Quels produits utiliser contre la sécheresse en viticulture ?
Qu’ils agissent sur la plante pour les biostimulants, ou sur le sol pour les biochars, il existe des leviers pour aider la vigne à s’adapter à la contrainte hydrique.
Qu’ils agissent sur la plante pour les biostimulants, ou sur le sol pour les biochars, il existe des leviers pour aider la vigne à s’adapter à la contrainte hydrique.
Vous avez sans doute remarqué que l’on trouve à la vente de plus en plus de produits destinés à mieux affronter la chaleur et la sécheresse. Mais que valent réellement ces solutions proposées aux viticulteurs ? Les Italiens ont fait partie des premiers à s’y intéresser. Il y a une quinzaine d’années déjà, des chercheurs ont testé l’effet de molécules antitranspirantes sur les feuilles, comme le pinolène. Les divers résultats montrent que ce terpène de pin entraîne une baisse de la conductance stomatique, donc de la perte en eau, mais aussi de la photosynthèse. Avec des conséquences plutôt positives sur la diminution du taux de sucres, mais négatives en ce qui concerne les anthocyanes. Les essais français ayant également été en demi-teinte, la solution ne s’est jamais véritablement diffusée.
Ce n’est pas le cas des biostimulants. Dès 2014, les conseillers viticoles de la chambre d’agriculture du Var ont constaté des différences de contrainte hydrique entre un témoin et une modalité traitée avec un biostimulant foliaire. Des résultats pris avec des pincettes par les experts, car ils n’étaient pas assez différents pour être jugés significatifs. La communauté scientifique a d’ailleurs marché sur des œufs pendant longtemps à ce sujet. « Les biostimulants ont des revendications larges, font intervenir des mécanismes multiples et sont souvent en mélange avec des engrais, ce qui rend leur expérimentation très complexe », confiait un chercheur de l’IFV dans nos colonnes en 2020. Mais aujourd’hui, il est possible de le dire sans détour : les biostimulants peuvent avoir un effet direct sur la réponse des plantes à la sécheresse. François Héricourt, maître de conférences à l’université d’Orléans, travaille sur le sujet depuis plus de dix ans, et a coordonné le projet ProBioSec.
Des molécules qui annoncent aux plantes le manque d’eau
Son équipe a démontré qu’il existe un récepteur à la surface des membranes des cellules végétales qui déclenche une cascade de réactions finissant par activer les gènes de réponse à un stress hydrique. Ne restait plus qu’à identifier la molécule servant de signal. « Nous avons mis au point un système de rapporteur avec fluorescence, explique le scientifique, et avons cherché dans les feuilles de notre modèle végétal historique, à savoir le peuplier. » L’équipe en a sorti deux extraits intéressants, qu’ils ont testés directement au champ. Pas de chance pour la vigne, les parcelles ligériennes de l’IFV n’ont pas connu de sécheresse en 2023… Mais sur tomates et plantes horticoles en serre, où les conditions peuvent être contrôlées, les deux extraits ont montré des effets positifs : une meilleure vigueur et une hauteur de tige supérieure au témoin quand l’eau se raréfie. « Ce qui apporte la validation du concept », se réjouit le scientifique.
Pour cette première expérience, l’application a été faite en même temps que l’apparition du stress hydrique. Cette année, les chercheurs essaieront de voir quel serait l’effet en « préventif ». Ils vont également recommencer les expérimentations sur vigne, mais en conditions contrôlées. Par ailleurs, François Héricourt a testé plusieurs spécialités biostimulantes déjà commercialisées, quatre à base d’algues et trois à base de levures. Sur les quatre premières, trois se sont révélées fonctionnelles au regard des découvertes du chercheur. Concernant l’autre groupe, une seule s’est révélée positive. « Celle vendue spécifiquement pour les stress abiotiques, ciblant les problèmes de sécheresse », apprécie François Héricourt.
Un outil à coupler parmi d’autres leviers contre la sécheresse
Il ne faut toutefois pas s’attendre, sur le terrain, à des résultats révolutionnaires. L’ICV a par exemple mené toute une campagne d’essais, et a conclu que certains produits permettent de réduire la contrainte hydrique. « Le potentiel hydrique foliaire de base peut augmenter de 10 à 15 %, relève Jacques Rousseau, responsable du service expérimental de l’institut. Mais les bénéfices tendent à disparaître au moment des très fortes contraintes estivales. » Pour lui, la régularité du programme depuis le débourrement semble être un facteur de réussite.
Les biostimulants testés ont globalement permis de prolonger la période de confort hydrique et de retarder la survenue de l’état de stress, sans toutefois montrer d’effet sur le rendement. « Il est clair que dans les situations critiques comme actuellement dans les Pyrénées-Orientales, cela ne suffit pas », ajoute le consultant. La chambre d’agriculture de l’Hérault a elle aussi réalisé des essais de spécialités vendues pour limiter le stress hydrique, ne contenant pas d’azote. « Certains fonctionnent bien, c’est bluffant. D’autres, à l’inverse, n’ont aucun effet, relate Jouanel Poumarc’h, chargé de mission. Nous pensons que les produits qui fonctionnent sont ceux qui travaillent sur la régulation stomatique. Nous allons donc réitérer des essais cette année pour vérifier cela et quantifier les économies d’eau permises. » Pour Jacques Rousseau, de telles solutions ne seront qu’un outil parmi d’autres, qui trouvera sa place dans tout un panel d’actions contre la sécheresse.
