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Méthanisation agricole : 5 conseils aux agriculteurs avant de lancer leur projet

Quelles ressources pour alimenter les méthaniseurs ? Quels points juridiques surveiller pour développer son projet de méthanisation agricole ? Quelle durabilité pour les intrants ? La première émission Les agriculteurs ont de l’énergie à revendre, présentée par Réussir au Sommet de l’élevage le 3 octobre, a donné de précieux conseils aux agriculteurs souhaitant se lancer dans la méthanisation.

 

En France, le biométhane injecté dans les réseaux pèse environ 2 à 4% du gaz naturel consommé en France. Ce chiffre pourrait monter jusqu’à 20% des besoins nationaux d’ici 2030. Selon GRDF, le nombre d’unités de méthanisation pourrait doubler en deux ans. Réunis pour l’émission Les agriculteurs ont de l’énergie à revendre au Sommet de l'élevage Eglantine Pagola, responsable filière RAGT semences, Sébastien Lagrafeuil, éleveur de vaches limousines en Corrèze et méthaniseur, Isabelle Gros, responsable méthanisation du bureau d’études Artifex et Stéphanie Grandet, avocate spécialisée dans l’environnement chez Green Law, ont livré de précieux conseils aux agriculteurs qui souhaiteraient s’engager à leur tour dans la méthanisation agricole.

1 - Bien s’entourer pour construire son projet de méthanisation agricole

« Quand on a un projet de méthanisation agricole, il est important de se faire entourer. Il y a plusieurs étapes à respecter », souligne Isabelle Gros, responsable méthanisation du bureau d’études Artifex.

Est-ce que mon projet est viable ? Dois-je le faire tout seul ou associé avec des voisins ? Quel est mon gisement de matières entrantes ? Où implanter le site de méthanisation agricole ? Autant de questions aux réponses pas toujours évidentes. « Il va falloir être vigilant sur les matières entrantes. Il ne faut pas aller chercher que de la matière exogène. Il faut aussi savoir où on va s’implanter car il y a des règles à respecter. On ne va pas chercher à se mettre sur une parcelle boisée ou une zone humide » commente Isabelle Gros.

Faire appel à un cabinet d’études compétent pour le dossier ICPE

« Souvent les agriculteurs comprennent qu’ils doivent faire appel à un bureau d’études. Mais certains ont tendance à chercher le moins-disant ou celui de leur réseau. Or un bureau d’études agricoles n’est pas forcément qualifié pour faire des dossiers ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement). On parle quand même d’activités industrielles ! Il faut des dossiers ICPE à la hauteur de ces enjeux » abonde Stéphanie Grandet, avocate spécialisée dans l’environnement chez Green Law.

Sébastien Lagrafeuil, éleveur de vaches limousines en Corrèze et méthaniseur depuis décembre dernier (15 000 t d’intrants à l’année dont 9 000 t de fumier, 2500 t de lisier et le reste avec des déchets de céréales ou des intercultures), reconnaît avoir fait une erreur en voulant se débrouiller seul au départ.

Après avoir visité 35 unités de méthanisation agricoles en Europe, l’éleveur sait ce qu’il veut faire. Il part sur une méthaniseur en injection directe, mais GRDF refuse car son site se situe à plus de 30 kilomètres du premier réseau de gaz. Il se réoriente vers la cogénération quand il apprend qu’un autre méthaniseur se construit près de chez lui, avec création d’un gazoduc et qu’il va finalement pouvoir utiliser la voie qu’il préférait.

C’est un tout petit billet sur l’ensemble de l’investissement

« J’ai averti tous les services en pensant qu’on allait juste faire un avenant ». « Ce n’est pas si simple que ça ! J’ai été obligé de tout refaire et j’ai décalé d’un an mon projet. J’ai alors fait appel à des professionnels mais j’aurais dû le faire dès le début. J’aurais dû prendre un assistant maître d’ouvrage du début jusqu’à la fin. C’est un tout petit billet sur l’ensemble de l’investissement » témoigne-t-il.

