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« La révolution silencieuse des campagnes françaises »

Le modèle de l’exploitation familiale française est en train de s’étioler. Analyse de François Purseigle, sociologue à l’Ensat, sur la structure du travail agricole.

L’agriculture est à un moment charnière comme elle l’a été au cours des années cinquante et soixante », martèle François Purseigle, chercheur en sociologie et professeur à l’Ensat ; l’École d’agronomie de Toulouse. Depuis de nombreuses années, il observe « les changements à l’œuvre et les signaux faibles », qui montrent la « nécessité de repenser l’organisation du travail agricole ». Les exploitations sont à l’épreuve de trois chocs - démographique, structurel et patrimonial - qui menacent le modèle agricole familial. « L’agriculture familiale ne va plus de soi. Si on n’y prend pas garde, on peut se retrouver demain avec 150 000 agriculteurs en France. » Au niveau structurel, c’est le caractère familial des exploitations qui est de plus en plus remis en cause. Du moins dans le sens traditionnel qui faisait coïncider au sein de la même famille la possession du capital et l’exercice du métier. Entre 2010 et 2016, le nombre d’exploitations familiales a chuté de 37 % et ce modèle ne représente aujourd’hui plus que 20 % des exploitations françaises. Plus de 30 % sont gérées par une personne seule avec ou sans salarié. Et, on voit émerger des « consortiums d’actifs familiaux, qui mobilisent du capital familial mais qui ne sont plus issus des mêmes familles ». L’exploitation familiale est fragilisée aussi par sa valeur patrimoniale. « La famille a tué l’exploitation familiale française, assène François Purseigle. Aujourd’hui, les héritiers réclament leur dû. La dimension patrimoniale écrase de plus en plus le projet économique. »

Des exploitations « aux allures de firmes »

À côté de cette majorité de fermes plus ou moins proches du modèle traditionnel familial, apparaissent des exploitations agricoles « aux allures de firmes » au sein desquelles il y a une dissociation complète entre le travail, le capital foncier et le capital d’exploitation. Bien plus présentes dans des pays comme l’Espagne, elles représentent tout de même 10 % des exploitations françaises, 28 % de l’emploi agricole et 30 % du produit brut standard (chiffre d’affaires de la ferme France moins les subventions). Ces exploitations fonctionnent comme des entreprises industrielles : rationalisation de processus de production et de la gestion de la main-d’œuvre, complexification des structures organisationnelles qui peut aller jusqu’à l’intégration de l’aval (abattage, transformation, distribution…) Et de citer l’exemple d’entreprises italiennes qui gèrent de grandes unités d’engraissement de bovins en France. « En termes de captation de la valeur, d’autres acteurs, minoritaires aujourd’hui, peuvent demain rafler la mise », dit-il. Cette arrivée de capitaux extérieurs touche pour l’instant surtout l’élevage hors sol. « On assiste à une rupture fondamentale, même dans le positionnement de certaines organisations agricoles, comme des coopératives, qui, face à l’effacement des actifs, n’hésitent pas à investir dans l’outil de production alors que jusqu’alors elles se l’étaient interdit. »

Du « faire ensemble » au « faire faire »

Pour le sociologue, ces évolutions bousculent la logique du « faire ensemble », qui prévalait dans le monde agricole au profit du « faire faire ». Depuis longtemps, l’agriculture française s’est organisée en créant des organisations professionnelles pour satisfaire tous les besoins (achat de matériel en commun, développement, commercialisation…) et fonctionnant sur l’engagement des adhérents. Un engagement de plus en plus difficile vu la rareté de la main-d‘œuvre dans les exploitations. « L’action en commun ne va plus forcément de soi, notamment dans les jeunes générations », affirme François Purseigle. De nouveaux dispositifs, favorisés par le numérique, émergent pour répondre au besoin des agriculteurs : plateforme d’échange de matériel, financement participatif, Ceta numérique… Ils bousculent les OPA traditionnelles. « Nous voyons apparaître en zone céréalière et de plus en plus en zone d’élevage des processus de tertialisation de l’activité agricole. Des agriculteurs préfèrent déléguer tout ou partie du travail à des tiers plutôt que de s’investir dans du collectif pour prendre en charge les tâches qu’ils ne peuvent plus assurer. C’est la nouvelle révolution silencieuse des campagnes françaises. » On peut citer l’exemple de la Sagpa, dans le Nord et l’Est, une société qui réalise des prestations d’échographie et insémination, de tonte et parage d’onglons, d’aide à la manipulation et à l’agnelage, dans un secteur où la densité des élevages ovins est très faible.

« Il va falloir repenser le collectif »

De nouveaux outils de copilotage des exploitations apparaissent. Ils peuvent aller jusqu’à la délégation complète de la gestion de l’exploitation. Le développement des entreprises de travaux agricoles est révélateur de ces évolutions. « On voit apparaître une nouvelle figure, comme dans le secteur industriel, le land manager (assistant à maîtrise d’ouvrage), qui organise le travail des exploitations agricoles pour le compte d’une société de gestion (entreprise privée, coopérative, Ceta…). » Et de citer l’exemple d’un Ceta, en Ile-de-France, qui prend en main le fonctionnement d’exploitations sans succession. Plus de 12 % des exploitations céréalières délèguent l’intégralité de l’activité de production. En Bretagne, 18 % des exploitations d’élevage délèguent la totalité des travaux culturaux à des tiers. « L’organisation du travail constitue un élément central dans la construction de la valeur de l’exploitation et peut être accaparée par des entreprises, qui jusque-là ne s’étaient pas positionnées sur ce sujet, prévient le sociologue. Ne pas admettre ce qui était impensable hier, c’est aller droit dans le mur. Pourquoi l’élevage ovin échapperait-il à ce mouvement ? Il va falloir repenser le collectif. »

AmTrav’Ovin : l’innovation au travail

François Purseigle est intervenu au cours du séminaire de restitution à mi-parcours des résultats du projet de recherche AmTrav’Ovin, qui s’est tenu à Toulouse en janvier dernier. L’objet de ce projet est d’améliorer les conditions de travail en élevage ovin (lait et viande) et de redonner ainsi de l’attractivité au métier d’éleveur. Il repose sur la recherche d’innovations concernant le travail des éleveurs, que ce soit de nouvelles formes d’organisation, individuelles ou collectives, ou la production de repères ergonomiques pour faciliter certaines tâches ou chantiers (parage, alimentation…). Des enquêtes ont été réalisées en France, en Écosse et en Espagne pour repérer ce qui se faisait de mieux en termes d’organisation du travail. D’ores et déjà, 28 fiches d’équipements, matériels et bâtiments qui améliorent le travail des éleveurs sont disponibles sur le site de l’Idele (idele.fr ou bit.ly/3btCbJY). Nous y reviendrons dans nos prochains numéros.

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