Principe de précaution ou principe d’inaction ?
Par ordonnance du 23 novembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l’autorisation de commercialisation du Closer, pesticide du fabricant américain Dow dont le principe actif est le sulfoxaflor. Une seconde décision du même jour a également suspendu le Transform du même fabricant. Ces deux produits phytopharmaceutiques avaient été autorisés le 27 septembre 2017 par le directeur de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Très rapidement, l’association Générations futures a sollicité l’annulation de ces autorisations devant le juge du fond, et leur suspension, devant le juge des référés, dans l’attente de la décision à intervenir sur la légalité des autorisations. Pour l’association requérante, le sulfoxaflor appartient à la catégorie des néonicotinoïdes, dont l’effet néfaste sur les populations d’abeille est connu, de sorte que le principe de précaution aurait dû s’appliquer.
Selon l’Anses, le produit litigieux ne présente, en l’état de la connaissance scientifique, aucun danger pour la santé publique. Il a fait l’objet des études et évaluations prévues par la réglementation européenne, et les agriculteurs qui l’utiliseront se verront remettre un certificat sanctionnant une formation spécifique, et seront inspectés par un organisme indépendant. Enfin, selon le fabricant, le sulfoxaflor n’est pas un néonicotinoïde, et sa suspension conduirait à utiliser ces néonicotinoïdes beaucoup plus toxiques.
Risque de mauvaise utilisation
Le juge des référés se garde bien de prendre parti sur le débat néonicotinoïde/non néonicotinoïde. Il n’en a d’ailleurs pas le pouvoir. Rappelons simplement que les néonicotinoïdes seront interdits à compter du mois de septembre 2018, de sorte que si le produit appartient à cette catégorie, les risques en sont vraisemblablement connus, si bien que ce n’est pas le principe de précaution qui est en cause, mais le principe de prévention. Plus subtilement, le juge relève dans les écritures de l’Anses qu’en dépit de la formation dispensée aux professionnels, un risque existe pour les abeilles en cas de mauvaise utilisation du produit en cause, compte tenu de sa fonction insecticide, et en conclut « l’absence de certitude quant à l’innocuité du produit », justifiant la suspension de l’autorisation.
La question n’est pas tant de savoir si la suspension d’une décision administrative par un juge des référés requis à cet effet est justifiée, mais de rappeler que, contrairement à l’application qui en est le plus souvent faite par les tribunaux ou les pouvoirs publics, la mise en œuvre du principe de précaution ne conduit pas nécessairement à un claquement de porte.
Un principe à deux facettes
Le principe de précaution peut être représenté par une pièce de monnaie. Côté pile, une construction juridique destinée à ne pas bloquer l’action en cas d’incertitude scientifique. Loin de reposer sur une méconnaissance totale, le principe de précaution suppose que des investigations ont été conduites, qui permettent d’identifier un risque potentiel ou supposé, insuffisamment connu dans sa manifestation ou son étendue. Peu avant l’entrée en vigueur du règlement CE 178/2002, la Commission européenne avait défini des critères d’approche d’une telle situation, tels qu’évaluer le danger, prendre des mesures proportionnées au risque supputé, interroger régulièrement la connaissance scientifique pour réviser les mesures prises ou les supprimer, entre autres critères.
Côté face, une approche sociétale et politique sensible au sens classique du mot précaution, synonyme de prudence ou de vigilance. Pour le commun des mortels, et pour le politique, cette approche ne peut conduire qu’à l’application de l’adage : « dans le doute, abstiens-toi ».
Et c’est bien cette approche-là qui a été mise en œuvre en matière d’OGM, ou, plus récemment, d’exploitation des gaz de schistes où, non seulement la technique de la fracturation hydraulique fut condamnée, mais, avec elle, toute recherche en la matière.
Sans poser en principe qu’une décision de suspension ou d’interdiction ne peut jamais s’inscrire dans l’application du principe de précaution, l’on voit que d’autres solutions seraient souvent possibles si l’on faisait confiance à une communauté scientifique familière de l’incertitude, et qui ne la confond pas avec la peur.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016, une structure dédiée à l’entreprise pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
18, av. de l’Opéra, Paris Ier – www.dlegoff-avocat.fr