2 - Bien communiquer sur le projet de méthaniseur

« Une autre erreur serait de se dire « je suis chez moi, je ne communique pas, je ne fais pas attention aux autres », ça peut se payer plusieurs mois plusieurs années après » avance Stéphanie Grandet, avocate spécialisée dans l’environnement dans le cabinet Green Law. « Il y a énormément de projets de méthanisation qui se passent bien, se développent dans la communication et la concertation et voient le jour sans recours », affirme l’avocate. Mais ces dernières années, on constate un développement de recours juridiques, lié au nombre de projets en hausse mais aussi à « certains accidents qui ont fait beaucoup de bruit et ont terni l’image d’une filière qui était encore peu mature ».

Des recours juridiques peuvent retarder les projets de méthanisation agricole

Les recours viennent de riverains, d’associations locales et parfois des communes d’implantation qui contestent le permis de construire ou l’arrêté ICPE. « Généralement ça bloque les projets non pas juridiquement car les recours ne sont pas suspensifs mais d’un point de vue financier. Car la banque ne débloquera pas les fonds tant qu’il y aura un recours sur le projet », avertit l’avocate. Au final le nombre de projets annulés est très faible mais travailler en amont l’aléa judiciaire permet de gagner du temps.

Il faut faire accepter le projet par le maire et le voisinage

Sébastien Lagrafeuil témoigne pour sa part avoir informé tout son voisinage dès l’idée du projet. « Des personnes ont eu des doutes, c’est légitime, mais je n’ai pas eu de retours négatifs. Il faut faire accepter le projet par le maire de la commune et le voisinage », confie-t-il.

3 – Bien identifier ses intrants, choisir ses Cive pour la méthanisation agricole

La réglementation française impose de ne pas alimenter une unité de méthanisation agricole à plus de 15% avec des cultures principales.

Pour alimenter son méthaniseur, l’agriculteur peut avoir recours à des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). « On distingue les Cive d’été, récoltées derrière une céréale à paille, et les Cive d’hiver semées en septembre et récoltées avant le semis de la culture de printemps », rappelle Eglantine Pagola, responsable filière RAGT semences. Comment choisir ces cultures intermédiaires Cive ? Le plus important n’est pas tant de s’intéresser aux pouvoirs méthanogènes qu’aux rendements de ces cultures en fonction des conditions de culture spécifiques, explique-t-elle. « On a travaillé nos produits Cive d’été et d’hiver sur leur capacité à s’adapter à ces semis avec des conditions spécifiques. On a des Cive d’été exposées à des stress hydriques importants. Et Il faut s’assurer que les cultures aient le temps d’arriver à maturer dans un intervalle de temps assez court. C’est important car ça conditionne de bonnes conditions de stockage », explique Eglantine Pagola. Entre espèces, le maïs dispose du meilleur pouvoir méthanogène devant le sorgho ensilage puis le sorgho biomasse.

RAGT Semences travaille les associations tournesol-sorgho et seigles-triticales

« Au sein d’une espèce, la différence entre les variétés n’est pas significative, il faut davantage s’intéresser à la variété la plus productive et celle qui s’adapte le mieux aux conditions agronomiques pour maximiser la biomasse », souligne-t-elle.

Pour les Cive d’été, RAGT Semences travaille les associations tournesol-sorgho : « le tournesol va apporter de l’huile et donc un pouvoir méthanogène élevé et le sorgho va faire beaucoup de biomasse », explique Eglantine Pagola. « Sur les Cive d’hiver, on associe des seigles avec des triticales », poursuit-elle. RAGT Semences travaille aussi sur l’efficience azotée pour la valeur du digestat en intégrant un peu de légumineuses de type vesce dans les Cive d’hiver.

Attention à ne pas surestimer les quantités

« Les Cive font partie du gisement prévisionnel. Attention à ne pas surestimer les quantités, on peut avoir un rendement plus bas qu’attendu », souligne pour sa part Isabelle Gros.

