Chronique
Annulation administrative et concurrence déloyale
Un arrêt du 31 janvier 2018 vient confirmer une nouvelle jurisprudence en matière d’annulation d’autorisation administrative, considérant la licéité de l’exploitation jusqu’à son annulation et écartant donc la notion de concurrence déloyale.
La concurrence déloyale, qui repose sur les principes généraux du droit, et, en particulier l’obligation générale de ne pas nuire à autrui, suppose forcément la violation par l’auteur d’une obligation préexistante. Depuis fort longtemps, on admet que la violation d’une norme ou d’une réglementation, quelle qu’en soit la nature (sociale, environnementale…), puisse servir de fondement à une action en concurrence déloyale, ce qui est logique si l’on considère que le respect d’une telle règle peut nécessiter d’exposer des coûts spécifiques que celui qui ne la respecte pas n’expose pas, ce qui peut lui procurer un véritable avantage dans la compétition commerciale.
Autorisation d’exploiter, de construire ou d’implanter un magasin
Puis il y a des situations dans lesquelles le lancement, le développement ou l’extension d’une activité sont assujettis à une autorisation administrative. Il peut s’agir d’une autorisation d’exploiter pour une activité réglementée, d’un permis de construire pour de nouveaux bâtiments, d’une autorisation d’implantation pour une grande surface… De telles autorisations administratives sont susceptibles de faire l’objet d’un recours, le plus souvent pour excès de pouvoir, devant le juge administratif qui peut alors annuler l’acte en cause avec toutes les conséquences de droit.
Il faut préciser qu’en droit, un acte nul est réputé n’avoir jamais existé, ce qui peut donc imposer au bénéficiaire de l’acte annulé une remise en l’état antérieur souvent très compliquée à réaliser. L’annulation d’un acte a donc un effet absolu et rétroactif. Pendant une longue période, le juge civil chargé de trancher la question de concurrence déloyale dont il était saisi appréhendait purement et simplement les conséquences de la nullité de l’acte administratif préalable, et jugeait que l’activité déployée n’avait, par voie de conséquence, jamais été licite, et donc toujours déloyale. La jurisprudence de 1987 nous offre l’exemple d’un pharmacien dont la licence requise par le Code de la santé publique avait été annulée. Son activité a donc été jugée déloyale depuis l’origine, la Cour de cassation rappelant même que l’appel des jugements administratifs n’a pas d’effet suspensif.
Mais récemment, tout a changé.
Jurisprudence pragmatique sur la notion de faute
Alors que la jurisprudence dominante pouvait admettre la déloyauté d’une situation sans caractériser la faute de son auteur, elle considère à présent, avec pragmatisme, qu’avant d’être annulé, l’acte administratif a eu une existence légale qui a pu faire croire à l’exploitant à la licéité de son exploitation et qui est donc exclusive de faute.
En 2016, la Cour de cassation a ainsi considéré que l’annulation de la décision d’urbanisme commercial dont avait bénéficié Castorama n’impliquait pas que l’ouverture de ce magasin, en 2005, avait un caractère fautif. Autrement dit, pour le juge judiciaire, l’ouverture de ce magasin était licite et loyale en 2005, et s’est poursuivie tout aussi loyalement jusqu’à l’annulation de la décision de la CNEC.
Sur le plan des conséquences de la nullité d’un acte administratif indispensable à l’exercice d’une activité, il est incontestable que cette nouvelle approche s’écarte sensiblement de la solution classique et des conséquences qui devaient en résulter.
Tout se passe aujourd’hui comme si le juge judiciaire saisi d’une question de concurrence déloyale appréhendait la décision administrative annulant l’autorisation d’exploiter comme un simple fait juridique ne produisant d’effets que pour l’avenir, comme si cette décision administrative n’avait été que révoquée, et non pas annulée.
Or, lorsqu’un juge administratif annule une décision administrative, cette décision – et les conséquences qui y sont attachées – s’impose au juge judiciaire, même si, d’un point de vue factuel, on peut admettre que le commencement d’exploitation s’était déroulé, jusqu’à l’annulation de l’autorisation, tout à fait licitement et sans faute de la part de l’exploitant.
Et c’est là l’apport essentiel de cette nouvelle approche confirmée par un nouvel arrêt le 31 janvier 2018 : elle marque la grande incursion de la notion de faute, qui est pourtant une composante de la responsabilité civile, dans la caractérisation de la concurrence déloyale.
Maître Didier Le Goff
Fort d’une expérience de plus de 25 années dont près de 20 ans comme associé d’un cabinet parisien de premier ordre tourné vers le droit commercial et la vie des affaires, Maître Didier Le Goff a créé, en 2016, une structure dédiée à l’entreprise pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d’une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, il a développé une compétence générale en droit économique qu’il enseigne en Master II Droit du marché de l’université de Nantes, avec une prédilection pour l’agroalimentaire tant en droit national qu’européen ou international.
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