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4 scénarios pour l’élevage de porc de demain

Les acteurs de la filière porcine se sont prêtés à un exercice de prospective proposé par l’institut Unilasalle. Quatre scénarios d’évolution de la filière ont été identifiés à l’horizon 2030, certains étant plus vraisemblables que d’autres.

Les crises se suivent : sélection par la résilience.
Les crises se suivent : sélection par la résilience.
© D. Poilvet

S’interroger sur l’évolution de la filière porcine pour mieux s’adapter face aux enjeux actuels et futurs, telle est l’ambition de la Chaire MEES de l’institut Unilasalle de Beauvais (1). Et les enjeux sont nombreux. « Les éleveurs sont soumis à une flambée et une volatilité des prix des matières premières et de l’énergie combinées à une fluctuation des cours du porc sur les marchés européens et mondiaux », pose Amal Azizi Askri, enseignante chercheure et titulaire de la chaire, lors de la présentation des résultats de ces travaux au dernier Space

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La résilience des exploitations porcines s’en trouve affectée. L’éleveur doit donc être le plus performant possible pour faire face au coût des intrants et préserver sa trésorerie. Le lien au sol prend toute son importance dans la maîtrise des coûts de production. Il améliore la viabilité économique des fermes, « mais il n’est pas toujours possible à cause de la pression sur le foncier et de la concurrence avec d’autres productions ». Autre défi, la menace sanitaire pèse sur la France. « La fièvre porcine africaine (FPA) est à 6 km de nos frontières. » Bien qu’un plan de gestion de crise soit prévu et qu’un accord soit passé avec la Chine, les élevages risquent d’être impactés. 

Le renouvellement des générations est un autre enjeu de taille. « C’est un problème structurel et une spirale négative. » Si le nombre d’éleveurs baisse, c’est toute la filière qui trinque (vétérinaire, fabricant d’aliments, etc.). Amal Azizi Askri pointe également du doigt une moindre compétitivité du porc français face au porc espagnol et allemand, une pression sociétale autour de l’environnement et du bien-être animal, une contradiction entre les attentes du citoyen et le comportement du consommateur, et des difficultés à contractualiser. De l’étude prospective de la chaire conduite sur deux ans, sont ressortis quatre scénarios probables, résultat d’entretiens auprès des acteurs de la filière suivis d’un atelier participatif (2). Ils sont ici classés du plus vraisemblable au moins envisageable, selon l’avis consensuel des participants.

1 Les crises se suivent : sélection par la résilience

Les crises climatiques et géopolitiques, plus fortes et plus fréquentes, et le manque de main-d’œuvre poussent la Ferme France à s’adapter. La solution est d’améliorer sa résilience par l’autonomie. Performances techniques, foncier et autonomie alimentaire sont les piliers des élevages les plus résilients. Le risque de l’escalade vers l’acquisition du foncier est de voir des reconversions en céréaliculture, activité plus rémunératrice. « Mais ce phénomène serait freiné par l’artificialisation des terres. » Les ateliers sans foncier mais d’un bon niveau technique se tournent vers l’élevage de précision pour atténuer les fluctuations de marché. « Leurs coûts de production sont compensés par les gains d’efficience. » Résilience et performance engendrent une dynamique de transition énergétique. Quant aux élevages moins compétents, ils disparaissent. 

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Les exploitations sont donc moins nombreuses et s’agrandissent. La chute du cheptel est plus importante que la baisse de la consommation. Les politiques encouragent la formation de main-d’œuvre qualifiée et investissent dans la production d’acides aminés. Ils tentent aussi de relocaliser la production de céréales et de protéines à un coût compétitif pour réduire la dépendance. S’en suivent des échanges de matières premières entre région et une déconcentration de la production. 

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À l’aval, les petits outils disparaissent, les autres s’automatisent, réduisant leur besoin de main-d’œuvre. Les acteurs plus gros et moins nombreux détiennent la quasi-totalité des marchés. Dans ce scénario, la fracture entre éleveurs et consommateurs s’accentue, ces derniers considérant les élevages comme des usines, sans relation Homme-animal. 

Côté sanitaire, la biosécurité renforcée des élevages performants conduit à une diminution de la prévalence des maladies chroniques malgré une baisse du nombre de vétérinaires. Cela dit, l’éleveur moins présent dans les bâtiments, observe moins les animaux et anticipe moins les cas de maladies. « Mais cela peut être compensé par l’élevage de précision. »

2 La Ferme France se transforme et communique

Les plans de communication et les politiques d’incitation poussent la filière française à innover et investir notamment dans les bâtiments via la PAC 2027. Les éleveurs investissent grâce aux aides publiques et à une meilleure rémunération du porc. Le coût de revient diminue et autorise de nouveaux investissements technologiques. « La filière française est très innovante et se démarque des autres pays. »

 

 
porte ouverte grand public enfant porcelets
2 La Ferme France se transforme et communique. © D. Poilvet

Pour autant, plusieurs pays ont adopté une stratégie similaire et la concurrence intra européenne subsiste. Tous les élevages français ne pouvant investir et se transformer, on note une baisse du nombre d’unités et de la production. Question sanitaire, les élevages dans les bâtiments neufs ont peu de problématiques tandis que dans les ateliers rénovés, les mesures de biosécurité peuvent être mises en place efficacement. La production correspond aux attentes des consommateurs qui « mangent moins mais mieux ». 

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Il devient plus facile de communiquer positivement sur l’élevage porcin qui jouit d’une meilleure acceptabilité sociétale. À l’aval, les petits outils disparaissent au profit des plus gros qui innovent et investissent dans leurs installations. Les acteurs ont de plus en plus recours à la contractualisation.

