À la recherche du juste prix de la laine
Les premières rencontres nationales autour de la laine ont permis de lancer un travail entre éleveurs, artisans, négociants et transformateurs.
C’est un sujet de plus en plus préoccupant parmi les éleveurs de brebis : la laine ne paye même plus le tondeur. « Au tout début des années quatre-vingt, quand je me suis installé, le marché de la laine était encore dynamique, se remémore Pierre Reveillac, éleveur de brebis Causses du Lot et président de l’association La Caussenarde, lors des premières rencontres nationales autour de la laine qui se sont tenues à Saugues, en Haute-Loire, les 18 et 19 septembre. Le cours de la laine s’est ensuite rapidement effondré. On est passé de 12 francs du kilo de laine à un franc en moins d’un an. » La laine n’étant plus rémunératrice, les éleveurs s’en sont désintéressés, les chantiers de tonte sont devenus l’apanage des tondeurs et une réelle distance s’est instaurée entre les éleveurs et ce qui était jusqu’alors une production à part entière de l’élevage ovin. « Nous sommes entrés dans un cercle vicieux : la laine ne paye plus, donc l’éleveur ne fait plus d’effort pour la nettoyer et faire une production de qualité, donc le prix baisse encore et ainsi de suite… »
Une fenêtre de tir pour parler aux consommateurs
Devant ce constat partagé sur l’ensemble du territoire français, la Fédération nationale ovine, en partenariat avec Atelier – Laines d’Europe, le Pôle laine du Pays de Saugues, la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques et le Parc Naturel Régional de Lorraine, a décidé de faire un premier recensement non exhaustif des initiatives locales pour valoriser la laine. « C’est une première étape importante pour nous, explique Jean-Roch Lemoine, éleveur dans l’Aube et responsable du dossier laine à la FNO. Ces journées nous permettent de faire connaissance avec les acteurs de la laine française et voir ce qui pourrait être mis en place pour garantir un débouché rémunérateur à tous les éleveurs au niveau national ». Michèle Boudoin rappelle que le syndicat ovin défend tous les produits issus de l’élevage des brebis que ce soit la viande, le lait ou la laine. D’après la présidente de la FNO, c’est cette dernière qui a sans doute le plus subi la mondialisation. « Nous avons une fenêtre de tir intéressante aujourd’hui, avec le « consommer français » qui prend de l’ampleur, la dynamique de relocalisation et l’envie de nos concitoyens d’acheter mieux. La laine française a toute sa place dans ce contexte et les débouchés sont multiples mais pas forcément connus par tout le monde. » Les 87 participants ont échangé pendant deux jours au cours de mini-conférences, de stands d’initiatives locales (plus d’une vingtaine) et de visites thématiques : l’atelier de feutrage de la Bruyère et l’unité de lavage.
Un collectif pour valoriser un maximum de laine française
Et la FNO n’est pas venue les mains dans les poches. Elle s’est associée au collectif Tricolor qui œuvre « pour la renaissance des filières de laines françaises », comme le clame son slogan. Ce collectif regroupe éleveurs ovins, transformateurs industriels, créateurs de mode et de décoration et acteurs de la distribution. 68 marques et créateurs se sont d’ores et déjà investis dans le programme pour « redonner de la valeur ajoutée et défendre le dernier bastion du circuit court textile français », indique Pascal Gautrand, responsable du projet. Lancé cette année, le collectif est en phase de test de débouché pour la laine. En effet, il a été retenu 12 races différentes de brebis potentiellement intéressantes pour leurs caractéristiques lainières. Pour l’instant, les tests portent sur une tonne de laine par race et au moins sept races ont été collectées. « Cette initiative se placerait en complément des initiatives locales, précise Audrey Desormeaux, chargée de mission à la FNO et organisatrice des rencontres. En aucun cas elle ne fera d’ombre aux petits artisans qui ont déjà leurs circuits d’approvisionnement bien établis et souvent très rémunérateurs pour les éleveurs. Nous nous concentrons simplement sur un plus grand nombre d’éleveurs, à plus grande échelle. » Une initiative qui pourrait s’avérer porteuse, d’autant que parmi les acteurs engagés on retrouve des grands groupes tels que LVMH ou des marques bien connues telles que le Slip Français.
Saugues, un pôle laine incontournable
L’activité lainière est historique dans ce petit bourg de Haute-Loire, étape agréable pour les pèlerins de Compostelle. Saugues accueillait jusqu’au milieu du siècle dernier deux filatures et une bonneterie qui, en plus de participer au dynamisme économique de la région, valorisait la laine des quelque 25 000 ovins qui se trouvent dans les 10 kilomètres à la ronde. Après avoir pratiquement disparu, la filière laine renaît de ses cendres dans les années 2000 avec la création des Ateliers de la Bruyère, en partenariat avec Laurent Laine, matelassier et spécialiste du lavage de laine à façon. Ainsi se crée le pôle laine du pays de Saugues, regroupant éleveurs, transformateurs, promoteurs et pouvoirs publics. En 2018, l’unité de lavage emménage dans une des anciennes filatures et est remise aux normes pour améliorer la qualité du travail. Elle parvient désormais à laver près de deux tonnes de laine en suint par jour et fonctionne deux à trois jours par semaine selon la demande. « Notre force, c’est que contrairement aux autres unités de lavage industrielles, nous acceptons toute taille de lot, avec un minimum de 50 kilos, explique Patrick Laurent, directeur de Laurent Laine. Cependant, il faut avoir à l’esprit que plus la laine est particulière (couleur, finesse particulière…), plus le délai peut être long car nous groupons les lots identiques. »
Une quinzaine de minutes pour laver la laine
L’unité de lavage se compose en cinq bassins, trois sont dédiés au lavage de la laine à proprement parler, après que celle-ci soit « ouverte » par une machine et que le plus gros de la paille soit retirée. « Nous nous positionnons au plus près des valeurs de la bio, rappelle Pascal Lafont, directeur des Ateliers de la Bruyère. Pour le lavage, nous utilisons seulement du bicarbonate de soude et du savon biodégradable. » L’eau de lavage est ensuite épandue sur les terres agricoles avoisinantes. Un projet de méthanisation est aussi en cours de réflexion. Les deux autres bassins sont utilisés pour le rinçage de la laine à froid puis à chaud. La laine est ensuite séchée pour être expédiée chez les clients. « En tout, l’ensemble du processus de lavage d’un lot de laine ne dure qu’une quinzaine de minutes », détaille Patrick Laurent.