Éleveuses et fières de l’être
Contact avec les animaux et la nature, facilité de manipulation, promotion de l’élevage auprès du grand public, indépendance… tels sont les attraits de l’élevage ovin pour les femmes qui sont entrées dans ses rangs.
n quart des exploitants agricoles en France sont des femmes. C’est même 30 % dans les élevages ovins et caprins. Une part en progression ces dernières années qui montre une évolution dans le monde agricole. Elles n’étaient que 8 % en 1970. La marge de progrès sur la parité homme-femme en agriculture reste importante et le secteur a tout à y gagner. « L’évolution des statuts offerts aux agricultrices a été le moteur, non de la croissance de l’emploi féminin en agriculture, mais de la visibilité de celui-ci », notait le centre d’étude et de prospective du ministère de l’Agriculture dans une étude de 2012.
Des éleveurs comme les autres, la douceur en plus
« L’agriculture est un secteur exemplaire en termes de féminisme », déclare Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale ovine (FNO). De nombreuses agricultrices se sont souvent créé une activité indépendante, en réponse au besoin d’avoir quelque chose en propre sur l’exploitation. Elles assurent ainsi plus souvent l’accueil à la ferme, la transformation ou la vente directe des produits fermiers. On observe aussi que les exploitations exclusivement féminines ont plus souvent recours à la vente en circuits courts que les exploitations exclusivement masculines. Les femmes sont souvent à l’initiative de marchés de proximité qui les placent directement au contact des consommateurs. Elles proposent ainsi deux fois plus souvent un hébergement touristique que les exploitations masculines. 4,8 % proposent des activités de loisir contre seulement 0,8 % des chefs d’exploitation masculins.
Le modernisme a replacé la femme sur l’exploitation
« En vente directe, il y a beaucoup de femmes qui s’investissent. Peut-être parce qu’on aime bien discuter avec les clients », témoigne Odile Canon, éleveuse en Indre-et-Loire. La production ovine attire la gent féminine par la « facilité » de conduite des animaux. En effet, Odile Canon témoigne : « pendant un moment, en plus de la troupe ovine, nous avions une dizaine de vaches charolaises sur l’exploitation. Je n’étais pas toujours à l’aise avec elles, avec la peur me prendre un coup de patte ou de tête. » Les brebis, plus légères, plus dociles souvent et plus facilement manipulables par une femme seule les attirent de plus en plus. Historiquement les petits ruminants étaient à la charge des femmes sur les exploitations ce qui explique qu’une bonne partie des aménagements de bergerie et de la contention soit pensée pour une meilleure ergonomie et moins utiliser la force. « Le modernisme a permis aux femmes de prendre place sur tous les postes de l’exploitation », reprend la présidente de la FNO. Beaucoup d’éleveuses ont eu un autre métier avant de se consacrer aux ovins et elles apprécient l’indépendance qu’elles acquièrent avec la libéralisation de leur emploi.
Homme ou femme, le revenu est le même en élevage
« S’installer c’est gagner en autonomie, s’enthousiasme Odile Canon. La disparité de salaire de 20 % entre les hommes et les femmes est gommée lorsqu’on travaille en libéral. Qu’ils aient été élevés par un homme ou par une femme, les agneaux seront payés le même prix. » Des revenus basés sur la production et sur la capacité de la personne à bien vendre constituent en effet un attrait important pour les productions agricoles. La possibilité de s’organiser plus librement que dans un emploi salarié permet aux éleveuses d’être paradoxalement plus disponibles pour leur famille, malgré la charge de travail souvent plus importante. « Quand on voit des femmes qui se lancent en élevage, cela facilite l’installation d’autres femmes en élevage qui s’identifient », tente d’expliquer Odile Canon. La conduite d’un troupeau ovin est, selon Isabelle Guillaumont, éleveuse en Meurthe-et-Moselle, un des élevages qui convient le mieux aux femmes. « Nous avons sans doute plus de sensibilité vis-à-vis de nos brebis-mères et notamment en période d’agnelage, puisque en quelque sorte nous sommes déjà passées par là aussi. ».
Représentantes de la famille dans le monde agricole
« Et, continue l’éleveuse, les femmes s’énervant globalement moins vite et ayant moins tendance à crier envers un animal rebelle, les ovins connus pour être peureux seront plus calmes avec une présence féminine. » Selon Anne Jais-Nielsen, ex-chargée de mission à Gaec & société : « les femmes investissent aussi l’agriculture avec une sensibilité qui leur est propre : des nuances esthétiques et colorées dans les jardins, une relation affective avec les animaux… Le lieu de travail est un lieu de vie qui se doit d’être agréable à vivre. Elles sont aussi plus attentives aux questions de santé et de prévention par l’ergonomie des postes de travail. » La femme fait le lien entre exploitation et famille, elle replace la sphère privée plus proche de la sphère professionnelle. « Les femmes sont d’ailleurs mieux entendues lorsqu’elles prennent la parole sur des sujets graves tels que la prédation, souligne Michèle Boudoin (FNO). Une mère avec son enfant dans les bras qui explique qu’elle ne veut pas léguer une situation pareille à ces enfants est forcément plus convaincante qu’un homme qui laissera moins transparaître ses émotions. »
Avis d’expert : Guillaume LEBAUDY, ethnologue et chercheur sur les cultures pastorales
« Une plus grande attention au troupeau »
« En alpage, les bergères sont réputées plus fidèles au troupeau que les bergers. C’est ce que disent les éleveurs qui les trouvent aussi plus maternelles. C’est sans doute un cliché, mais il est certain qu’elles abandonneront moins facilement un agneau. Elles iront si besoin chercher du lait de remplacement à la pharmacie plutôt que de le laisser mourir. Elles sont, de fait, hélas, aussi plus enclines à faire des heures supplémentaires. Les bergères ont davantage domestiqué les cabanes que les bergers qui restent davantage dans l’esprit camping. La présence féminine a fait évoluer le confort des cabanes qui disposent par exemple maintenant de douches ou qui peuvent accueillir des familles. Comme elles ont moins la possibilité de passer par la force, les bergères utilisent davantage la contention douce, une série de techniques qui leur permet de retourner des brebis plus lourdes qu’elles, sans risquer de se blesser… En moyenne, les femmes ne font ce métier que deux ans et demi, contre huit ans, pour les bergers. Mais, quel que soit leur milieu d’origine, elles ont ensuite souvent à cœur de rester dans le monde rural et s’investissent alors dans d’autres activités telles que la transformation fromagère, la vente directe ou l’accueil à la ferme. »