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"Face aux sécheresses, raisonner pour des prairies multi-espèces productives et résilientes"

Bien choisir et associer les espèces et les variétés d’une prairie multi-espèces est essentiel pour assurer sa productivité, sa qualité et sa pérennité. Plusieurs critères doivent être pris en compte.

Brebis et agneaux dans la prairie
Une prairie multi-espèces compte entre 5 et 7 espèces végétales, à assembler selon le type de sol, de climat, la conduite du pâturage et la période de besoin en fourrage.
© B. Morel

« Une prairie multi-espèces est davantage productive et résiliente face aux aléas climatiques qu’une prairie d’association de type ray-grass anglais trèfle blanc, rapporte Patrice Pierre, de l’Idele, lors de la journée régionale ovine de Bretagne. De plus en plus d’éleveurs en implantent. Et il est important de raisonner le choix des espèces et leurs assemblages. » Une prairie multi-espèces associe en général cinq à sept espèces complémentaires.

Un critère essentiel pour le choix d’une espèce est le type de sol : profond ou séchant, sain ou hydromorphe, plus ou moins acide… La période à laquelle on a besoin d’herbe est aussi importante à prendre en compte. Certaines espèces poussent plus tôt au printemps (fétuque élevée, ray-grass d’Italie, ray-grass hybride…), d’autres plus tardivement (ray-grass anglais tardif, fléole des prés). La luzerne, le dactyle, la fétuque élevée ont une bonne capacité de pousse dans la période estivale.

 

 
Patrice Pierre, Idele
Patrice Pierre, Idele : « En mélange, il faut cibler les espèces selon le sol, le climat et la complémentarité des espèces. » © B. Morel

« Avec le changement climatique, les sécheresses estivales vont devenir récurrentes, avec à la clé un creux de l’été qui va s’allonger, souligne Patrice Pierre. Il faut des espèces qui ne meurent pas l’été et éviter le surpâturage. Un essai à la ferme des Bouviers en 2022 a montré que les espèces qui résistent le mieux l’été sont le dactyle et le trèfle violet. » Des espèces qui repoussent en hiver sont aussi intéressantes, pour aller chercher l’herbe à cette période, dans la limite de la portance du sol et de l’absence de gel.

De nombreux critères d’implantation

Un autre paramètre important est le mode d’exploitation. Le pâturage demande des espèces qui gazonnent tout en étant résistantes au piétinement de l’animal. Le brome, par exemple, y résiste mal. Un faible niveau de remontaison combiné à un bon niveau d’appétence est également à rechercher. La fauche implique des espèces plus dressées, remontantes, avec une bonne aptitude au séchage et une teneur en matière sèche élevée.

La valeur alimentaire, qui varie selon l’espèce mais aussi selon le stade de la végétation, est également importante et doit être adaptée au niveau de besoin des animaux (forts besoins, besoins modérés, entretien). La durée de vie recherchée est essentielle, en tenant compte d’une potentielle grenaison (espèces qui se ressèment).

 

 
Prairie
De nombreux mélanges sont désormais proposés pour les prairies multi-espèces, mais il est aussi possible de préparer son propre mélange. © V. Bargain

Autres critères : l’agressivité des espèces et leur vitesse d’installation. « Une espèce agressive doit être apportée à dose réduite pour ne pas envahir la prairie, insiste Patrice Pierre. Une espèce qui s’installe vite peut être intéressante pour la première année, mais doit être apportée en petite quantité également, car elle risque de concurrencer les autres composantes du mélange. » Le climat doit aussi être pris en compte, notamment les fortes températures de l’été et le froid en phase d’installation.

À chaque espèce, ses aptitudes et ses limites

Parmi les graminées, le dactyle est très pérenne et pousse l’été, même par 25-27 °C. Il résiste en revanche mal à l’humidité et craint un peu le gel à l’installation. Il a une bonne aptitude à la fauche grâce à son port dressé, se sèche bien et se pâture également, avec la nécessité d’une rotation rapide (tous les douze ou quinze jours). Il est cependant peu « sociable » lorsqu’il est conduit en mélange. La fétuque élevée est pérenne, supporte l’humidité, la sécheresse, la chaleur. Elle a une bonne aptitude à la fauche et les variétés actuelles se pâturent bien. La fléole des prés, qui démarre tôt et épie tard, offre une très grande souplesse d’exploitation et s’adapte à l’humidité, mais pas à un sol séchant.

Parmi les légumineuses, mis à part le trèfle blanc, utilisé systématiquement, même s’il n’est pas très adapté à la fauche, il est intéressant de diversifier les espèces pour allonger la période de fourniture d’azote, avec du trèfle hybride, qui pousse plus vite, du lotier ou de la luzerne, qui poussent l’été… « En mélange, il faut cibler les espèces selon le sol, le climat et la complémentarité des espèces », résume Patrice Pierre.

Et au-delà des espèces, le choix des variétés est également important, avec plusieurs critères : la précocité (plus une espèce est précoce, plus elle épie ou fleurit tôt), l’alternativité (une variété alternative épie l’année du semis et a une durée de vie faible), la remontaison, la ploïdie (une variété tétraploïde, plus riche en eau, est plus adaptée au pâturage), la tolérance aux maladies, sur laquelle il y a eu beaucoup d’améliorations… Des essais sont actuellement menés sur des prairies multi-espèces multivariétés.

Choisir les bonnes associations d’espèces végétales

Une prairie multi-espèces semée à 27-30 kg/ha comprend en général cinq à sept espèces aux fonctions complémentaires, dont deux à trois légumineuses plus ou moins tardives. « Au-delà, le mélange est plus coûteux, mais pas davantage efficace, car des espèces auront les mêmes fonctions », estime Patrice Pierre. Le choix de l’association doit prendre en compte le mode d’utilisation dominant, les conditions de milieu, la durée de vie de la prairie, les performances recherchées (équilibre rusticité/valeur nutritive) et la sociabilité des espèces.

« Le dactyle, le ray-grass hybride, le trèfle violet… sont peu sociables et ne doivent pas être semés à plus d’un à deux kilos par hectare », indique Patrice Pierre. Les espèces à assembler doivent avoir des fonctions complémentaires de production (grandes graminées ou légumineuses comme le dactyle, la fétuque élevée, le trèfle violet…), de qualité (diversité de légumineuses) et d’engazonnement (aptitude au pâturage comme le ray-grass anglais, le trèfle blanc).

Les doses par espèce doivent aussi tenir compte de la taille des graines, car c’est le nombre de plantules qui importe (viser 700 plantules par hectare levées). Il est important aussi de grouper les périodes d’épiaison des graminées, notamment pour le pâturage. « Sur une exploitation, on peut faire deux ou trois compositions, dont une plus robuste et une plus qualitative », estime Patrice Pierre.

En savoir plus

La base de données herbe-book.org permet de trier par critère toutes les variétés d’espèces fourragères inscrites au catalogue français depuis moins de dix ans.

Rédaction Réussir

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