«Je suis surprise du cri d’alarme de l’OMS»
Le professeur Jeanne Brugère-Picoux (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort) tempère le scénario catastrophe de l’OMS quant à la grippe aviaire en Asie. Elle considère néanmoins que les régions atteintes peineront à éradiquer le fléau.
Les Marchés : L’Organisation mondiale de la santé appréhende une catastrophe pour la population humaine si la grippe aviaire n’est pas maîtrisée en Asie du Sud-Est. A-t-on raison de s’inquiéter ?
JBP : Je suis surprise du cri d’alarme de l’OMS. Quand vous regardez l’historique des pandémies humaines, aucune n’a été causée par un virus du type H5, comme aujourd’hui, ou H7, comme aux Pays-Bas l’an dernier. J’aurais plus peur d’une grippe porcine, qui passerait plus facilement de l’animal à l’homme. Mais le porc, comme l’homme, a peu de chances d’attraper la grippe aviaire actuelle. Ma question est plutôt « mais que vont manger ces populations ?»
LM : Quel crédit accordez-vous aux résolutions prises lors de la réunion de mercredi à Bangkok. Certains gouvernements ont-ils pu dissimuler la maladie ?
JBP : Dans ces pays, il y a beaucoup d’élevages fermiers et de marchés aux volailles vivantes. Le virus, qui est dans les fientes, se pulvérise facilement dans l’air et peut circuler dans les cours d’eau. Il y a des oiseaux asymptomatiques, comme les canards sauvages, qui sont des vecteurs connus de la grippe aviaire. Le seul moyen est d’éradiquer en tuant tout autour des endroits infectés ; ça n’est pas facile ! Mais le virus tue rapidement et peut disparaître faute de volailles survivantes.
Dans ces pays, la maladie de Newcastle est constamment présente. C’est une grippe qui présente les mêmes symptômes que la grippe aviaire, dont le vrai nom pour les vétérinaires, est « influenza aviaire hautement pathogène», et qu’on appelait avant « peste aviaire». Les pays d’Asie touchés ont pu diagnostiquer la maladie de Newcastle et commencer à vacciner les élevages Le vaccin contre la grippe de Newcastle s’administre sous forme d’une brumisation ou de l’introduction dans l’eau de boisson d’une souche très atténuée. Un tel vaccin est difficilement concevable pour l’influenza aviaire hautement pathogène. sans trop s’inquiéter.
LM : L’interdiction d’importer en Europe, non seulement des volailles vivantes, mais aussi des viandes, crues ou cuites, se justifie-t-elle ?
JBP : C’est une mesure de précaution à l’égard de l’élevage avicole. Il y a toujours une possibilité de contamination de la carcasse à partir de l’intestin, où le virus se multiplie et provoque des hémorragies. De la même façon, une contamination de surface est possible de la viande crue à la viande cuite, où le virus a été tué. Le risque est exceptionnel, minime, mais la précaution est logique quand on est en présence d’un virus aussi dangereux pour l’élevage.
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