Face au Brexit, la filière ovine irlandaise se tourne vers d’autres horizons
La filière ovine irlandaise a su tirer son épingle du jeu face au Brexit et aux bouleversements commerciaux qu’il a engendré. Néanmoins la situation reste incertaine face aux mouvements du marché mondial de la viande.
La filière ovine irlandaise a su tirer son épingle du jeu face au Brexit et aux bouleversements commerciaux qu’il a engendré. Néanmoins la situation reste incertaine face aux mouvements du marché mondial de la viande.
À l’image de l’histoire de son pays, la filière ovine irlandaise a toujours su s’adapter aux situations nouvelles, imprévues et pouvant avoir des lourdes conséquences. Le Brexit a demandé aux acteurs de la filière ovine une forte réactivité et beaucoup de sang-froid pour remédier à la perte partielle d’un de leur principal débouché, le Royaume-Uni.
L’élevage ovin irlandais est aujourd’hui marqué par une phase de croissance importante. Entre 2009 et 2019, le nombre d’élevages ovins a gagné 9 %, pour s’établir à plus de 34 000 ces dernières années. Le choix de l’ovin s’est bien souvent fait au détriment du bovin allaitant, première production animale d’Irlande, ce dernier étant moins rémunérateur que le premier. Néanmoins, il est à noter que seul un élevage sur cinq est jugé économiquement viable en Irlande, la viande d’agneau étant peu rémunératrice.
Lire aussi : L’Irlande toujours plus verte
La saison des agnelages irlandais a été progressivement décalée du printemps au second semestre. Si l’agnelage de printemps présentait un risque avec des revenus imprévisibles plombés par la flambée des coûts de production et des aléas météorologiques, les agnelages tardifs coïncident désormais avec ceux du Royaume-Uni, entraînant un surplus d’offres et donc une baisse du prix de l’agneau.
Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’Irlande prend sa place de premier exportateur de viande ovine dans l’UE à 27. Les Irlandais exportaient en 2020 jusqu’à 94 % de leurs agneaux, soit 62 140 téc. Plus de 21 % étaient envoyés au Royaume-Uni, deuxième débouché après la France qui représente 32 % des exports de viande ovine irlandaise. C’est donc la quasi-totalité de la production ovine irlandaise qui est destinée à l’export, tendance qui s’est fortement accrue depuis 2010, avec une augmentation de 65 % de produits ovins exportés.
Lire aussi : L’Irlande vise de nouveaux marchés
On comprend alors aisément le séisme que causa l’annonce du Brexit sur le marché ovin irlandais. Les premières réactions des acteurs de la filière ont été promptes : envois massifs d’agneaux en provenance du Royaume-Uni pour anticiper une potentielle augmentation des taxes et droits de douane. Les clients du Royaume-Uni ont suivi la même stratégie de sécurisation, commandant de gros volumes de viande ovine par à-coups. Le spectre d’un No Deal planant à chaque nouveau cycle de négociations, ces envois se sont répétés depuis l’annonce en 2016 de la volonté du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne. Cette crainte d’un No Deal s’est également traduite, début 2021, par une pénurie d’agneaux, suite d’une prudence lors de la mise à l’engraissement fin 2020.
Lire aussi : L’Irlande pourrait se recentrer sur la France
Le Royaume-Uni semble tendre vers une renationalisation de sa production ovine. En anticipation de ce scénario potentiel, les opérateurs irlandais détournent petit à petit les flux d’agneaux à destination du Royaume-Uni vers d’autres marchés, qu’il s’agisse de l’Union Européenne ou de pays tiers.
Avec cette possible renationalisation, les exports britanniques devraient chuter, laissant ainsi plus de place pour les Irlandais sur le marché européen. Les exports vers les pays tiers de viande ovine irlandaise ont bondi de 52 % entre 2019 et 2020, principalement à destination de la Chine, très demandeuse en produits carnés, depuis la crise de la fièvre porcine africaine. Les États-Unis présentent aussi un fort potentiel commercial, avec une importante communauté irlandaise établie en Amérique du Nord. Sean Dennehy, éleveur et président du syndicat national ovin irlandais, souligne : « malgré le Brexit, le marché continue. La situation est dure, mais nous tenons bon et nous diversifions nos débouchés. Ce qui m’interpelle davantage aujourd’hui, ce sont les relations commerciales internationales très changeantes et les mouvements forts qui agitent le marché mondial de la viande. »
Un marché ovin européen très influencé par la Chine
L’impact de tels accords, s’ils étaient adoptés, dépendra du devenir de la demande chinoise en viande ovine. Si la Chine continue à être demandeuse de viande, La Nouvelle-Zélande ne produira pas assez pour à la fois répondre à la forte demande chinoise et abonder le marché européen : son cheptel ovin ne cesse de s’éroder depuis les années 80, et ce phénomène pourrait perdurer voire s’accentuer. De plus, la Nouvelle-Zélande dispose déjà d’un important contingent à droit nul qui lui est accordé sur le marché communautaire (≈228 000 t/an pour l’ex-UE à 28), mais depuis la fièvre porcine africaine, son utilisation a diminué au profit du marché chinois.
En Australie, une énième recapitalisation est en cours, et devrait permettre au premier exportateur mondial de retrouver ses bons niveaux d’approvisionnement. Si la demande chinoise continue de croître, l’Australie choisira aussi d’abreuver préférentiellement ce marché.
Si la Chine recule, l’agneau océanien reviendra en Europe
En revanche, si la demande chinoise se stabilise ou recule (forte reprise de la production porcine), on pourrait craindre une réorientation des flux en direction de l’Europe. Les parts de marché laissées aux autres grands exportateurs, dont l’Irlande, seraient nettement diminuées, les viandes océaniennes étant bien plus concurrentielles. En France, cela se traduirait par une reprise des importations d’origine néo-zélandaise, ainsi que par une pression accrue sur la cotation.
D’éventuelles tensions avec la Chine, déjà existantes en Australie, pourraient aussi libérer d’importants volumes de viande ovine sur le marché mondial. Tout dépendra finalement de l’utilisation de ces contingents par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui elle-même sera fonction de la demande chinoise dans les prochaines années. »
La filière ovine irlandaise en quelques chiffres
34 900 éleveurs ovins en 2019, soit 11 % des exploitations irlandaises
74 brebis en moyenne par exploitation
3,9 millions de têtes dont 2,6 millions de brebis et agnelles saillies
36 % des éleveurs ovins sont pluriactifs