies contenant deux différents mélanges de microorganismes isolés dans les marais salants du sud-ouest de l’Espagne. Avec des résultats intéressants. « Les pieds traités avec des rhizobactéries marines ont présenté une photoprotection et une stabilité membranaire significativement supérieures aux témoins, ainsi qu’une amélioration notable du stress oxydatif ressenti lorsqu’ils sont exposés à un stress caniculaire », peut-on lire dans la publication.

Et de poursuivre : « le consortium PGPR constitué par Aeromonas aquariorum, Bacillus methylotrophicus et Bacillus aryabhattai peut être un outil remarquable et viable pour atténuer et éviter les dommages liés à la chaleur chez Vitis vinifera ». Les chercheurs soulignent néanmoins que le mécanisme à l’œuvre reste encore mystérieux.

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