«Un plan impossible à tenir sur le plan alimentaire »
LM : En février, vous ne faisiez pas partie des promoteurs des biocarburants. Votre position a t-elle changé ?
Jacques Commère : Non, et d'ailleurs nous avons même des arguments supplémentaires pour nous opposer à leur développement. Nous menons actuellement une étude qui se base sur des taux d'incorporation des biocarburants à 5,75 % (objectif fixé réglementairement pour 2010) et 8 %, pour mesurer l'impact sur les surfaces. D'après nos premiers résultats, et tel que le plan biocarburants est défini, il va être impossible à tenir sur le plan alimentaire. Pour le mener à bien, il va falloir utiliser des hectares au détriment des productions de bouche. L'Europe n'est déjà pas autosuffisante avec une production qui couvre les deux tiers des besoins en huile alimentaire, et nous risquons d'aggraver la situation en consacrant des surfaces aux biocarburants. Ce qui est pour le moins paradoxal.
LM : Au-delà de l'aspect alimentaire, les producteurs ne vont-ils pas bénéficier de débouchés supplémentaires ?
JC : On prend le problème à l'envers. Car la grosse inquiétude, c'est le prix payé au producteur, qui est inférieur à celui offert pour le débouché alimentaire. Il y a déjà des problèmes de rémunération, et on se félicite de trouver un débouché payé encore moins cher ! Le blé en jachère est ainsi vendu à un prix compris entre 60 et 80 euros la tonne, ce qui représente environ 20 euros de moins que son équivalent alimentaire. Il serait beaucoup plus intéressant d'utiliser la canne à sucre ou la betterave à sucre…
LM : Votre critique touche également les unités de production de biocarburants amenées à être construites. Quels sont vos reproches ?
JC : On veut construire de beaux jouets sans se demander comment on va les alimenter, mais on a tendance à oublier les produits brésiliens. Lancés depuis longtemps dans la filière, ils sont aujourd'hui 2,5 fois moins chers que nous. Que vont-ils dire si d'un seul coup nous prenons des mesures protectionnistes ? Ce système est basé sur le versement de subventions pour rester compétitifs (38 euros pour 1 000 litres). Pour nous, le meilleur des scénarios serait un panachage des techniques, et des filières plus courtes avec par exemple du chauffage direct au blé (dans des chaudières) ou l'incorporation directe d'huile dans les carburants. Pour obtenir l'équivalent calorique de 1 000 litres de fioul (prix de revient de 600 euros), il faut brûler 2,5 tonnes de céréales, à 100 euros la tonne. A contrario, la construction d'usines d'éthanol ne nous semble pas adaptée aujourd'hui. Nous sommes déjà excédentaires en essence et surtout, nous avons peur qu'en cas de baisse de la rentabilité ou de désengagement de l'état, les problèmes retombent sur le dos des producteurs.