La brebis lacaune, apte pour la monotraite
Après quatre ans d’études, le verdict est tombé : la brebis lacaune s’adapte très bien à la monotraite. Un vrai dilemme
pour la filière roquefort.
Il s’agit vraisemblablement d’une révolution technique en puissance, mais qui va soulever des débats cornéliens. De nombreux producteurs appellent la monotraite de leurs voeux, au moins sur la deuxième moitié de la campagne. Ils y voient une solution aux problèmes de main-d’oeuvre et une évolution de nature à redonner de l’attractivité au métier. Mais le cahier des charges de l’AOP roquefort l’interdit formellement et on ne change pas des conditions de production d’un claquement de doigts.
Les essais de monotraite ont été conduits pendant quatre ans dans le cadre du projet Roquefort’in. Deux fermes expérimentales ont été mises à contribution: l’Inra de la Fage et le lycée agricole de la Cazotte, à Saint-Affrique (Aveyron). Les résultats montrent sans ambigüité qu’il n’y a pas d’obstacle zootechnique à développer cette pratique. À La Fage, il s’agissait de mesurer l’impact de la monotraite sur la lactation des brebis et sur leur carrière. Tandis qu’à Saint-Affrique, les chercheurs ont plutôt étudié comment adapter l’alimentation pendant la période de monotraite.
Une baisse de production d’environ 15 %
« La brebis lacaune contemporaine présente une bonne aptitude à la monotraite avec des niveaux de pertes laitières comparables entre La Fage et la Cazotte, de l’ordre de 15% aussi bien pour les primipares que pour les multipares, après un passage en monotraite à 40-50 jours de lactation pendant quatre ou cinq mois jusqu’au tarissement », résume Francis Barillet, de l’Inra de Toulouse, à l’origine de cette étude. Lors du passage à la monotraite, la production décroche fortement pendant les deux premières semaines et de manière plus importante chez les primipares. Mais, les courbes de lactation se rapprochent lorsque les brebis sont au pâturage.
La baisse des quantités totales de matière grasse et de matière protéique sont du même ordre de grandeur. Le taux butyreux n’est pas impacté chez les multipares mais baisse chez les primipares, tandis que le taux protéique augmente de façon assez significative (2,5 à 4,5 %) dans les deux populations. Ce qui dégrade le rapport TB/TP, indicateur de la fromageabilité des laits. Les comptages des cellules somatiques dans le lait ne sont en rien affectés par le passage à la monotraite et les brebis se traient plus vite, même si elles passent plus de temps à la traite car elles ont plus de lait à donner en une seule fois. La monotraite n’a donc pas de conséquence sur la santé de la mamelle. De plus, la répétition de la monotraite sur plusieurs lactations successives n’a montré aucun effet négatif sur les résultats zootechniques.
« Une stratégie alimentaire de restriction »
À La Fage, quel que soit le rythme de traite, les brebis ont été alimentées à volonté. En l’absence de restriction alimentaire, celles en monotraite consomment autant de matière sèche que celles qui passent deux fois en salle de traite, la quantité ingérée étant seulement influencée par le nombre d’agneaux allaités. Etant donné qu’elles produisent moins de lait, les brebis en monotraite sont suralimentées, ce qui explique l’effet défavorable sur le TB. Mais, en toute logique, la reprise de poids est plus rapide que chez leurs congénères à deux traites. La monotraite a peu d’impact sur la note d’état corporel.
La conclusion est donc limpide : « Si on veut faire de la monotraite, il faut avoir une stratégie alimentaire de restriction », explique Francis Barillet. Aussi bien pour des raisons économiques que zootechniques. C’est ce qui a été fait à la Cazotte. Les quantités de concentrés ont été ajustées aux niveaux laitiers des lots de brebis. La réduction des apports de concentrés influence pas ou peu l’ingestion des fourrages distribués à volonté. Ce qui a étonné les chercheurs, puisque le phénomène bien connu de substitution fourragesconcentrés n’a pas été observé. La production a baissé du même ordre de grandeur qu’à La Fage, ce qui montre qu’avec de très bons fourrages, il est possible de réduire le concentré (de l’ordre de 40 à 50 kg par brebis sur 110 jours) sans pénaliser la production en monotraite. En outre, on ne retrouve plus les conséquences négatives de la monotraite sur Un impact sur le lait à préciser Le projet de recherche s’est attaché également à étudier l’impact de la monotraite sur les qualités technologiques et nutritionnelles des laits destinés à la fabrication du roquefort. Un volet conduit par Hélène Larroque, de l’Inra de Toulouse. Le lait est un peu plus riche en matière azotée totale, plus particulièrement en protéines solubles. Le rendement fromager est un peu moins bon avec le lait des primipares. L’impact sur la matière grasse est peu sensible. En revanche, la composition fine de la matière protéique est modifiée, notamment les caséines. Cependant, ces résultats posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses et restent à approfondir. les taux et leur rapport. Ce qui « ouvre des perspectives de recherche importantes sur le lien entre l’alimentation et la composition chimique du lait », estime Francis Barillet.
Résultats de quarante ans de sélection
Cette aptitude de la brebis lacaune à la monotraite est sans doute la conséquence non recherchée de quarante ans de sélection laitière. Si la brebis perd peu de lait quand elle n’est traite qu’une fois par jour, c’est parce qu’elle en stocke de 75 à 80 % dans la citerne de la mamelle. La sélection laitière, qui s’est faite sans contrainte sur la morphologie externe de la mamelle, a eu pour effet collatéral un développement important de la taille de la citerne. Les primipares, qui ont une capacité mammaire plus petite, font même preuve d’une grande plasticité: la citerne se dilate afin de stocker davantage de lait, sans déformation ni conséquence sur les lactations ultérieures. « Quelles évolutions génétiques à venir pour la morphologie interne sous l’effet de la sélection actuelle depuis 2007 de la morphologie externe de la mamelle ? », interroge néanmoins Francis Barillet.
L’analyse de la variabilité individuelle de l’aptitude à la monotraite est en cours: il est d’ores et déjà avéré que les animaux les plus laitiers s’adaptent le mieux. Réduire à zéro l’écart de production entre monotraite et bitraite n’est sans doute pas utopique. On voit mal comment cette pratique, facteur de progrès technique et social, pourrait ne pas être tôt ou tard adoptée par les éleveurs.