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« Je gagne 2,6 Smic avec le système ovin pâturant que j’ai développé »

Éleveur multiplicateur de brebis Romane dans le Morbihan, Vincent Bienfait a mis en place un système très pâturant, encore peu répandu en Bretagne avec cette race prolifique.

Vincent Bienfait
« Je veux être productif, mais aussi valoriser le pâturage au maximum », indique Vincent Bienfait, éleveur ovin dans le Morbihan.
© V. Bargain

« Mon objectif quand je me suis installé était d’être productif. C’est ce qui m’a amené à faire le choix de la race Romane, mais aussi d’être le plus autonome possible en privilégiant le pâturage d’herbe de qualité », explique Vincent Bienfait, éleveur multiplicateur en race Romane à Saint-Servant-sur-Oust, dans le Morbihan.

Dès son installation, en 2010, par reprise d’un site de 48 hectares avec trois poulaillers de dindes, l’éleveur breton commence donc à constituer son cheptel par l’achat de 270 agnelles Romane et fait des échanges parcellaires pour augmenter la surface accessible aux brebis.

Agrandissement successif du parcellaire

 

 
Brebis et agneaux pâturent.
Les brebis passent 9 mois sur 12 en extérieur. © V. Bargain

Dans un premier temps, il garde un poulailler, pour faciliter son installation, et convertit les deux autres en bergerie. Grâce aux échanges parcellaires, il dispose rapidement de 44 hectares accessibles au pâturage et met en place du pâturage cellulaire.

« La Romane est en général plutôt élevée en bergerie, mais je voulais valoriser au maximum le pâturage », insiste-t-il. En 2013, il atteint 500 brebis et arrête la production de dindes. Et en 2014, il passe en multiplication et devient producteur de femelles Romane avec commercialisation via l’organisme de sélection (OS) Romane.

Un système cohérent et économique

L’exploitation compte aujourd’hui 550 brebis Romane et 75 hectares de superficie agricole utilisée, dont 60 hectares de prairies temporaires et permanentes et 15 hectares de méteil et maïs grain autoconsommés. 90 % de la surface est accessible au pâturage.

Un objectif pour Vincent Bienfait depuis le début a été d’avoir un système de production cohérent, simple dans sa conduite, facilement reconductible d’une année à l’autre et qui limite le temps de travail et les achats extérieurs.

Deux lots d’agnelage

Pour simplifier la conduite et faciliter le pâturage, les agnelages sont répartis sur deux périodes, en août-septembre et en janvier-février. « Cela simplifie aussi le travail et me donne plus de souplesse pour les week-ends et les vacances au printemps et en été », apprécie Vincent Bienfait.

 

 
bergerie
Les bergeries ont été aménagées dans d’anciens poulaillers. © V. Bargain

Les brebis ne sont rentrées en bergerie que dix à quinze jours avant le début des agnelages et en ressortent deux mois après, avec ou sans les agneaux. Elles passent ainsi neuf mois sur douze à l’extérieur. Toute la reproduction se fait en lutte naturelle, du 1er avril au 15 mai et du 25 août au 15 octobre, avec utilisation de trois béliers vasectomisés pour grouper les agnelages.

« Les brebis n’ont pas de problèmes de fertilité, précise l’éleveur. Mais comme la reproduction se fait sur deux cycles, cela permet de mieux répartir les agnelages, notamment sur le premier cycle. » Quarante-cinq jours après le retrait des béliers, les brebis sont échographiées. Les vides sont éliminées. Cent à cent dix agnelles sont prélevées sur le lot de mise bas de septembre pour le renouvellement. Elles seront luttées à un an dans le lot de lutte de septembre. Pour rééquilibrer les lots, environ 100 brebis sont accélérées tous les ans.

Pâturage tournant dynamique

 

 
Prairie pour les ovins clôturée
Toutes les parcelles sont clôturées, avec 4 fils en extérieur et 3 fils pour les séparations intérieures. © V. Bargain

Un point important pour Vincent Bienfait est d’être le plus autonome possible au niveau de l’alimentation. Le pâturage est mené en pâturage tournant dynamique pour pouvoir toujours offrir aux brebis une herbe de qualité.

