Chronique
Le contrôle judiciaire du prix de vente confirmé
Le Conseil constitutionnel vient de confirmer la licéité d’un contrôle du prix de vente par le juge, comme l’avait admis la Cour de cassation pour retenir un déséquilibre significatif.
La notion de déséquilibre significatif semblait bien ancrée dans notre droit. Issue de la loi LME de 2008, elle relève du droit des pratiques restrictives et sanctionne le fait de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Il s’agissait de définir une notion mieux à même d’appréhender la réalité de la négociation commerciale que ne le permettaient les notions d’abus de puissance d’achat et de vente, ou d’abus de dépendance économique.
Le droit français est marqué, de longue date, par l’idée selon laquelle les relations entre distributeur et fournisseur doivent être régulées, ce qui signifie que, contrairement au principe général de droit qui découle du Code civil et qui veut que le contrat soit la chose des parties, les relations entre distributeur et fournisseur sont assujetties au postulat de protection du « fort » contre le « faible ».
Contrôle des conditions de la formation des prix
Il faut donc que la loi désigne un « fort » et un « faible », pour prendre le parti de protéger le faible. On ne compte plus les tentatives d’encadrement législatif, en particulier depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986, puis en 1996, 2001, 2003, 2005, 2008… Sont ensuite intervenues des modifications ponctuelles de la loi, notamment sur la sanction du déséquilibre significatif, et surtout une interprétation de cette notion par la jurisprudence.
Dès 2010, le Conseil constitutionnel sera saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que la notion de déséquilibre significatif serait insuffisamment précise au regard du principe de légalité des délits et des peines, qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne se limite pas aux contours du droit pénal. Il était répondu que le déséquilibre significatif issu de la loi LME n’était, en substance, rien d’autre que l’application aux relations entre l’industrie et le commerce de la notion de clause abusive présente dans le Code de la consommation.
Une interprétation qui laissait la part belle au juge, lequel n’était pas habitué à tant de latitude. D’autant que cette latitude allait se trouver confortée par l’entrée dans le Code civil de la notion de déséquilibre significatif.
Même si c’est le fruit d’une lente maturation, nous sommes passés en très peu de temps d’un simple contrôle par le juge de l’économie d’une relation, en application du principe du Code civil selon lequel la vente est parfaite lorsque les parties sont d’accord sur la chose et sur le prix, à un contrôle des conditions de formation d’un prix de vente en matière commerciale, à travers le prisme de la notion de déséquilibre significatif.
L’objectif d’intérêt général poursuivi
Auparavant, le juge ne contrôlait que l’existence de contreparties réciproques, sans jamais apprécier la valorisation du prix de vente. C’est ce pas qu’a franchi la Cour de cassation par un arrêt du 25 janvier 2017. La Cour de cassation tire de la situation qui lui était soumise que lorsque le prix pratiqué ne résulte pas d’une libre négociation, il caractérise un déséquilibre significatif, et un contrôle judiciaire du prix est alors possible. On en conclut qu’il faut que toutes les composantes du prix retenu aient pu être négociées, faute de quoi le déséquilibre significatif est encouru.
La jurisprudence ne nous avait pas habitués à tant de rigueur, lorsqu’elle se contentait de vérifier qu’en présence d’une clause apparemment non négociée au profit d’une partie, une autre, également non négociée, était favorable à l’autre partie. Manifestement, pour le prix, l’analyse est plus rigoureuse, et pose vraiment la question d’un contrôle judiciaire du prix de vente.
Cette question a donné lieu à une nouvelle QPC, car l’arrêt précité du 25 janvier 2017 fait figure d’évolution. Par une décision rendue le 30 novembre 2018, le Conseil constitutionnel admet qu’il est bien porté atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, comme le soutenaient les requérants, mais cette restriction poursuit un objectif d’intérêt général.
Ce n’est pas une surprise pour nous. Nous avions dit dès 2008 qu’au-delà des tentatives de régulation par la loi, celle-ci se ferait par les prétoires.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016, une structure dédiée à l’entreprise pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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