L’emploi de biochars pourrait lui aussi compléter la boîte à outils. Encore peu étudiés jusqu’ici, ils ont connu un engouement particulier en 2023, face à l’urgence de certaines situations. La toute première expérimentation (projet Vinichar) a été menée dans le Sud-Est de 2016 à 2019. « Comparés à des apports en compost simple, les biochars ont montré des performances sur la réduction à la contrainte hydrique, la dynamique de croissance et l’amélioration du poids des baies dans la moitié des parcelles mises en place », écrit Jean-Christophe Payan, de l’IFV, dans ses conclusions. La chambre d’agriculture de Gironde a lancé un projet avec le producteur de biochar Terra Fertilis, de 2023 à 2026. Une dose équivalente à 400 kg/ha (à environ 1 000 euros la tonne) a été enfouie sur le rang à la main à une vingtaine de centimètres de profondeur. S’il est tôt pour tirer les conclusions, les premières observations ont fait apparaître, l’an dernier un stress supérieur chez le témoin non traité. Le même biochar a été testé dans le Gard par Bioline sur deux hectares, soit seul à 250 kg/ha, soit à 1 tonne par hectare et associé à 2 tonnes par hectare de compost, grâce à un épandeur traîné.
Des plantiers qui poussent mieux dans les Pyrénées-Orientales
« Nous avons un léger plus à la récolte grâce au biochar, témoigne Stéphane Rouvin, chef des ventes chez Bioline. Mais surtout nous voyons une grosse différence sur nos couverts végétaux, qui ont bien mieux levé et réalisé davantage de biomasse. » Dans les Pyrénées-Orientales, le domaine Lafage a lui aussi lancé ses propres expérimentations en 2023. Un biochar dérivé de ceps de vignes a notamment été apporté à hauteur de 4 tonnes par hectare sur une plantation nouvelle, en association avec du compost. « Les jeunes plants sur cette modalité ont montré 20 % de pousse en plus par rapport au témoin avec le compost seul », assure Antoine Lespes, en charge des essais.
Les échos sont également positifs dans le Var, selon le Cabinet d’agronomie provençale (CAP). Anna Li, responsable du département R & D, a comparé sur 8 rangs d’une jeune parcelle de grenache sur sol sableux un apport de 3 tonnes par hectare de compost, à un apport de 3 tonnes par hectare de ce même compost couplé à 3 tonnes par hectare d’un biochar local, sous-produit d’un producteur d’énergie. « Nous sommes satisfaits des premiers résultats, ce qui nous incite à poursuivre l’expérimentation », estime Anna Li. Elle a observé des différences de rendements et de teneur en azote des feuilles durant la saison. Mais surtout, cet hiver, avec l’arrivée des pluies, une meilleure rétention de l’eau et une décharge hydrique beaucoup moins importante. « Mais il reste beaucoup de paramètres à évaluer, relativise la scientifique. Comme les différences entre les biochars, car il en existe de diverses matières premières et températures de pyrolyse, ce qui joue sur la granulométrie et la porosité. » De même, elle entend chez certains des craintes de toxicité pour la vie du sol à long terme. « Seule la poursuite des essais pourra nous éclairer sur ce point », conclut-elle avec sagesse.
Quid des hydrorétenteurs ?
Véritables serpents de mer, les produits hydrorétenteurs n’en finissent pas de traîner leur lot de fascination et d’opacité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est claire au sujet des hydrorétenteurs de synthèse : il en existe quatre autorisés en France, mais uniquement dans le cadre de cultures hors-sol et non destinées à l’alimentation humaine ou animale. « Ainsi, une utilisation en vigne n’est pas possible pour la production de raisins », nous a assuré l’agence. Des essais avaient été lancés en vigne en 2017, notamment par les Vignerons de Buzet, et semblaient très prometteurs. « Le fabricant nous assurait que le produit était utilisable en vigne, mais nous avons tout arrêté lorsque nous avons appris qu’en réalité l’Anses ne l’autorisait pas », témoigne l’actuelle chargée d’expérimentation. L’agence sanitaire justifie son positionnement par le manque de connaissances sur le mode et les produits de dégradation des polymères composant ces produits, et préfère dès lors limiter l’exposition du consommateur et de l’environnement. En revanche, on trouve des autorisations en vigne pour des « rétenteurs d’eau d’origine végétale », derrière lesquels se trouvent des biochars.
Les barrières physiques ciblent l’échaudage
En quelques années, plusieurs produits sont apparus pour limiter la brûlure des raisins. Peu de retours existent sur l’aspect purement hydrique, mais Adeline Boulfray-Mallet, conseillère viticole à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire, cite les emplois de talc, d’argile ou de silicate de calcium pour abaisser les températures et limiter l’évapotranspiration au niveau des feuilles. Une piste à creuser…
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