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filière roquefort
Un consensus valide une réforme douloureuse 

Alors qu’elle semblait bien engagée, la réforme de la filière Roquefort a viré au jeu de massacre. Le consensus finalement signé en octobre jette les bases d’un nouveau départ.

La filière de Roquefort, qui vient de fêter ses 90 ans, est en train de s’offrir, contrainte et forcée, une très douloureuse cure de jouvence. Son nouveau visage est loin d’être tracé, mais le consensus signé le 15 octobre dernier en dessine les premiers contours. Fini la négociation interprofessionnelle du prix du lait, place aux contrats laitiers où volume de lait et prix seront discutés en début de campagne entre industriels et producteurs, regroupés en organisations de producteurs (OP) ou individuellement. Si la réforme est imposée par le paquet lait européen, personne ne contestait la nécessité de faire évoluer un système interprofessionnel devenu rigide au fil des ans. Beaucoup auraient souhaité le réformer en douceur pour en conserver ses vertus et éviter des conséquences brutales pour certains producteurs. Ils espéraient aussi réunir un maximum d’entre eux dans une OP transversale, pour être plus forts face aux industriels. Mais, neuf associations de préfiguration (en attente du décret sur les OP à paraître dans les prochains mois) se sont constituées, quasiment une par entreprise et même quatre pour Société des Caves.

« Des producteurs vont perdre 300 euros par mille litres »

Le nœud du problème tient au système de péréquation mis en place pour compenser le différentiel de valorisation entre le lait transformé en roquefort, qui n’absorbe plus que la moitié de la collecte, et le lait destiné aux produits de diversification, moins rémunérateurs. Cette dernière activité a été confiée en quasi-totalité au principal industriel, Société des Caves (groupe Lactalis). Le prix du lait était calculé à partir de la masse financière engrangée par l’ensemble des valorisations - la « marmite ». Désormais, chacun des sept industriels négociera avec ses producteurs un volume à produire et un prix en fonction de ses propres valorisations, ainsi que les primes et pénalités liées à la qualité et à la saisonnalité. Or, si Société des Caves est le plus gros fabricant de roquefort, il ne transforme que le tiers de sa collecte en AOP. « Tous les producteurs n’auront pas accès de la même manière à la richesse du roquefort », regrette Dominique Torrès, responsable de l’amont chez Société. Il dénonce « l’effet d’aubaine », en termes de mix-produit et donc de prix du lait, qui a prévalu dans les débats chez certains fabricants et leurs producteurs, au détriment de ceux qui livrent chez Société. « Des producteurs vont perdre 300 euros par mille litres de lait entre 2015 et 2016 », a prévenu Robert Glandières, président de la Fédération régionale des syndicats des éleveurs de brebis (FRseb) lors de l’assemblée générale du 4 décembre dernier.

« Une belle progression en roquefort en 2015 »

« Le lait commercialisé hors du système de Roquefort et dans les autres bassins est mieux rémunéré que le prix moyen du rayon. Pourquoi Société des Caves ne pourrait pas payer davantage ses producteurs ? », interroge Pierre Gaillac, président de l’une des associations. « Nous travaillons tous les jours à améliorer notre mix-produit. Nous avons fait une belle progression en roquefort en 2015. Nous allons augmenter les volumes en pâtes molles, qui rémunèrent bien, sur notre nouveau site du Massegros, en Lozère… Mais, n’oublions pas que la diversification que nous gérons représente 80 millions de litres alors que le quatrième bassin (le lait produit dans toute la France hors des trois bassins historiques) traite en tout et pour tout 20 millions de litres », rétorque Dominique Torrès.

Après des mois de très fortes tensions exacerbées par les enjeux financiers énormes de cette réforme, y compris entre producteurs, et alors que fin septembre les positions semblaient inconciliables quant aux solutions pour remettre un minimum de péréquation, un consensus a été signé le 15 octobre par quasiment tous les opérateurs. Il lance les bases de nouvelles modalités de fonctionnement de la filière, mais doit au préalable être validé par les pouvoirs publics. Une première rencontre avec le ministère de l’Agriculture était prévue le 10 décembre dernier. « Nous avons accepté de signer pour continuer à travailler ensemble et sauver le système confédéral », indique Pierre Gaillac, qui ne cache pas ses réserves sur certains points.