3 Une crise sanitaire bouleverse l’équilibre fragile de la filière

La Fièvre porcine africaine est présente en Europe de l’Ouest jusqu’en Bretagne. Le manque de vétérinaires persiste et retarde la détection des cas. Un plan de protection est mis en place pour limiter la propagation du virus. La situation se complique à l’export. Les accords de régionalisation signés sont insuffisants pour protéger toutes les exportations, qui s’amenuisent. La production dédiée au grand export se retrouve sur le marché européen, accentuant la concurrence intra-européenne. « L’Espagne touchée, ne peut plus exporter vers l’Asie et oriente ses exportations vers l’Europe.

 

 
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Une crise sanitaire bouleverse l’équilibre fragile de la filière. © JeanLuc/stock.adobe.com

La part du marché français baisse. » Les marchés asiatiques se ferment, entraînant une perte de l’équilibre sur la carcasse pour la France et l’Europe. En conséquence, le cours du porc chute et les pertes économiques pour les élevages et la filière sont énormes. Le nombre d’exploitations porcines diminue ainsi que le cheptel français. Les outils de production aval disparaissent. « Sur les dix ans à venir, l’impact est considérable. » Au niveau sociétal, le citoyen, qui a une mauvaise image du produit, diminue sa consommation de viande porcine. Sur le plan réglementaire, un plan de soutien pour restructurer les exploitations est mis en place. « Par exemple, une diminution de la densité et un renforcement des mesures de biosécurité. »

4 Le bien-être animal pousse l’Europe à délocaliser sa production

Le durcissement de la réglementation sur le bien-être animal pour les élevages européens provoque une montée en gamme des produits dans un contexte inflationniste. Les investissements BEA engendrent une perte de productivité et une hausse des prix. 

La consommation de porc européen chute au profit des importations hors UE qui augmentent malgré les taxes et les mesures non tarifaires liées à l’usage des antibiotiques. « C’est une solution peu durable car peu de pays peuvent alimenter le marché européen. » Les exportations vers la Chine se compliquent.

 

 
Le bien-être animal pousse l’Europe à délocaliser sa production.
Le bien-être animal pousse l’Europe à délocaliser sa production. © D. Poilvet

 Les abattoirs et la grande distribution ont recours aux accords bilatéraux pour s’approvisionner. La concurrence intra européenne demeure en raison d’écart dans l’application des mesures. Le changement de modèle de production (sur paille, plein air…) entraîne des problèmes de biosécurité. Les élevages sans lien au sol subissent les fluctuations des marchés des matières premières et ne peuvent investir dans le BEA. Ceux avec foncier, moins dépendants des marchés, sont plus résilients. 

La filière européenne subit une forte diminution des éleveurs et du cheptel, déclenchant une spirale d’extinction des acteurs amont et aval. Les abattoirs se concentrent pour optimiser les coûts et pallier la crise énergétique. L’Europe doit réfléchir au dilemme du BEA face à ses conséquences sur l’environnement. Pour sortir de la crise, la recherche planche sur l’équilibre entre viabilité économique et conception d’un bâtiment qui réconcilie BEA, ergonomie de travail et environnement.

(1) La chaire d’enseignement et de recherche MEES (mutations des filières d’élevages et enjeux sociétaux) est le fruit d’une collaboration entre l’institut Unilasalle de Beauvais et le groupe Avril.
(2) 37 entretiens qualitatifs auprès des coopératives, institutions et recherche, génétique, transformateur, association, formation, finance et assurance, alimentation, abattoir, éleveur, santé. Atelier participatif de 10 personnes issues de coopératives et éleveurs, chambre d’agriculture, ministère de l’Agriculture, santé animale, interprofession, recherche appliquée et fabricants d’aliments.

Comment s’adapter aux mutations de la filière

L’étude prospective a identifié les leviers d’actions permettant d’être proactif et de s’adapter face aux mutations qui guettent la filière. Amal Azizi Askri, titulaire de la chaire MEES, résume ces leviers en quatre points.

 

 
Amal Azizi Askri, enseignante chercheuse et titulaire de la chaire MEES. «Les systèmes d’élevages doivent s’adapter et anticiper les évolutions actuelles et futures.»
Amal Azizi Askri, enseignante chercheuse et titulaire de la chaire MEES. «Les systèmes d’élevages doivent s’adapter et anticiper les évolutions actuelles et futures.» © S. Huet

Former. Assurer le renouvellement des générations est essentiel pour la filière. Réinvestir dans la formation et restructurer l’enseignement en y intégrant les ateliers porcins permettrait de faire découvrir les métiers de l’élevage de porcs aux futurs actifs. L’attractivité du secteur doit être renforcée, notamment par l’automatisation des équipements. L’enjeu essentiel est bien sûr de sécuriser le revenu des jeunes installés.

Communiquer. Les élevages fermés sont support à nombre d’allégations négatives. Ouvrir les portes des ateliers porcins au public demande certes beaucoup d’efforts de la part des éleveurs qui sont en première ligne mais aussi de tous les maillons de la filière. Cette initiative permet aux éleveurs de reprendre la main et de gagner en fierté.

Innover. Selon les acteurs interrogés lors de cette enquête, l’innovation est au cœur du développement et les investissements doivent être poursuivis. Technologies et innovations redonneront des couleurs à la filière porcine.

S’adapter et anticiper. La filière n’a pas d’autre choix que de s’adapter aux évolutions réglementaires et conjoncturelles, de chercher des solutions répondant aux aspects climatiques et à la pénurie de main-d’œuvre, de viser l’autonomie alimentaire, de réfléchir à la contractualisation mais aussi de transformer et valoriser les pièces sortant des outils de production et d’assurer une veille concurrentielle et prospective des marchés.

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