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Génétique
Les enjeux de la sélection sur l’adiposité pour améliorer la qualité des produits

L’Ifip et l’Inra mettent l’accent sur les atouts des tissus adipeux et définissent les nouveaux enjeux en termes de stratégie de sélection porcine.

Longtemps boudé par les politiques nutritionnelles occidentales et les consommateurs, le gras connaît actuellement un regain d’intérêt. Il présente de nombreux atouts pour la transformation en produits de charcuterie et salaison ainsi que pour les qualités sensorielles et nutritionnelles des produits. Dans sa dernière actualisation des références nutritionnelles, l’Anses valorise la place des graisses dans l’alimentation humaine en recommandant une augmentation des apports énergétiques sous forme de lipides (35 à 40 %) et des acides gras oméga-3. Le développement des productions porcines sous signe officiel de qualité témoigne des nouvelles attentes des consommateurs et d’une orientation vers une plus grande diversification des produits. Ces évolutions récentes sont favorables à la création de valeur dans la filière porcine française. Le « gras » y trouve toute sa place ! Les acteurs de la génétique porcine française disposent de moyens pour contribuer à l’amélioration des caractères d’adiposité : spécificités de chaque race, variabilité de la quantité de gras entre les muscles, nouvelles technologies de phénotypage… Cependant, ils doivent rester vigilants quant aux antagonismes génétiques qui existent entre la composition de la carcasse et la qualité de la viande.

Trois défis de taille pour la sélection porcine !

L’amélioration génétique des tissus adipeux repose sur la mesure de deux caractères clés : l’épaisseur de lard dorsal (ELD), contre laquelle une sélection est opérée depuis plus de 50 ans, et la teneur en lipides intramusculaires (LIM), introduite plus récemment dans des programmes d’amélioration génétique, dans l’objectif d’augmenter sa teneur dans la longe.

Le premier défi est de sélectionner un gras "invisible" pour améliorer la qualité sensorielle des viandes sans freiner l’acte d’achat du consommateur. En effet, avant consommation, les préférences se portent majoritairement vers les viandes les moins persillées (= moins riches en LIM), alors que les préférences s’inversent souvent après consommation, les viandes les plus persillées étant jugées plus juteuses, plus tendres et plus goûteuses. Des différences d’appréciation s’observent toutefois selon l’âge, la culture et les habitudes culinaires des consommateurs. L’influence des LIM sur la qualité sensorielle dépend également du produit considéré, avec, par exemple, un effet favorable sur l’appréciation sensorielle du jambon sec, mais défavorable pour le jambon cuit.

Le second défi est de travailler sur la recherche d’un gras sain pour mieux répondre aux besoins nutritionnels de l’homme : apports en protéines, lipides, vitamines et minéraux. Les teneurs et compositions en lipides des tissus gras et maigres impactent fortement les caractéristiques nutritionnelles des viandes et produits transformés de porc.

Le troisième défi consiste à orienter les tissus adipeux vers différentes utilisations en salaison-charcuterie selon leurs caractéristiques physiques (fermeté, couleur) ou biochimiques (sensibilité à la peroxydation). En effet, celles-ci sont essentielles pour les technologies charcutières.

Variabilité importante entre races et entre muscles

Les quatre principales races utilisées en France pour produire les porcs charcutiers (Large White, Landrace, Piétrain et Duroc) se distinguent des races ne faisant pas l’objet d’un programme de sélection (par exemple, la race Meishan, à l’origine des lignées sino-européennes, et les races locales françaises Basque et Gascon) par une ELD plus faible. Il existe une grande variabilité de la teneur en LIM qui varie de 1 % à plus de 4 % selon les races, et qui peut même atteindre 10 % en moyenne chez le porc Ibérique. La race Duroc se distingue des autres races sélectionnées par une teneur moyenne en LIM supérieure à 3 %, soit au-delà du seuil minimal de 2,5 % considéré comme améliorateur sur la qualité sensorielle. Toutefois une variabilité importante de teneur en LIM peut être observée en race Duroc, selon les lignées considérées.

Il existe également une variabilité de l’adiposité selon la localisation anatomique. L’épaisseur de lard le long de la carcasse décroît de l’épaule au jambon et les zones de transitions anatomiques sont marquées par des diminutions nettes d’ELD. Par ailleurs, les différents muscles de la carcasse présentent des différences de teneurs en LIM : la longe est moins grasse que le jambon, et les muscles du jambon présentent des niveaux de LIM différents entre eux. Enfin, les teneurs en LIM varient également au sein d’un même muscle selon la position anatomique, comme dans le muscle longissimus, qui peut présenter jusqu’à un point (%) de lipides d’écart suivant que la coupe est centrée sur une côte ou entre deux côtes.