« J’ai créé des paddocks de deux hectares pour quatre jours, que je recloisonne ensuite en clôture mobile, explique-t-il. J’estime la pousse de l’herbe à l’œil. » L’avancée se fait au fil avant ou avec fil avant et fil arrière.

Une pousse de l’herbe régulière

L’hiver, le chargement instantané est de 400 brebis par hectare. Au printemps, il atteint 1 000-1 200 brebis par hectare. « Une pression élevée sur une petite surface fait que les brebis rasent bien la prairie et assurent la régularité de la pousse de l’herbe », analyse Patrice Pierre, de l’Idele.

L’éleveur produit aussi des méteils et du maïs grain, qui sont valorisés par les brebis. Les brebis en lactation reçoivent de l’enrubannage à volonté et 1 kilo par jour de méteil grain.

Engraissement à la luzerne déshydratée

Les agneaux sortent avec les brebis le jour. « Au départ, je voulais les engraisser totalement à l’herbe. Mais c’était compliqué. Ils avaient du mal à se finir. Aujourd’hui, je les engraisse avec un mélange de 50 % de céréales et 50 % de luzerne déshydratée que j’achète. La luzerne coûte moins cher que le tourteau de colza et fonctionne bien, même si elle est moins riche en énergie que le colza. »

En 2021, pour pouvoir fabriquer l’aliment des agneaux, Vincent Bienfait a investi dans une fabrique d’aliment à la ferme, des silos et des vis d’alimentation. « Je voulais être autonome en tout, souligne-t-il. Cela n’a pas été facile de refaire une ration. Les résultats n’étaient pas exceptionnels au début. Mais depuis deux ans, ils sont corrects. »

De bons résultats économiques

Au final, Vincent Bienfait obtient ainsi une productivité de 1,8-1,9 agneaux par brebis, avec un coût de production limité, d’environ 10 euros le kilo carcasse. Deux cents agnelles Romane sont vendues chaque année via l’OS Romane. Les mâles sont engraissés et vendus en circuit long et en circuit court dans trois magasins de producteurs.

Avec une valorisation plutôt bonne des animaux et des charges limitées, l’éleveur obtient une très bonne marge brute, de 195 euros par brebis en 2022, permettant un excédent brut d’exploitation (EBE) de 70 894 euros et une rémunération de 2,6 Smic [salaire minimum interprofessionnel de croissance] par unité de main-d’œuvre.

Avoir une vie à côté du travail

Un objectif aujourd’hui pour Vincent Bienfait est d’améliorer ses conditions de travail et de se dégager du temps libre. « Il est important d’avoir une vie à côté du travail », estime-t-il. En plus des vis d’alimentation, il s’est équipé d’une pailleuse, d’une dérouleuse et de distributeurs de concentrés. Il délègue à une entreprise les travaux culturaux.

Un autre objectif est de limiter ses impacts sur l’environnement. L’éleveur a ainsi mis en place une MAEC [mesures agroenvironnementale et climatique] systèmes polyculture élevage et il a planté des haies. Et, bien qu’il ne soit pas certifié bio, il n’utilise pas d’engrais chimiques, ni de produits phytosanitaires et a aussi arrêté les aliments OGM [organismes génétiquement modifiés] depuis quelques années.

Alain Gouedard, chambres d’agriculture de Bretagne

« Un système techniquement et économiquement performant »

 

 
Alain Gouedard, Chambres d’agriculture de Bretagne
Alain Gouedard, chambres d’agriculture de Bretagne © V. Bargain

« Vincent Bienfait a une bonne maîtrise de son système de reproduction notamment en contre-saison, ce qui permet d’obtenir des résultats réguliers d’une année à l’autre. Le système est bien calé. Les agnelles sont toujours prélevées sur le même lot.