Un prix du lait composé de trois parties

Le consensus stipule que le prix du lait serait composé de trois parties : un prix pour le lait transformé en roquefort, un prix de base pour le reste des volumes et un solde positif ou négatif d’une contribution filière. Payée par les producteurs sur les volumes de lait destinés au roquefort et fixée à 200 euros par mille litres pour les trois premières années, cette contribution serait destinée à « amortir les évolutions les plus brutales pour certains fabricants comme pour certains producteurs », explique Robert Glandières. Les signataires du consensus se sont fixé un « objectif de pérennisation » de ce mécanisme, avec ajustement annuel du montant. Un point qui fait toujours débat. Les modalités de redistribution aux producteurs restent à définir, sachant que, réglementairement, cette cotisation doit répondre à des missions précises au sein de la filière AOP et ne peut apparaître comme un rééquilibrage du prix du lait. L’objectif serait de la faire reconnaître comme une contribution volontaire obligatoire (CVO) afin qu’elle s’applique à tous les acteurs commercialisant ou transformant du lait destiné au roquefort. Cette contribution serait néanmoins loin de compenser la totalité du différentiel de prix du lait entre producteurs. Société proposera un volume supplémentaire à ceux qui perdraient du chiffre d’affaires. Début décembre, quatre-vingt-deux livreurs avaient quitté l’industriel, ce qui libère du lait pour les autres.

« Restera-t-il une place pour un élan collectif ? »

Le chemin va être long, et les embûches sans doute nombreuses, avant l’aboutissement de la réforme. La filière s’est donnée pour objectif de construire le modèle définitif pour 2017. La campagne qui démarre sera donc une année transitoire. L’interprofession devrait négocier des indices de prix du lait (roquefort, lait de base) afin que producteurs et industriels aient une base de négociation. Néanmoins, début décembre, des fabricants avaient déjà proposé un prix pour 2016 à leur association de producteurs, signe de la confusion qui règne encore au sein de la filière. « Il est important que tous les acteurs se responsabilisent, insiste Dominique Torrès. Restera-t-il une place pour un élan collectif ? Je ne le sais pas aujourd’hui. Pour notre part, nous souhaitons préserver cette filière. Si une majorité d’acteurs le veut aussi, ils doivent le dire. S’ils ne le veulent pas, nous nous adapterons. »

Bernard Griffoul

Une contribution filière pour amortir les différences de prix

Refonte des statuts et missions des structures

Les statuts et missions de l’interprofession et de la FRseb, qui y représente les producteurs, devront être adaptés au nouveau fonctionnement de la filière.

La Confédération de Roquefort devra redéfinir les rôles dévolus respectivement à l’ODG (organisme de défense et de gestion de l’AOP) et à l’interprofession, réunis ou pas dans une même structure. Pour l’ODG, les cotisations abondant les budget fonctionnement et communication ne seront assises que sur les volumes de roquefort. Ce qui pourrait conduire à une baisse de 700 000 euros du budget communication contre deux millions d’euros actuellement. L’ODG gérerait les plans de surveillance des pathogènes et établirait une grille de qualité à minima. Chaque transformateur prendrait désormais en charge les analyses liées aux plans de contrôle et une caisse producteurs serait mise en place pour mutualiser les volumes de lait et de fromages détruits pour non-conformité sanitaire. Parmi les nouvelles missions prévues par le consensus : la définition par l’ODG de règles de régulation de l’offre de roquefort, comme le permet la réglementation européenne pour les AOP. L’interprofession se verrait enfin confier le suivi de la production et des marchés ainsi que des études pour améliorer la qualité. La Confédération de Roquefort devra revoir également ses statuts, afin d’intégrer tous les acteurs économiques de la filière, et faire reconnaître l’interprofession par l’État et l’Union européenne. La FRseb, qui représente actuellement l’ensemble des producteurs au sein de l’interprofession devra aussi se réformer. En attente des nouveaux statuts confédéraux, elle vient de modifier les siens pour l’année de transition afin d’intégrer un collège des associations de producteurs. Son rôle et ses statuts au-delà de 2016 restent entièrement à écrire.

Le « coup de gueule » de Robert Glandières

Il a sans doute forcé sa nature mais, sans se départir de son calme, le président de la Fédération régionale des syndicats des éleveurs de brebis, pour sa dernière assemblée générale, a dit son fait à l’ensemble de la filière : « En cette période de très grands bouleversements, l’esprit collectif qui a toujours primé depuis des décennies s’est parfois éloigné au profit de l’intérêt particulier ». « La FRseb serait la responsable de tous les maux des producteurs : pas assez de prix, pas assez de volumes, pas assez de diversifications, poursuit Robert Glandières. […] Mais, le premier problème, c’est d’abord le non investissement de nos fabricants dans de nouvelles diversifications, ce n’est pourtant pas faute d’avoir tiré le signal d’alarme. […] Ce n’est pas faute aussi d’avoir en son temps alerté sur le « risque d’un prix qui stagne et le désenchantement que cela pouvait créer chez les producteurs. […] Il est facile aujourd’hui de promettre des volumes après en avoir tant perdu. » Au-delà de ses responsabilités, qu’il assume avec dévouement, l’homme a été blessé par des « mots et des postures [qui] font souvent mal, alors même que l’interlocuteur en face de vous ne semble pas faire l’effort de comprendre la réalité des choses ! » Et d’avertir : « il est dangereux de vouloir réformer sans connaître ». Mais, il se sent « rassuré » de « voir beaucoup de jeunes prendre des responsabilités auprès de plus anciens et témoigner un grand intérêt pour notre filière ».

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