Repères
Des sols toujours couverts en agriculture de conservation des sols
Fervent défenseur de l’agriculture de conservation des sols, Fabrice Trottier essaie de garder un couvert pérenne vivant. Ses moutons l’aident à entretenir la fertilité des sols.
Fervent défenseur de l’agriculture de conservation des sols, Fabrice Trottier essaie de garder un couvert pérenne vivant. Ses moutons l’aident à entretenir la fertilité des sols.
La terre n’est jamais nue dans l’exploitation de Fabrice Trottier. Céréalier et éleveur ovin dans l’Yonne, il enchaîne les rotations complexes avec l’idée de toujours garder des couverts végétaux. « Le couvert végétal structure les sols et entretient la biodiversité », apprécie l’agriculteur qui est membre du bureau de l’Apad Centre-Est, l’Association pour la promotion d’une agriculture durable. Sous ces cultures, il y a toujours une luzerne ou un trèfle prêt à occuper le terrain. Exemple avec l’orge d’hiver : « Dès la récolte des escourgeons qui a lieu autour du 25 juin, la luzerne ressort. Trois semaines après, elle a bien repoussé et j’y mets les brebis pour pâturer ». Avec ce couvre-sol permanent, le rendement céréalier voisine quand même les 70 quintaux par hectare sur un potentiel estimé à 75 quintaux. « J’apporte moins d’azote, pas d’engrais de fonds ni d’insecticide », explique l’agriculteur qui n’apprécie pas plus que ça la chimie. Luzernes et céréales poussant de concert, il est cependant bien obligé réduire la vigueur de la luzerne avec du Starane autour du 15 mai. « Je ne veux pas tuer la luzerne, juste la maintenir en faisant régresser la végétation. »
Des moutons en tête de rotation
Fabrice Trottier est aussi un adepte des couverts relais. Semés tôt à la fin de l’été, ils se composent de plantes qui résistent aux insectes et de plantes qui résistent au gel. On y trouve du seigle fourrager, de la vesce commune et velue, du tournesol, du radis fourrager, du radis structurator et de la moutarde d’Abyssinie, toujours avec une base de luzerne ou de trèfle violet. « Semé une fois, ce mélange peut être récolté deux à trois fois, en fauche ou en pâture, explique Fabrice. Après un pâturage à l’automne, ce méteil fourrager est ensilé, enrubanné ou pâturé au printemps. » Il peut être suivi d’un maïs, d’un sarrasin ou d’une espèce qui se sème après le 15 mai. Ici, les sangliers empêchent de cultiver du maïs et l’éleveur repart sur un deuxième méteil avec de la vesce et de l’avoine.
Pas de charrue ni de travail du sol ici. Avec ces pratiques, le matériel de cultures est limité à un semoir et une herse rotative. « La herse rotative me sert surtout pour tenter d’atténuer les dégâts de sangliers, rage l’agriculteur. Sur 140 hectares, j’ai dix hectares assez éloignés où je ne peux rien faire à cause des sangliers engraissés par les chasseurs ! J’y mets de l’herbe mais c’est plutôt pour cultiver les dégâts de sangliers ! »
Pâturage des couverts contre agneau sous-vide
Les 450 brebis Ile-de-France s’y retrouvent bien avec ce système. « Au lieu de faire de la culture céréalière, on met de la diversité qui est valorisée par les moutons. Et on n’a rien trouvé de mieux que l’élevage et sa matière organique pour faire de la fertilité des sols ». Fabrice aimerait motiver un groupe d’une vingtaine d’agriculteurs du secteur pour inviter un berger itinérant qui pourrait pâturer les couverts. « En échange d’un agneau sous-vide et de quelques saucisses », lui-même place 180 brebis en pension sur 30 hectares d’un voisin de début novembre au 15 janvier environ. « Je passe avec un broyeur sur deux mètres de large et je déroule les clôtures électriques spider. Ça serait plus logique de le faire avec un quad mais pour le moment, je n’ai pas les moyens de m’en acheter un… » Il a fallu s’habituer à voir des animaux pâturer au milieu de la plaine, sans abri naturel et avec la crainte des vols. Mais les résultats ont été vite encourageants et l’électrificateur est solidement fixé à un pieu profondément enfoncé dans le sol.
Un couvert pérenne vivant qui maintient la vie dans les sols
Les périodes d’agnelages qui étaient optimisées pour occuper la bergerie et répondre à la demande de la filière sont en train d’être recalées. En plus des trois périodes de mises bas initiales (en septembre pour avoir des agneaux à Noël, en novembre-décembre pour avoir des agneaux à Pâques et en mars pour les repasses), Fabrice Trottier rajoute des agnelages en mai-juin en accélérant le lot de septembre. Une façon d’éviter de surcharger la bergerie pour limiter les risques de pasteurellose. L’an dernier, les brebis avaient agnelé dehors entre le 15 avril et le 15 mai. Mais, « je ne recommencerai pas car j'ai eu environ 20 % de mortalité dont 6 à 7 % à cause du renard », avoue l’éleveur.
À la recherche d’un associé laitier
Les prairies permanentes sont gérées avec du pâturage tournant dynamique. Les parcelles sont découpées en paddock électrique fixe avec de l’eau. « J’adapte le nombre de brebis au fur et à mesure en fonction de la pousse de l’herbe ». Sur certaines zones sableuses à faible réserve utile, suite à trois ans de sécheresse, les graminées ont disparu au profit des ombellifères. Plein d’idées, l’éleveur veut essayer d'y pallier en laissant monter à graine pour tenter de ressemer. « Ce seront les brebis qui vont assurer l'égrenage avec leurs pattes. »
À 47 ans, seul sur l’exploitation et avec un fils pas très intéressé par l’élevage, Fabrice Trottier se verrait bien intégrer un associé sur la structure. « Un moment, j'avais imaginé qu'il pourrait avoir une petite troupe d’une soixantaine d’ovins laitiers, une fromagerie fermière et des poules pondeuses qui mangeraient l’herbe sous des serres déplaçables. Mais j'ai mis les chiffres sur une feuille et ce ne sera pas tenable...» S'il est, pour l'instant, seul sur l'exploitation, Fabrice Trottier s'est trouvé une utile source de conseils et d'échanges techniques ou économiques. Il a intégré un groupe WhatsApp où une trentaine d'éleveurs, conseillers et vétos s'interrogent et se répondent rapidement. Un conseiller 2.0, bien utile en zone céréalière, pauvre en technicien ovin et en vétérinaire.
Damien Hardy