La bonne productivité des brebis s’explique par la maîtrise du triptyque : fertilité, prolificité et mortalité des agneaux. La force du système réside également dans la maîtrise du pâturage tournant dynamique, gage de productivité des prairies, complété par des dérobées en intercultures, ce qui permet aussi d’économiser des stocks fourragers.

Une conduite au pâturage facilitée

Le fait de n’avoir que deux lots de reproduction simplifie la conduite limite le temps de travail et facilite la conduite du pâturage. Le coût de production limité, en lien avec une productivité de la main-d’œuvre élevée, assure une bonne performance économique.

L’exploitation est suivie dans le cadre du réseau de fermes de référence Centre-Ouest depuis 2014, ce qui permet de démontrer qu’un système pâturant avec une race prolifique est possible en Bretagne. »

Prairies multi-espèces, luzerne, dérobées…

Dans le Morbihan, Vincent Bienfait optimise ses surfaces de prairies temporaires afin d’être au maximum autonome en fourrage. Il combine plusieurs pratiques et les adapte d’une année sur l’autre selon les résultats et ses observations.

L’exploitation compte différents types de prairies temporaires et permanentes, situées pour partie sur des coteaux séchants mais précoces, intéressants au printemps, et pour partie dans des fonds de vallées humides, utiles en été, ce qui permet une bonne complémentarité sur l’année.

Depuis son installation, l’éleveur a investi 15 000 euros pour l’aménagement des parcelles, avec l’installation de clôtures fixes et des arrivées d’eau dans la plupart des parcelles. Les prairies sont constituées de fétuque, dactyle, ray-grass anglais, trèfles.

Une diversification végétale nécessaire

 

 
Prairie découpée en paddock
Vincent Bienfait a créé des paddocks de 2 à 3 hectares qu’il recloisonne ensuite selon la pousse de l’herbe avec un chargement instantané élevé. © V. Bargain

« Au début, je semais beaucoup de ray-grass anglais trèfle blanc, indique Vincent Bienfait. Mais le ray-grass anglais tient mal s’il fait sec et avec un chargement instantané élevé, ce qui m’a amené à diversifier les espèces. »

Un mélange de fumier composté et de maerl (algues) est épandu sur toutes les parcelles une année sur deux, au printemps ou en fin d’été. Toutes les prairies sont pâturées et fauchées.

Du trèfle blanc avec la luzerne

« Je fais du foin assez tôt pour que l’herbe ait le temps de repousser avant l’été et avoir ainsi un stock d’herbe sur pied », explique l’éleveur. Il cultive aussi en dérobée du colza fourrager, du ray-grass italien-trèfle d’Alexandrie, du sorgho multicoupe. Et depuis deux à trois ans, il a mis en place de la luzerne, qui donne de bons résultats. « J’y ajoute du trèfle violet pour la première année à un kilo par hectare ou deux à trois kilos par hectare de trèfle blanc, assez agressif, pour limiter le salissement », précise Vincent Bienfait.

Après en avoir cultivé pendant dix ans, il a en revanche arrêté la betterave fourragère. « La betterave est difficile à réussir sans produits phytosanitaires, explique-t-il. J’avais acheté une planteuse 4 rangs. Je semais les betteraves en pépinière, puis j’embauchais cinq à six saisonniers pour planter. Avec deux binages, cela fonctionnait assez bien. Mais cela représentait du travail, une organisation. Comme j’ai pu augmenter mes surfaces, j’ai choisi d’arrêter la betterave. »

Chiffres clés 2022

1 UTH

550 brebis Romane en race pure

75 ha (40 ha de prairies temporaires, dont 6 ha de luzerne/trèfle violet, 20 ha de prairies permanentes, 15 ha de méteil et maïs grain)

97 % de fertilité

Productivité : 1,8-1,9 agneaux/brebis/an

Mortalité des agneaux : 17-18 %

Marge brute avec aides ovines : 195 €/brebis

Annuités/EBE : 46 %

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