Les nouvelles technologies d’imagerie au service du phénotypage

Pour faire du phénotypage haut débit à des fins d’amélioration génétique, il faut pouvoir collecter des mesures fiables, peu coûteuses, précoces, non invasives et réalisables à grande échelle grâce à des méthodes de mesures rapides, standardisées et automatisées. Les caractères mesurés sur l’animal vivant sont privilégiés car ils peuvent être collectés sur l’ensemble des candidats à la sélection, sans dépréciation de la carcasse. Leur traçabilité est simplifiée comparée aux mesures sur carcasse à l’abattoir.

Plusieurs technologies d’imagerie sont aujourd’hui disponibles pour étudier la composition corporelle et la distribution anatomique des tissus, sur des porcs vivants ou sur carcasses. La technologie ultrasons est un outil bien adapté au contrôle de performances en élevage, pour mesurer en routine l’ELD in vivo et prédire la teneur en LIM du muscle longissimus. La technologie tomographie RX est adaptée pour prédire la composition corporelle in vivo ou sur carcasse ou pièces, mais ne permet pas de prédire la teneur en LIM in vivo. L’épaisseur de lard peut être mesurée sur carcasse à l’abattoir grâce aux appareils de classement. De plus, des lecteurs de puces RFID sont d’ores et déjà opérationnels dans certains abattoirs français pour faciliter la traçabilité individuelle des carcasses sur les chaînes d’abattage. Ils permettent ainsi la collecte des mesures réalisées en routine lors du classement commercial des carcasses sur un plus grand nombre d’animaux. Ces évolutions offrent de nouvelles perspectives de sélection en termes de composition de la carcasse. L’IRM offre l’opportunité de prédire la teneur en LIM avec des cadences élevées, de l’ordre de 400 à 500 échantillons par jour, avec une bonne précision. Enfin, la spectroscopie proche infrarouge permet de prédire la teneur en LIM de la viande en conditions industrielles, ainsi que la composition en acides gras, notamment en oméga-3, dans les tissus adipeux de porc.

Difficile de combiner une viande goûteuse et persillée et une faible adiposité de la carcasse

Par leur forte héritabilité, l’ELD (0,43 à 0,72) et la teneur en LIM (0,26 à 0,69) sont des caractères adaptés aux méthodes de sélection classiques. Entre l’ELD et la teneur en LIM, la corrélation génétique est modérée et positive (+0,19 à +0,40), donc défavorable. Ainsi, une sélection pour augmenter la teneur en LIM, trop faible dans la plupart des races porcines sélectionnées pour conduire à une qualité sensorielle élevée, induira une légère augmentation de l’ELD. Il est donc difficile de combiner de bonnes qualités de viande et une bonne composition (teneur en maigre) de la carcasse.

Il existe également un antagonisme génétique entre l’ELD et la composition en acides gras des tissus adipeux sous-cutanés, comme en témoignent les corrélations génétiques avec les teneurs en lipides (+0,70), en acides gras saturés (+0,40) et en oméga-6 (-0,70). Ces dernières indiquent que la sélection pour diminuer l’adiposité de la carcasse se traduit par des tissus adipeux moins riches en lipides et en acides gras saturés, et plus riches en acides gras polyinsaturés. Ces tissus sont moins fermes, plus sensibles aux phénomènes de peroxydation lipidique (risque d’altération des propriétés nutritionnelles et sensorielles de la viande et des produits de charcuterie). Ils sont aussi plus riches en acides gras oméga-6, ce qui va à l’encontre des recommandations nutritionnelles. Il faut toutefois rappeler que l’alimentation des animaux constitue un levier majeur pour moduler la composition des lipides de la viande de porc.

La grille de paiement ne valorise pas la qualité sensorielle des viandes

L’intérêt du gras pour la filière porcine française est évident si l’on considère les qualités sensorielles, nutritionnelles et technologiques des viandes et produits du porc. La grille de paiement des carcasses en production conventionnelle, basée sur le poids et la teneur en maigre des carcasses, ne valorise pas ces dimensions de qualité. Au contraire, l’antagonisme génétique entre l’ELD et la teneur en LIM tendrait à dégrader la qualité sensorielle des viandes. De même, la qualité technologique des gras s’altère avec la réduction d’adiposité des animaux. Dans un contexte marqué par l’évolution récente du marché des produits carnés vers une plus grande diversité des systèmes de production et des produits, les acteurs de la génétique porcine française peuvent s’appuyer sur les éléments de cette synthèse pour définir les futures stratégies de sélection afin de répondre aux diverses attentes des industriels et des consommateurs.

Cet article est issu d’une synthèse complète publiée dans le cadre des Journées de la recherche porcine : Schwob S., Lebret B., Louveau I. (2019) Adiposité et amélioration génétique chez le porc : état des lieux et nouveaux enjeux pour la qualité des produits. Journées recherche porcine, 51 : 327-338.

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