Arrêter la coupe des queues : une volonté européenne d’avancer
La coupe de la queue est une intervention tolérée par la réglementation mais de plus en plus remise en cause. La Commission européenne et de nombreux pays sont très actifs sur le sujet. Tour d’horizon des démarches engagées.
La coupe de la queue est une intervention tolérée par la réglementation mais de plus en plus remise en cause. La Commission européenne et de nombreux pays sont très actifs sur le sujet. Tour d’horizon des démarches engagées.
Bien qu’elle soit interdite en routine, la caudectomie est pratiquée dans 90 % des élevages de l’Union européenne (EFSA, 2007) pour prévenir les morsures de queue en élevage. Cette pratique est autorisée sous prescription vétérinaire si la caudophagie est un problème et sous réserve que des actions correctrices aient été mises en place sans résultat satisfaisant. Actuellement quelques pays l’ont totalement interdite ou la pratiquent exceptionnellement : Finlande, Suède, et Lituanie. Réduire le nombre de porcs à queue coupée, c’est aussi une demande adressée à la Commission européenne par les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark et la Suède en avril 2015. Ces pays, ainsi que la Commission européenne (projet Farewelldock) ont engagé des études depuis plusieurs années sur ce sujet. En France, les professionnels de la filière et l’administration financent un plan d’action. Un outil d’audit, basé sur l’outil allemand, va être construit et testé en élevage. Il a pour objectif d’aider les éleveurs à identifier les facteurs de risque et leur permettre ainsi de les corriger. Des études en station vont être menées pour mieux connaître le processus d’apparition et de développement du cannibalisme et mesurer l’intérêt d’apports de matériaux d’enrichissement.
Les Pays-Bas n’ont pas de réglementation spécifique sur la coupe de la queue. Ils ont constitué un groupe de travail appelé Curly tail (queue en tire-bouchon) qui a défini un plan d’action pour réduire cette pratique. Ce groupe associe depuis 2012 les acteurs de la filière, les scientifiques, les organisations de protection animale et l’administration. Aucune échéance n’a été fixée. Les éleveurs se sont engagés favorablement sous réserve que cela se fasse de façon responsable, avec un taux de morsures en élevage très faible et un coût limité. Ces engagements ont été formalisés dans la déclaration de Dalfsen en 2013.
Le programme Curly tail est déployé en plusieurs étapes. Pendant deux ans, des animaux à queue intacte ont été élevés en station expérimentale afin de capitaliser de l’information, en testant quelques modalités d’élevage : matériaux d’enrichissement, fourrages, type de sol, place à l’auge. Ces observations ont permis de constituer une boîte à outils pour anticiper ou réagir face à du cannibalisme. Un premier réseau a été constitué avec quelques éleveurs essayant d’arrêter de couper les queues et des vétérinaires. Cette démarche en réseau est privilégiée à l’avenir pour croiser les expériences et progresser collectivement. Le programme envisage également le développement de systèmes d’élevages adaptés à l’élevage de porcs à queue intacte, proche des systèmes actuellement présents.
Au Danemark, la queue ne peut pas être sectionnée sur plus de la moitié de la longueur et l’opération doit intervenir entre le 2e et le 4e jour de vie. Des objectifs ont été définis par le gouvernement en 2014, en accord avec la filière et les ONG, pour réduire le nombre de porcs qui ont la queue coupée. Les travaux de recherche engagés visent à identifier des signes précurseurs de cannibalisme, tester des matériaux d’enrichissement ou des conceptions de cases d’engraissement. Un outil d’alerte basé sur l’activité des animaux, la température ambiante et la consommation d’eau est envisagé. Des suivis de porcs à queue non coupée ont été réalisés dans deux élevages standard de très bon niveau technique, sans succès.
Un label national bien-être a été créé. Pour chaque niveau de labellisation, la coupe de la queue est interdite.
En Allemagne, plus de 50 projets ont été menés depuis 2011, pour un budget d’environ six millions d’euros : recherche de solutions, faisabilité, conseil, enquêtes. Les recherches s’attachent à identifier des signes comportementaux prédictifs de cannibalisme et à explorer différents facteurs de risque : enrichissement du milieu, alimentation, surface par animal, santé, conception de la case, troubles métaboliques, génétique. Trois projets pilotes ont été réalisés dans 14 à 16 élevages dans trois régions : queue laissée intacte sur 30 à 90 porcs, dans une ou plusieurs bandes, et suivi approfondi des porcs par l’éleveur, avec l’appui de vétérinaires.
Un objectif national avait été fixé pour 2016 : 5 % d’éleveurs ayant 5 % de leurs porcs sans queue coupée. En Basse-Saxe, pour la période 2015-2018, la région attribue 16,50 euros par porc pour des éleveurs qui arrêtent de couper la queue et dont 70 % des porcs à l’engrais ne présentent pas de lésions (relevé fait par le vétérinaire de l’élevage). De nombreux documents d’information et des séminaires à destination des éleveurs, techniciens et vétérinaires accompagnent cette politique. Par ailleurs le pays a mis en place dix fermes modèles, dans lesquelles les porcs n’ont pas la queue coupée.
Une approche complémentaire à ces travaux est le développement d’un outil d’audit, appelé Schwip, à destination des techniciens ou vétérinaires. Il permet, lors d’une visite d’élevage, de faire une analyse de risque vis-à-vis des morsures de queue et de discuter avec l’éleveur des aménagements ou des pratiques à mettre en place pour limiter le risque. Cet outil est systématiquement utilisé quand un éleveur décide d’arrêter de couper les queues. Les données collectées lors de l’audit sont transmises à une base de données nationale ce qui permet d’améliorer les connaissances et faire évoluer l’outil.
Ce projet démarré en 2013 a apporté des réponses sur la douleur perçue par l’animal suite à la coupe de la queue ou suite à une amputation chirurgicale effectuée sur des porcs de 16 semaines, pour simuler une morsure. La douleur à moyen et long terme a été évaluée via l’étude du développement des névromes suite à l’amputation et la sensibilité de la queue au cours de la vie de l’animal. D’autres essais ont porté sur l’intérêt relatif d’un apport de paille ou de la pratique de la coupe de la queue pour limiter la caudophagie, ainsi que les conditions de faisabilité d’un apport de paille en conditions d’élevage : dimension des brins, largeur des fentes de caillebotis, gestion de l’évacuation des lisiers. Le lien entre mauvaise santé et risque de caudophagie a également été étudié. L’ensemble des travaux, ainsi que des fiches techniques rédigées en français, est disponible sur le site farewelldock.eu.
Les différentes études en élevage annoncent des résultats mitigés, avec des pertes de queues allant de 0 à 17 %, et de grandes variations entre élevages. Les morsures de queue démarrent le plus souvent en postsevrage en cas de queues entières et en engraissement pour les porcs à queue coupée. Les conclusions des études terrains ne sont pas en faveur d’une généralisation rapide de l’arrêt de la coupe de la queue.