Innovation : les sciences humaines font recette
Qu’il s’agisse d’établir un dialogue constructif entre les différents services dans une entreprise ou de mieux comprendre le comportement du consommateur, les sciences humaines sont de plus en plus sollicitées dans les entreprises alimentaires.
La « naturalité » s’affirme comme une des tendances majeures de l’innovation alimentaire selon le panorama mondial des innovations de XTC World innovation, ne serait-ce qu’à travers les « clean labels » (sans additifs de synthèse, sans pesticide, etc.). « Explorer l’environnement critique à travers la presse permet d’identifier le processus de construction d’une question telle que la naturalité », détaille Olivier Lepiller, sociologue, dont la thèse à l’université de Toulouse II Le Mirail porte justement sur ce processus. « Le marketing voudrait dire « naturel » mais la loi est floue, une source d’incertitude pour l’entreprise et son processus d’innovation. Le tribunal de commerce de Paris vient ainsi d’interdire à une sauce tomate produite à base de concentré l’utilisation du terme. Mieux connaître les définitions et les usages, montrer les acteurs en jeu et leurs positions pourrait permettre de construire un accord sur le terme », illustre-t-il.
Les liens tissés entre les sciences humaines – notamment la sociologie – et l’innovation sont de plus en plus étroits, comme le montrent les 25 000 visites par mois sur le site « consommation et société » de l’Association française de sociologie, qui organisera d’ailleurs son congrès 2011 à Grenoble sur le thème « création(s) et innovation(s) ». De l’anthropologie à la linguistique, de la psychologie à la philosophie (explorer la posture des consommateurs face à l’éthique, des animaux clonés aux OGM), ce sont bien toutes les sciences humaines qui sont mobilisées par la question alimentaire. Elles interviennent dans les processus d’innovation et dans la compréhension de leurs échecs comme de leurs succès, qu’ils concernent les produits, les emballages, les modes de distribution ou les organisations elles-mêmes.
La sociologie au service du marketing
« La sociologie des organisations accompagne le processus d’innovation en pointant par exemple les dysfonctionnements au sein même des entreprises, dans les relations entre le marketing et la R & D ou entre la technique et le juridique. Elle rend intelligible par chacun le système de pensée des autres. Car un dialogue réussi entre d’une part les technologues, ingénieurs ou techniciens, et d’autre part les spécialistes des usages et de la consommation, est véritablement source d’innovation. La première des choses à éviter lorsque l’on n’est pas d’accord est de traiter l’autre de schizophrène ou de paranoïaque : il existe différentes formes de rationalités qui permettent à chacun de justifier ses actions et qu’il s’agit d’éclairer », explique Olivier Lepiller.
Il en va de même pour la compréhension des consommateurs. Ils ne sont pas irrationnels comme on l’entend trop souvent. La sociologie aide à comprendre leur rationalité : elle a un rôle de traduction dans la manière de poser les problèmes là où le dialogue ne se fait pas. Comme lorsque le consommateur montre une réticence face à ceux qui veulent « l’éduquer ». Pourquoi les préconisations scientifiques et nutritionnelles comme les argumentaires techniques n’induisent-ils pas forcément de modification des comportements dans le sens souhaité ? Quels sont les discours des militants sur leurs forums ? Les méthodes ethnographiques et d’analyse de contenu aident là encore à comprendre les entraves au dialogue ou les revendications.
Car évidemment, le comportement des consommateurs constitue le champ royal des sciences humaines pour l’entreprise. Le marketing ne s’y est pas trompé. Pragmatique, il assimile des méthodes issues de la psychologie, de la sociologie et de la psychologie sociale, mais aussi de l’ethnographie voire de l’anthropologie, pour explorer des marchés culturellement très divers.