 

4 – Cive et cultures principales : attention les contrôles vont se développer

Le Code de l’environnement impose depuis plusieurs années un seuil de 15% maximal de cultures principales pouvant alimenter les unités de méthanisation agricole. Les définitions entre Cive et cultures principales étaient floues et les contrôles peu nombreux (3 contrôles sur 180 sites qu’elle suit, témoigne l’avocate Stéphanie Grandet). « Mais en 2022, le gouvernement a pris un nouveau décret qui a clarifié les définitions. Il est clair que ce qui va arriver c’est le renforcement des contrôles de la Dreal » explique l’avocate.

Entrée en application du règlement Red II

Et ce d’autant plus qu’entre cette année en application le règlement européen Red II qui vise à éviter de dévoyer des parcelles dédiées à l’alimentation humaine ou animale pour alimenter des méthaniseurs. « On est dans un moment-clé car le régime est en train de rentrer en vigueur en France. Les acteurs concernés par ces obligations travaillent sur ces questions. Les règles sont complexes. Chaque acteur de la production de biomasse jusqu’à la méthanisation va avoir des obligations pour prouver que la biomasse respecte des règles de durabilité », prévient l’avocate. Ce sont essentiellement les grandes unités de méthanisation qui sont concernées.

Attention, tirer les délais sur les Cive peut aussi avoir un impact juridique

Pour respecter le seuil des 15%, le calendrier des cultures a toute son importance. « Des arbitrages doivent être faits. Quelle est ma priorité ? Nourrir mon troupeau ou sécuriser mon gisement de Cive ? », souligne Eglantine Pagola, responsable filière RAGT semences. Laisser une Cive d’hiver 15 jours de plus en terre peut faire gagner 25% de biomasse mais altérer à terme le rendement de la culture principale de printemps, semée plus tard. « Attention, tirer les délais sur les Cive peut aussi avoir un impact juridique. On peut faire basculer une Cive dans la définition de culture principale », alerte par ailleurs Stéphanie Grandet.

« Qu’importe si la culture a été définie comme une Cive dans la déclaration Pac, en cas de contrôle, la Dreal va vérifier les définitions juridiques. Il faut faire attention à comment on cultive », insiste-t-elle, soulignant par ailleurs que si les définitions ne sont pas respectées, l’agriculture peut mettre en danger son contrat d’achat. « Le scénario catastrophe c’est la suspension des contrats », lâche-t-elle.

 

5 – L’irrigation des cultures intermédiaires dédiées au méthaniseur, un point à considérer

Pour choisir ses Cive, l’agriculteur doit aussi réfléchir à la ressource en eau. « L’irrigation d’une Cive n’est pas interdite sur le plan réglementaire. En revanche on constate en ICPE que l’administration va être vigilante sur l’utilisation de l’eau pour produire une Cive ! Sur territoire de problématique en eau, une Cive ayant besoin d’être irriguée va être remise en question » avance Isabelle Gros.

L’eau devient un réel enjeu

Stéphanie Grandet confirme en évoquant une récente décision de justice, « qui ne vaut pas encore jurisprudence mais qui doit être considérée comme une alerte ». « Une décision de justice a censuré une étude d’impact au-delà de 100 tonnes par jour pour ne pas avoir analysé les effets de l’irrigation des Cive sur la ressource en eau. Et les Cive ne représentaient que 45% des intrants du méthaniseur », souligne-t-elle. « L’eau devient un réel enjeu » conclut Isabelle Gros, qui pointe aussi les arrêtés sécheresses qui imposent aux installations classées ICPE de maîtriser leur consommation en eau.

 « Un projet de méthanisation ce n’est pas simple il ne faut pas croire que ça va se faire en claquant des doigts. Ca va être du boulot, il faut se renseigner, se former, aller visiter des installations, se renseigner auprès des autres exploitants parce que c’est un long chemin, une belle aventure humaine ! », conclut Isabelle Gros, responsable méthanisation du bureau d’études Artifex.

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